Analyse financière : les amortissements

Précédemment, nous vous avions expliqué pourquoi l’analyste qui se penche sur les comptes d’une société se doit d’être attentif à la méthode de valorisation utilisée par la direction notamment en ce qui concerne les stocks.

Aujourd’hui, nous vous proposons de porter votre attention sur un autre choix de la direction portant sur la valorisation des actifs de la société. Il s’agit du choix des méthodes d’amortissement des actifs fixes de l’entreprise. Nous avions déjà expliqué dans un précédent article comment nous abordions la problématique de ce poste pour l’évaluation de l’immobilier de l’entreprise mais il nous a semblé intéressant d’élargir notre approche afin de montrer comment un investisseur peut utiliser les informations cachées que recèle cette rubrique.

Lorsqu’une entreprise achète un bien nécessaire à son exploitation et dont la durée de vie est longue (plus d’un an) mais limitée dans le temps, elle n’affecte pas le coût d’acquisition de ce bien directement comme une charge pour elle mais considère, à juste titre, qu’il s’agit d’un investissement. Ensuite, elle considérera comme une charge « l’usure » de ce bien et amputera chaque année le coût de cette usure.

Le problème, c’est que l’évaluation de cette usure (ou de la durée de vie du bien en question) est du choix de la direction de l’entreprise et est donc subjectif.

Il existe plusieurs méthodes d’amortissement. La plus classique est celle de l’amortissement linéaire. Imaginons la société « Technodaubasse Inc». Elle acquiert une ligne d’assemblage de composants électroniques pour la somme de un million de dollars. La direction estime la durée de vie normale de cette ligne à 10 ans. Lors de l’acquisition de la ligne d’assemblage, l’actif de la société augmentera du montant du coût d’acquisition du bien, soit un million de dollars. Ensuite, chaque année, la société considérera comme une charge dans son compte d’exploitation l’usure de ce bien, soit 100 000 dollars chaque année et la valeur du bien à l’actif du bilan de Technodaubasse diminuera de 100 000 dollars.

La deuxième possibilité est de pratiquer l’amortissement accéléré ou dégressif.

Comme son nom l’indique, cette méthode permet aux entreprises d’amortir une plus grande part de leurs actifs dans les premières années de vie du bien et moins dans les dernières années.

Dans la pratique, on pratique la première année un amortissement qui représente le double du montant normalement amorti et, les années suivantes, on applique ce même amortissement doublé mais sur la valeur résiduelle du bien.

Un petit dessin valant mieux qu’un long discours, voici le tableau d’amortissement comparatif portant sur cette fameuse ligne d’assemblage.

 

amo linéaire valeur restante en
amo linéaire
amo dégressif valeur restante en amo dégressif
acquisition

1.000.000

1.000.000

année 1

100.000

900.000

200.000

800.000

année 2

100.000

800.000

160.000

640.000

année 3

100.000

700.000

128.000

512.000

année 4

100.000

600.000

102.400

409.600

année 5

100.000

500.000

100.000

309.600

année 6

100.000

400.000

100.000

209.600

année 7

100.000

300.000

100.000

109.600

année 8

100.000

200.000

100.000

9.600

année 9

100.000

100.000

9.600

0

année 10

100.000

0

0

 

L’impact pour l’analyste ? Vous le voyez vous-même : si, par exemple, vous analysez les comptes de la 5e année, selon la méthode d’amortissement choisie, la ligne d’assemblage vaudra 500 000 dollars ou 309 600. Autrement dit, vous aurez plus de chance de tomber sur une  « bonne surprise » en cas de revente ou de mise en liquidation de la société si celle-ci a utilisé la méthode d’amortissements dégressifs puisque les actifs repris dans les comptes qu’elle publie sont sous évalués par rapport à la méthode linéaire.

Mais il y a pis ! Imaginons que Technodaubasse connaisse des graves difficultés liées, un exemple au hasard, à une grave crise des dettes souveraines entraînant une récession économique et un resserrement des crédits bancaires. Afin d’améliorer artificiellement son compte de résultat, la direction décide de porter la durée d’amortissement de sa toute nouvelle ligne de production à 20 ans alors qu’elle sait que la durée de vie normale est de 10 ans.  L’amortissement annuel est alors de 50 000 dollars au lieu de 100 000 et la valeur dans les comptes de ce bien la 5e année sera de 750 000 dollars …  Alors, cher(e) lecteur(trice), dans lequel de ces trois cas avez-vous le plus de chance d’obtenir de la vraie valeur cachée ?

          Celui de la direction indélicate qui amorti trop lentement ?

          Celui de la direction objective qui amorti suivant la vraie durée de vie du bien ?

          Ou celui de la direction prudente qui amorti de manière dégressive à tour de bras ?

En conclusion, si vous tombez sur une entreprise dont  la durée d’amortissement des actifs est très longue … méfiance …

Quand vous plongez dans les états financiers, il peut être utile de  vérifier les types d’amortissements comptables utilisés et de les comparer à un concurrent pour voir s’ils sont en  en ligne avec les normes de l’industrie. Mais aussi, pourquoi pas, de comparer le ratio « amortissements/actifs fixes d’exploitation » de deux entreprises d’un même secteur. 

Ainsi, sur base des comptes 2010, Peugeot propose des actifs fixes d’exploitation pour 20 179 (page 28 du rapport financier, postes « goodwill », « immobilisation incorporelles » et « immobilisations corporelles ». Ces biens sont amortis pour 2 966 (page 30). Le ratio est donc 0,147.

Prenons maintenant un concurrent de Peugeot, par exemple BMW. Le même ratio y est de 0,233.

Il y a fort à parier que le second constructeur, qui présente le ratio le plus élevé et donc une politique d’amortissement accélérée,  est celui dont les actifs sont les plus sous évalués au niveau de ses présentations bilantaires et donc, celui qui pourra peut-être, en cas de cession, en tirer le prix le plus élevé par rapport à sa valeur comptable.

 

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3 réflexions au sujet de « Analyse financière : les amortissements »

  1. J’aime bien enfoncer des portes ouvertes ou dire des grosses conneries.

    Je me lance si vous le voulez bien.

    Très bien cet article.

    Mais, que faites vous des locations ?

    Au lieu d’investir, une société choisie de louer. Que faites vous de ce cas ? Votre comparaison avec son concurrent risque de la rendre intéressante sur un malentendu ?

    Vous préférez une entreprise qui amortie vite qu’une le faisant lentement. Moi aussi. Mais préférez vous toujours une entreprise qui amortie rapidement du matériel de mauvaise qualité à la place de l’entreprise qui amortie lentement du matériel de bonne qualité ? On pourrait croire que la première entreprise a fait un meilleur choix, alors que ses OPEC risquent par la suite exponentiels et la valeur de l’investissement nulle.

    De plus, la qualité du matériel ou la « marque » n’est pas inscrite en gros dans le bilan (j’avoue, j’ai du mal à valoriser les machines outils allemandes).

    Les comptes sont sensés être une image fidèle de la santé financière de l’entreprise, et la on risque de nombreux malentendus.

    1. Bonjour Super Pognon,

      Si la société loue son matériel plutôt que de l’acquérir, elle n’en est pas propriétaire et donc … il n’y a aucune raison d’en tenir compte dans sa valeur patrimoniale puisqu’en cas de liquidation, la valeur de ce matériel ne reviendra pas aux actionnaires de la société. Et ce matériel loué n’est pas amorti, donc le ratio amortissement/actif reste proportionnellement correct (sauf évidemment si les biens loués sont tous des biens qu’on aurait amorti proportionnellement sur une longue durée et que la société n’amorti que les biens à courte durée de vie).

      Bien sûr, on ne connaîtra jamais avec précision la vraie valeur des actifs d’une société … et même en nous déplaçant et en allant voir sur place, nous aussi sommes incapables de valoriser les machines outils qu’elles soient allemandes ou autres. Les comptes donnent des pistes, laissent des indices, des présomptions mais c’est à l’enquêteur de les interprèter pour tenter de reconstituer un portrait … qui ne sera jamais qu’un portrait-robot, pas la vraie photographie.

      Ceci dit, nous en sommes conscients … mais comme disait l’Oracle d’Omaha : « nous préfèrons de l’à peu près juste à du tout-à-fait faux ».

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