Au pays de Mickey, Donald chasse la daubasse …

Il existe très peu de gérants de fonds qui, comme nous, pratiquent l’investissement « deep value ».  Nous vous avons déjà présenté Walter Schloss, notre père spirituel, mais Martin Whithman, Seth Klarman et Chris Browne pratiquent également, quoi que dans une moindre mesure, la chasse à la daubasse.

Mais il existe un autre représentant de cette espèce rare : Donald Smith.

Il est le chef des investissements de Donald Smith & Co depuis 1980. Au cours de cette période, il a généré un rendement annuel moyen de 15,3 % (sur la même période, le S&P a généré un rendement dividendes inclus de 10,9 %) et, durant ces dix dernières années, un return de 12,1 % par an alors que le S&P perdait 0,4 % au cours de la même période.  Voilà une perf qui ferait des envieux !

Ceci dit, cher lecteur, vous savez que ce qui nous importe, ce n’est pas la performance en tant que telle mais bien la manière dont elle a été obtenue. Et celle de ce cher Donald a tout pour nous faire saliver …

 

Donal Smith, un autre élève de Graham

Donald Smith fut lui aussi, comme tant d’autres, élève de Benjamin Graham. Et c’est en faisant un travail bénévole pour le maître qu’il eut une révélation : à une époque où les bases de données informatisées n’existaient pas, Ben Graham souhaitait faire une étude sur le rendement obtenus par un portefeuille d’actions à bas PER.

Afin de calculer la rétro performance d’un tel portefeuille, il fit appel à des volontaires qui durent effectuer tous les calculs « à la main ».  Don Smith était un de ceux-là.  En effectuant ces calculs, il se rendit compte de la faiblesse de cette approche : des sociétés cycliques par exemple cotent à un per bas … lorsqu’elles sont en haut de cycles puisque c’est le moment où leurs bénéfices sont les plus importants.  Et cette approche pouvait amener les investisseurs à acheter à contre courant.

Lors de son premier emploi, il eut la possibilité d’utiliser enfin l’outil informatique pour réaliser quelques back test portant sur différentes approches et il lui apparut que l’achat en fonction de la valeur comptable était la meilleure ou, à tout le moins, celle qui alliait à la fois simplicité d’application et haut rendement.  C’est ainsi qu’il arrêta le grand principe de sa philosophie d’investissement, celui qui veut que

« toutes les actions devraient se valoriser à un prix en fonction de leur valeur comptable ».

Avec les screeners, le travail de pré sélection est aujourd’hui plus facile mais il effectue, tout comme nous, ses modestes clones, divers redressements comme de tenir compte des dilutions potentielles ou, au contraire, de ne pas tenir compte des goodwill.

Ce genre de travail est plus fastidieux et la majorité des investisseurs ne le font pas. Il privilégie aussi les sociétés qui ont une valeur de mise en liquidation supérieure à la valeur comptable, celle qui présente « une cerise sur le gâteau » en quelque sorte.

Il évite les sociétés à franchise évidente  parce qu’il pense qu’une franchise évidente se paie cher et peut tout de même disparaître avec le temps. Il ne voit d’ailleurs que Coca Cola qui ait réussi à maintenir sa franchise sur une très longue période. D’ailleurs, une bonne part  des sociétés qu’il acquiert disposent effectivement de franchise comme leur fichier de clients ou leur savoir faire mais celle-ci est moins évidente et, dans le cadre de son approche, gratuite.

Donald Smith apprécie aussi l’avantage concurrentiel que son approche lui procure : peu de gestionnaires de portefeuille la pratiquent et cela lui permet de détecter les plus belles inefficiences du marché.

Son équipe de gestion est composée d’analystes spécialisés par secteur. L’analyste de chaque secteur propose ses meilleures opportunités à Smith et, s’il les trouve intéressantes, elles sont discutées collégialement en réunion de direction.

La qualité de la direction de ses cibles n’est pas un critère important pour lui et la volatilité ne l’inquiète guère : ce qui compte, ce sont les perspectives à long terme et le fait de disposer d’un actif qui protège l’investissement en cas de « coup dur ».

C’est la raison pour laquelle il a très bien vécu les années 98 et 99 au cours desquelles il a sous-performé le marché.

En réalité, il estime que son approche lui permet réellement d’acheter des secteurs entiers quand ils sont bons marchés comme par exemple les big caps au début des années 80, l’industrie métallurgique fin des années 90 ou les producteurs d’énergie (pétrole, charbon ou gaz) il y a six ou sept ans.

Il estime aussi que son approche bottom up lui permet aussi de prévoir certains accidents macro économiques comme il y a trois ans quand il a constaté les valorisations excessives des entreprises de construction ainsi que leur endettement de plus en plus important.

 

Ne voyez-vous pas, cher lecteur, beaucoup de similitudes avec vos serviteurs des daubasses ?

Quelques différences tout de même :

En général, Smith vend ses sociétés à un prix équivalent à deux fois son actif tangible (là où nous nous contentons d’une seule fois), il travaille sans stop loss et accorde une certaine importance à la capacité bénéficiaire de la société : contrairement à nous, il préfère, si possible,  que la valeur de l’entreprise augmente par ses propres profits plutôt que par le fait qu’un concurrent la rachète.

Ceci dit, bien que notre approche soit similaire à celle de « Donald Daubasse », nous n’avons, en examinant son portefeuille, découvert qu’une seule société que nous détenons également : il s’agit, pour nos abonnés, de la daubasse masquées n°12.

Comme quoi, des méthodes d’investissement très proches peuvent très bien aboutir à des portefeuilles très différents.

 

<< Warren Buffet : Résumé de la lettre annuelle 2018

>> Seth Klarman et la valeur de liquidation

12 réflexions au sujet de « Au pays de Mickey, Donald chasse la daubasse … »

    1. Bonjour ex-comptable,

      Merci pour le lien. Ceci dit, l’article porte essentiellement sur les banques … dans lesquels nous n’investissons effectivement pas car nous trouvons que notre approche n’est pas exactement adaptée aux entreprises de ce secteur. Seule Blue Green détient un portefeuille de créances conséquent et pourrait, peut-être, être partiellement concernée par ce type de surestimation d’actifs. Enfin, rappelons que, pour limiter ce type de risque, nous retraitons nous même les postes de créances et de stocks en fonction de leur vitesse de rotation : https://blog.daubasses.com/2009/03/05/analyses-financieres-adaptees-aux-daubasses-7/

  1. Bravo les Daubasses pour vos articles en general et celui-ci en particulier. Donald est un deep value que je ne connaissais pas. Connaissez-vous Paul Sonkin qui, lui aussi pêche ds les eaux profondes du deep value?

    Une question encore: comment obtenez-vous le détail du portefeuille de Donald? J’ai cherché sur leur web et je n’ai pas trouvé.

    Merci les daubasses.

  2. Bonjour che(è)r(e)s memmbres des Daubasses.com,

    Merci de nous faire partager autant de points de vue différents. La différence de base, entre l’approche de D. Smith et la votre est, semble t il qu’il accorde beaucoup plus d’importance aux capacités bénéficiares futures des entreprises, alors qu’il me semble que vous vous focalisez plus sa la valeur actuelle (si j’ai j’ai bien compris votre philosophie?)

    L’un des points où je n’arrive pas à partager son opinion, mais peut-être cela m’empêche-t-il de passer de à côté de belles opportunités, est son refus de prendre en compte la qualité des équipes dirigeantes, alors que pour moi, sauf pour « coups » à très court terme, c’est devenu le critère prépondérant.

    Un point commun entre vous, est la prise en compte, AVEC RETRAITEMENTS des valeurs comptables. Je me rends compte qu’il est quelquefois difficile d’en décider. Je parlais ce soir avec un ami de Systran. Une société qui devrait vous ravir, si elle ne fait pas déjà partie de votre portefeuille (j’avoue à ma grande honte que je n’ai pas encore pris le temps de vous envoyer les quelques euros nécessaires pour avoir accès à votre daube-list – a contrario, cela présente l’avantage de pouvoir échanger librement avec vous sans craindre de trahir vos travaux). En bref, la situation de systran est la suivante : une rentabilité « incertaine » (qui oscille depuis 4 ans entre bons résultats, grosse cata et résultat atones). Une valorisation boursière ridicule, inférieure à sa trésorerie (ceci dit, je n’y aurais pas investi hier encore, en me disant que la trésorerie pouvait très bien être consommée par des pertes à venir). D’autant plus ridicule qu’elle vient de décrocher aujourd’hui 12 M€, soit le montant de sa capi boursière, en Dommages et intérêts suite à un procès contre la Commission Européenne (ne reste « plus » qu’à attendre le versement). Soit 24 M€ de trésorerie potentielle pour une valo de 11.

    Donc, le point était le suivant : en première approche, nous considérons que les immos incorporelles sont sans valeur et à exclure du bilan. Ici, 4 M€, versus 11 M€ de FP.

    Si je m’en réfères au positionnement de D. Smith, creuserait-il pour savoir si ces 4M€ sont vraiment sans valeur? Et vous?

    Sachant que le logiciel de cette société n’est pas le meilleur sur le marché, et qu’il nécessiterait des améliorations, je me demande si les dirigeants mettront à profit, ou pas, cette manne pour faire croitre la qualité de leur logiciel, et la valeur de leur entreprise. Et selon ses croyances, chacun pourra valoriser la société à deux, trois ou quatre fois sa valeur actuelle.

    Une question : avez-vous identifié sur la base de quels critères D. Smith arrive à valoriser la valeur de liquidation des actifs sur la base de 2 fois leur comptable? Même base que vous les immeubles, je suppose. Mais pour le reste?

    Cdlt
    23

    1. Bonjour Deuxtroy,

      Effectivement, pour nous, l’actif est le plus important dans notre décision d’investissement.

      Lorsque nous écrivons que nous ne tenons pas compte de la qualité des dirigeants, il faut bien nous entendre : la qualité non mais l’honêteté oui. Une direction médiocre mais honête nous convient tout-à-fait. Par contre, une direction brillante mais malhônete nous fera prendre nos jambes à notre cou.

      Qu’est-ce qu’une direction de qualité ? C’est une direction qui parvient à optimaliser la rentabilité des actifs mis à sa disposition. Une telle direction fera ressortir aux yeux du marché toute la vraie valeur de la société qu’elle dirige et il y aura donc peu de chance que cette société soit fortement sous évaluée. De plus, une direction, ça peut changer : par exemple, investir sur General Electric lorsque Jack Welsch était aux commandes, c’était peut-être pas une bonne idée parce qu’une fois cette légende vivante partie, ben … les performances de GE en ont pris un coup. Par contre, une direction médiocre, ça peut justement se remplacer … par une direction plus brillante qui pourra rentabiliser les actifs à sa disposition et donc faire ressortir la vraie valeur de la société. Nous rejoignons en cela Martin Withman : « Les sociétés sûres et bon marché ont souvent des problèmes de rendements des capitaux propres trop faibles à cause d’une concentration d’actifs sous-utilisés et positionnés de façon trop conventionnelle … Quand des bilans ultra conservateurs rencontrent des dirigeants capables et opportunistes, bien des sociétés affichant de faibles rendements des capitaux propres sont devenues des placements sur lesquels j’ai multiplié mon argent par 10 ou 20. »

      Nous achetons une société si nous avons une marge de sécurité par rapport à l’actif tangible de la société (ce que nous appelons sa VANE) : avoir un collatéral tangible en garantie de notre investissement est une exigence minimum. Par contre, nous pouvons établir notre potentiel de gain en fonction d’actifs intangibles, que nous ne parvenons pas à valoriser mais que nous savons être présent : un savoir faire scientifique ou technologique, un portefeuille de client, une situation de monopole. Bref, ce que nous avons appelé « la crise sur le gâteau« .

      Nous supposons que Donald Daubasse vend à deux fois la valeru d’actif net tout simplement parce qu’il achète des sociétés rentables et que c’est cette rentabilité qui lui fait conserver des sociétés à des valorisations plus élevées que nous.

      Nous n’avons pas suivi Systran parce que la valeur d’actif tangible (hors incorporelles donc) était vraiment trop réduite pour nous appâter. Le seul moment où elle aurait été achetable, selon nos propres critères, était en mars 2009. Mais à cette époque, il y avait, selon nous, bien mieux sur le marché.

Répondre à Lionel Annuler la réponse

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *