Valeur versus Croissance : un faux débat ?

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Un portrait assez caricatural du monde de la bourse divise le monde des investisseurs en deux catégories : les investisseurs « dans la valeur » et les investisseurs « dans la croissance ».

             Les « value» sont supposés investir dans des entreprises bon marché et les « growth » sont censés payer le prix fort pour des entreprises dans lesquelles ils perçoivent des possibilités de croissance futures.

En réalité, nous pensons que cette subdivision n’a pas lieu d’être. Quel investisseur accepte de « payer trop cher » ? Nous pensons que la différenciation provient plutôt des données conduisant à la décision d’achat : nous intégrons ainsi dans la catégorie « investisseurs dans la valeur » tous les tenants de l’analyse fondamentale ou plutôt de l’approche « bottom up« .

Ces « fondamentalistes » se concentrent sur l’entreprise elle-même. Ils tiennent certes compte de l’environnement macro économique dans laquelle elle évolue mais c’est la société avec ses perspectives et le prix à payer qui l’intéresse au premier chef. Si le prix est intéressant par rapport à la valeur de la société telle qu’il l’a calculée (qu’il s’agisse de la valeur présente ou future), il achète.

Parmi ces investisseurs « dans la valeur », nous pensons que l’on peut différencier plusieurs catégories d’investisseurs. Voici selon nous ces catégories classées en fonction de l’approche la plus « tangible » vers la moins « tangible ».

– l’investissement sur base de l’approche patrimoniale, c’est-à-dire les actifs de l’entreprise. Véritables « intégristes de la valeur », vous aurez compris que c’est cette approche que nous apprécions et pratiquons sur ce blog.
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– l’investissement sur base de la capacité bénéficiaire passée : les tenants de cette approche tendent à penser qu’une société tendra à reproduire, sous certaines conditions, dans le futur et à long terme, les profits qu’elle a réalisés dans le passé. La méthode des « dogs of the dow » nous semble en être un bon exemple.

– l’investissement sur base de la capacité bénéficiaire : les tenants de cette approche estiment que la société qu’ils cherchent à acheter dispose de barrières contre la concurrence tellement fortes que ses profits futurs à long terme devraient être en augmentation relativement constantes et stables. Un très bonne exemple de ce type d’approche est présenté par notre ami Thierry (site Cervinvest désormais fermé) qui s’est forgé une très bonne discipline et dispose, selon nous, d’une bonne capacité à détecter ce genre de barrière.

– l’investissement dans une capacité bénéficiaire future et hypothétique : les tenants de cette approche s’intéressent à des sociétés souvent jeunes et innovantes qui, souvent, ne génèrent pas encore de profits ou très peu mais qui disposent d’un know how, réel ou supposé tellement puissant qu’ils projettent des profits futurs de très haut niveau. Cette approche nécessite, selon nous, des connaissances techniques ou scientifiques relativement pointues pour pouvoir déterminer le niveau statistique de réalisation de ces profits.

Selon nous, pour autant que l’étude de la société ait été réalisée avec sérieux et rationalité, toutes ces philosophies d’investissement peuvent être qualifiées de « value » car aucun de ces investisseurs ne sera disposé à payer trop cher en fonction de la valeur à laquelle il aura estimé sa cible.

Et nous, pourquoi privilégions nous l’approche patrimoniale ?

Pour deux raisons :

– la première, nous l’avons déjà abordé, parce que nous disposons en garantie de notre investissement d’actifs bien tangibles qui peuvent servir de « plan B » si les choses « tournent mal ».

– la deuxième, nous allons la démontrer par un exemple concret.

Prenons une société qui, de l’avis unanime (et du nôtre aussi) est une société très bien gérée, performante et présentant un potentiel de croissance certain : Google. Au cours du 3e trimestre 2008, elle a généré une très belle marge d’exploitation de 29,7 %. Un an plus tard, pour le 3e trimestre 2009, la société a réussi l’exploit d’encore remonter la barre en présentant une marge d’exploitation fantastique de 34,9 %. Et le cours de l’action de suivre évidemment cette performance en s’appréciant de 77 % entre le 31/10/2008 et le 31/12/2009.

Prenons maintenant une daubasse au hasard, par exemple Emerson que nous venons de vendre. Le 30 septembre 2008, sa marge d’exploitation était de 0,4 %. Minable n’est-ce pas ? C’est aussi ce que nous pensons. Un an et une bonne restructuration plus tard, la marge d’exploitation est passée à 6,5 %. Une très belle progression de 6 % mais à peine supérieure à celle de Google (qui avait augmenté sa marge de 5,2 %). Mais cette fois, l’appréciation du cours a été de 266 % !

En réalité, nous pensons que la plupart des investisseurs ont tendance à projeter les problèmes rencontrés par une entreprise de manière constante dans le futur. Alors que souvent, les problèmes sont ponctuels : problème de cycles économiques, de direction de mauvaise qualité ou « d’accidents de parcours ». Notre avis est qu’un cycle économique, ça évolue, qu’un mauvais CEO ça se remplace et qu’un accident de parcours … et bien c’est un accident de parcours.

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Pour conclure, nous cédons la parole au grand Martin Whitman : « Les sociétés sûres et bon marché ont souvent des problèmes de rendements des capitaux propres trop faibles à cause d’une concentration d’actifs sous-utilisés et positionnés de façon trop conventionnelle … Quand des bilans ultra conservateurs rencontrent des dirigeants capables et opportunistes, bien des sociétés affichant de faibles rendements des capitaux propres sont devenues des placements sur lesquels j’ai multiplié mon argent par 10 ou 20. »
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4 réflexions au sujet de « Valeur versus Croissance : un faux débat ? »

  1. Merci pour la référence à mon approche. Je partage bien évidemment la vision exposée dans votre billet Valeur vs Croissance. Un bon investisseur, ou tout investisseur s'essayant à devenir bon (!), refusera toujours de payer trop cher pour un actif. Bonne soirée,Thierry.

  2. Bonjour,Bravo pour votre blog de grande qualité.Je me permets une petite remarque sur l'évolution de la marge de Google contre celle d'Emerson.- les deux marges ont augmenté d'environ 6 points (pour Google, on passe de 29,7% à 34,9 % / pour Emerson on passe de 0,4 %à 6,5 %).Du coup les progressions sont relativement déconnectées : + 17,5 % pour Google / + 1525 % pour Emerson !Cela explique peut-être la forte progression d'Emerson.Cordialement,Rémy

  3. Bonjour Thierry et Rémy,Rémy,Nous sommes bien d'accord : une société avec une faible rentabilité n'a pas besoin d'augmenter de beaucoup sa rentabilité pour doper sa valeur de marché contrairement à une entreprise avec une forte rentabilité.

  4. C'est évidemment l'un des intérêt de l'investissement en daubasse que de piocher des valeurs dont la rentabilité est faible. En cas de turnover, c'est le jackpot…Une entreprise présentant les marges de Google ne sera que très rarement massacrée.

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