Les chiffres sont parfois trompeurs

Nous avons en portefeuille une entreprise qui depuis des années a une profitabilité très faible (marge nette < 2%), voire parfois légèrement déficitaire. Ce qui a pour incidence une quasi-stabilité de ses fonds propres. A priori, l’investisseur lambda qui jette un coup d’œil furtif sur les chiffres de la société va en conclure assez rapidement qu’il est en présence d’une belle daubasse… et il n’a pas tord !

En chaussant vos lunettes à rayons X, vous trouverez derrière cette piètre rentabilité un bel actif qui n’a pas d’incidence sur le compte de résultat. Ce qui est normal puisqu’il s’agit de terrains et immeubles, qui sont utiles à l’exploitation de la société, mais qui ne génèrent en tant que tels aucun flux de trésorerie. Ce ne sont pas des actifs productifs.

En fait, la petite subtilité est que la boîte amortit ses bâtiments et les aménagements de ses terrains, ce qui lui permet d’augmenter ses dépenses « comptables » et ainsi réduire ses profits ou de réaliser des pertes. Comme nous l’expliquions à un lecteur, les amortissements sont censés représenter la perte de valeur des actifs détenus par l’entreprise. Nous précisions qu’il ya cependant quelques exceptions concernant les terrains, goodwill ou les immobilisations financières. Or, dans le cas précis, l’entreprise amortit ses immeubles ET les aménagements de ses terrains depuis des années.

Cet amortissement indique donc que les actifs immobiliers et fonciers de l’entreprise se sont déjà dépréciés et continueront à se déprécier années après années. Pour simplifier, cela veut dire que l’entreprise comptabilise que ses terrains et immeubles se dévalorisent. Nous estimons, au contraire, que de tels actifs acquis depuis plusieurs années (ou plusieurs dizaines d’années) ont plutôt tendance à s’apprécier ou, au moins, à maintenir leur valeur dans le temps.

Qu’est-ce que cela signifie pour le titre en question ?

Simplement, cela signifie que la valeur des fonds propres (valeur d’actif net comptable) sous-estime largement la valeur économique réelle des actifs de l’entreprise. Pour ceux qui ne l’avaient pas reconnu, nous parlons de Avalon Holdings, qui a deux activités : l’exploitation de golfs et la gestion de déchets.

Aujourd’hui l’entreprise est valorisée environ 11 M USD sur le marché américain, alors que la valeur au coût d’acquisition des terrains est à plus de 31 M USD en décembre 2009. Avec un actif courant de 15 M USD et un total passif de 9 M USD au 30 juin 2010, nous estimons que l’entreprise peut continuer à afficher des pertes pendant de nombreuses années, sa VANE par action de 8,17 USD par rapport à un cours de 2,80 USD nous procurant une belle marge de sécurité.

Quelle différence entre valeur économique et valeur comptable ?

Dans le cas présent, Avalon Holdings a des fonds propres de 38 M USD au 30 juin 2010. Ce montant représente la valeur comptable des actifs. Vous remarquerez, cher lecteur, que nous avons déjà une belle décote sur les fonds propres.

Or, nous estimons que la valeur des fonds propres ne reflète pas la réalité. Si la société vendait aujourd’hui ses actifs dans des conditions « normales » de marché – nous entendons par là qu’elle ne vend pas ses actifs dans l’urgence – ou qu’elle adopte la norme IFRS de valorisation des actifs immobiliers en juste valeur, il est fort probable qu’elle fasse appel à des experts pour évaluer ses biens immobiliers et terrains et que ceux-ci soient revalorisés. Ainsi, il peut exister avec ce genre de titre un important gain latent sous forme de plus-values immobilières qui n’est nullement exprimé dans la profitabilité de l’entreprise.

C’est pourquoi nous attachons un plus grand intérêt à la lecture des bilans qu’à l’interprétation des comptes de résultats. En effet, les actifs d’une entreprise sont plus stables dans le temps que ses résultats.

Exemple pratique ?

Un petit exemple vaut toujours mieux qu’un long discours et nous vous proposons, cher lecteur, de vous exposer notre philosophie sur le cas « Avalon ».

Au cours des 5 derniers exercices comptables, cette société a généré, en moyenne, un ROE de 1,63 %.  Pas terrible n’est-ce pas ?

Nous constatons cependant que 80 % des actifs amortissables sont des terrains ou des immeubles, c’est-à-dire des biens qui, bien qu’amortis « comptablement » ne perdent en réalité pas de valeur « économique » sur la durée.  Malheureusement, le rapport de gestion ne nous permet pas de déterminer la part des amortissements afférents directement à ces biens.  Nous allons donc travailler au « feeling » : nous préférons toujours de « l’à peu près juste » à du « tout-à-fait faux ».  Nous reprenons donc le montant des amortissements annuels et estimons que 50 % d’entre eux se rapportent aux immeubles et donc, ne représentent pas réellement une perte de valeur.

En ajoutant cette quote part d’amortissements au résultat net des 5 dernières années, nous obtenons alors un ROE « économique » de 3,30 % soit plus du double du ROE « comptable ».  Mais il y a mieux …

En effet, nous n’avons pas payé nos actions Avalon à la valeur de ses fonds propres … mais bien à un prix 4 fois inférieur à ceux-ci.  Le ROE « économique » de notre investissement est donc 4 fois supérieur à ce qui a été calculé soit 13,2 %.

Avec Avalon, nous disposons donc d’un investissement très rentable, supportant peu de dette et bénéficions d’un collatéral immobilier intéressant en garantie de notre débours.

11 réflexions au sujet de « Les chiffres sont parfois trompeurs »

  1. Je trouve cette manière de comptabilisé les actifs immobiliers hallucinante!! Mais Mr Market peut s’en donner à coeur joie et c’est tant mieux pour les investisseurs qui prennent le temps de s’attarder dans le bilan!

    1. Bonjour Deep Value et Youss,

      13 % n’est peut-être pas extraordinaire mais n’oubliez pas que la majorité des sociétés dégageant un ROE supérieur à 13 % quotent au dessus de la valeur de leurs fonds propres, ce qui fait que le rendement au coût d’achat pour les actionnaires devient, dans ce cas également, « pas extraordinaire » avec l’inconvénient de ne pas détenir suffisament d’actifs tangibles pour « couvrir » le montant de votre investissement au cas où la capacité bénéficiaire fléchirait.

  2. Lynch en a fait son crédo; c’est ce qu’il appelle les jeux d’actifs…Certaines valeurs hormis les terrains peuvent posséder d’autres trésors cachés; on a beaucoup parlé d’IDsud qui détient un peu plus de 2 % de la Française des Jeux ou de Électricité et eaux Madagascar qui a vu un raider acheté beaucoup d’actions estimant que les actifs sous évalués…

    Il faut cherché la valeur la ou elle se trouve; participations,patrimoine…le tout c’est d’avoir ne nez creux et d’être patient.

    Sur ce Bonne nuit à tous!!!

  3. « Nous estimons, au contraire, que de tels actifs acquis depuis plusieurs années (ou plusieurs dizaines d’années) ont plutôt tendance à s’apprécier ou, au moins, à maintenir leur valeur dans le temps. »

    Cette remarque est d’autant plus vraie pour ce qui est des terrains. Mais concernant les immeubles et/ou locaux de la société, ne pensez-vous pas que cette appréciation (ou absence de dépréciation) de la valeur des biens soient un peu plus aléatoire ? Je m’explique.

    Dans un premier temps, les amortissements permettent de prendre en compte les éventuels frais futurs concernant la restauration des locaux (travaux divers, entretien, mise au norme, etc.). J’imagine que la majorité des entreprises font face, un jour ou l’autre, à ce type de frais.

    Dans un second temps, ne pensez-vous pas qu’il y a une grande différence entre des immeubles/locaux situés, par exemple, en plein centre ville et d’autres situés dans une zone industrielle, autrefois prisée, et devenue délaissée suite à des travaux d’aménagement visant à favoriser le développement d’une zone industrielle concurrente ? Dans ce cas, l’entreprise en question, après avoir amorti ses locaux, pourrait envisager la construction ou la location de nouveaux locaux dans la nouvelle zone ?

    1. Bonjour Antoine,

      Bien sûr que la revalorisation de l’immeuble dépendra de la zone dans laquelle elle se trouve.

      Nous sommes bien conscients que nos caculs restent relativement approximatifs mais nous pensons que cette approximation vaut bien plus que de ne pas tenir compte de ces actifs.

      Techniquement, un amortissement ne permet pas d’anticiper des charges d’entretien futures (ce sont, éventuellement, les provisions qui permettent ce genre d’anticipation) mais bien, comme nous l’indiquons, de matérialiser une perte de valeur d’un bien. Les charges d’entretien futures seront bel et bien prises en charge au moment de leur débours mais ce sera des charges d’exploitation. Et, en général, ces charges d’entretien des bâtiments ne représentent qu’une part très minime de l’ensemble des charges d’exploitation d’une entreprise.

      Mais nous reviendrons sur ce point d’ici quelques jours …

      1. Merci pour votre réponse ! Je ne suis qu’un débutant dans ce milieu et c’est vrai que les termes utilisés ne sont pas toujours les bons, notamment pour les amortissements !

        En revanche, avez-vous un moyen de vérifier la qualité des locaux/immeubles (Google map Street view ?!!!!)? Ce type d’information est-il disponible dans les rapports annuels ?

        1. Et non Antoine : nous déplacer pour vérifier la qualité des locaux nous coûterait trop cher (et de toute manière, nous ne sommes pas experts-immobiliers ») et une simple vue extérieure comme celle que peut offrir Google Map ne nous indiquerait rien.

          La qualité des immeubles est souvent mentionnée dans les rapports de sociétés foncières par exemple mais très rarement dans celui de sociétés industrielles ou commerciales.

  4. Bonjour,

    Je suis en train de relire certains articles dans la partie « analyse financière » et j’aurais deux questions:

    1/ « Nous excluons automatiquement les sociétés générant un chiffre d’affaires nul ou inférieur à 5 % de la valeur d’actif net net »
    Pourriez vous s’il vous plait en dire un peu plus ? Je crois comprendre que vous souhaitez un minimum de CA, mais pourquoi le comparer à l’actif net net ?

    2/ Capitaux Propres / (Passif – Cash)
    Vous dites que le cash n’est pas vraiment nécessaire au bon fonctionnement de l’entreprise donc vous l’enlevez. Je ne comprends pas, surtout dans l’analyse de la solvabilité de l’entreprise… Le cash, ça peut être bien utile pour payer ses dettes non ?

    1. Bonjour John,

      Nous comparons le ca à la VANN tout simplement … parce qu’il faut bien le comparer à quelque chose. Nous aurions tout aussi bien faire une comparaison avec la CB ou la VANT. L’objectif poursuivi ici est d’éviter de tomber sur des sociétés du style biotech ou exploration pétrolière qui n’aurait jamais démontrer leur capacité à générer de la capacité bénéficiaire et donc, qui pourrait tout aussi bien « brûler » tout leurs actifs avant de générer la moindre recette.

      C’est parce que le cash n’est pas nécessaire au bon fonctionnement de la société que nous le déduisons du passif. Nous estimons que cette trésorerie peut très bien être remboursée immédiatement aux actionnaires ou, comme vous le signalez, permettre de rembourser des dettes, donc qu’elle ne fait pas à proprement partie du cycle d’exploitation de la société. C’est la raison pour laquelle nous la déduisons du total du passif … ce qui améliore donc le ratio de solvabilité.

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