La vie au quotidien : un process comme un autre

Vous le savez cher(e) lecteur(trice), nous sommes dans notre approche d’investissement des adeptes du respect d’un process car nous pensons qu’il permet de contrer de nombreux biais psychologiques de l’investisseur. Ce concept carré, presque obtus diront certains, de notre philosophie concernant la gestion de nos actifs peut parfois paraître quelque peu cloisonné. L’application de ce processus est l’aboutissement d’une volonté d’amélioration, le souhait de structurer une idée, et découper le tout en mots, en phrases, en outils, en limites n’a pour objet que de nous permettre d’obtenir un rendement optimisé. Ce désir de vouloir trouver une technique n’est pas nouveau.

Benjamin FranklinEn effet, à la lecture de l’ouvrage autobiographique de Benjamin Franklin Avis nécessaire à ceux qui veulent devenir riches sous-titré Mémoires et propos au fondement de l’Amérique marchande, nous apprenons que l’un des plus illustres personnages de notre histoire contemporaine a tenté de « processer » sa vie dans un objectif de performance optimale. Nous trouvons le parallèle avec un process quel qu’il soit, comme celui que nous appliquons par exemple pour nos investissements, enrichissant et surprenant. Nous vous invitons à prendre connaissance par la suite de l’origine de sa mise en place, son « cahier des charges » et comment il a pu être mis en application par l’un des pères fondateurs de l’Amérique capitaliste moderne. Libre à vous d’en tirer les enseignements que vous souhaitez, nous n’avons aucun avis sur l’intérêt d’appliquer un tel « process de vie » pour un individu. Cet exemple se veut purement démonstratif et nous a paru intéressant scientifiquement parlant, si nous pouvons d’ailleurs nous permettre de le qualifier de scientifique, une expérience de vie empirique.

 

L’expérience

Franklin est déjà un imprimeur renommé quand il a décidé de se lancer dans ce nouveau projet « parvenir à la perfection morale ». Il « désirait passer [sa] vie sans aucune faute aucune dans aucun temps ». Ainsi, pour éviter les fautes qu’il a l’impression de sans cesse répéter, il souhaite mettre en place une méthode. Franklin a alors répertorié les concepts, idées, en définissant les termes et en essayant de les traduire dans un maximum de mots concrets. Ainsi, il définit 13 vertus essentielles avec leurs préceptes :

1. La sobriété. Ne mangez pas jusqu’à être appesanti ; ne buvez pas jusqu’à ce que votre tête soit affecté.process de vie, process d'investissement

2. Silence. Ne dites que ce qui peut être utile aux autres et à vous-mêmes. Évitez les conversations frivoles.

3. Ordre. Que chaque chose ait chez vous sa place, et chaque partie de vos affaires son temps.

4. Résolution. Soyez résolu de faire ce que vous devez et faites, sans y manquer, ce que vous avez résolu.

5. Economie. Ne faites aucune dépense que pour le bien des autres ou pour le vôtre, c’est-à-dire ne dépensez rien mal à propos.

6. Application. Ne perdez point de temps, soyez toujours occupé à quelque chose d’utile, abstenez vous de toute action qui ne l’est pas.

7. Sincérité. N’usez d’aucun déguisement nuisible ; que vos pensées soient innocentes et justes, et conformez-vous-y quand vous parlez.

8. Justice. Ne nuisez à personne, soit en lui faisant du tort, soit en négligeant de lui faire le bien auquel vous oblige votre devoir.

9. Modération. Evitez les extrêmes ; gardez vous de vous ressentir des torts autant que vous croyez qu’ils le méritent.

10. Propreté. Ne souffrez aucune malpropreté sur votre corps, sur vos habits et dans votre maison.

11. Tranquillité. Ne vous laissez troubler ni par des bagatelles, ni par des accidents ordinaires ou inévitables.

12. Chasteté. Livrez-vous rarement aux plaisirs de l’amour, n’en usez que pour votre santé ou pour avoir des descendants, jamais au point de vous abrutir ou de perdre vos forces et jusqu’à nuire au repos et à la réputation de vous ou des autres.

13.  Humilité. Imitez Jésus et Socrate.

Une fois les différentes habitudes listées et les moyens identifiés, Franklin a décidé de ne pas s’approprier toutes ses vertus en une fois. Son process était de s’accaparer une vertu une par une pour que son attention quotidienne soit focalisée sur une seule. Et ainsi l’assimiler au mieux, avant d’essayer de devenir vertueux dans le domaine suivant. Pratiquement, il a ainsi établi des fiches hebdomadaires avec en en-têtes les jours de la semaine « lundi, mardi, … » et en ligne les 13 vertus en s’attachant à privilégier chaque semaine son attention plutôt sur une vertu. Ainsi, en fin de chaque journée, il marquait la fiche d’un point à chaque fois qu’il fautait en face de la vertu en question. Et il considérait qu’une vertu était assimilée uniquement lorsque la semaine échue, il ne constatait plus de marques dans la vertu correspondante. Le chemin était ardu et pour se motiver au quotidien ou lors de la revue journalière, il s’auto-stimulait à travers des citations ou des prières qu’il avait lui-même rédigé. En voici quelques exemples.

Epigraphe de Cicéron : « Ô philosophie, guide de la vie ! Source des vertus et fléau des vices ! Un seul jour employé au bien et suivant les préceptes est préférable à l’immortalité passée dans le vice ».

Ou encore, un proverbe de Salomon : « La longueur des jours est dans sa main droite et dans sa gauche la richesse et les honneurs, ses voies sont des voies de douceur et tous ses sentiers sont ceux de la paix ».

Bien que n’étant pas un homme de foi ou un pratiquant d’une quelconque religion, Franklin considérait tout de même Dieu comme source de sagesse. Il rédigea ainsi la courte prière suivante :

« Ô bonté puissante !

Père bienfaisant ! Guide miséricordieux !

Augmente en moi la sagesse, pour que je puisse connaitre mes vrais intérêts,

Fortifie ma résolution pour exécuter ce qu’elle prescrit,

Agrée mes bons offices à l’égard de tes autres enfants,

Comme le seul acte de reconnaissance qui soit en mon pouvoir pour tes faveurs continuelles envers moi. »

De tout ce travail, il a ainsi pu établi une journée type :

Plan pour l’emploi des 24 heures du jour naturel

Question du matin. « Quel bien dois-je faire aujourd’hui ».

Créneau 5h – 8h : Me lever, me laver et invoquer la puissante bonté, régler les affaires et prendre les résolutions du jour, continuer les études actuelles, déjeuner.

Créneau 8h – 12h : Travail.

Créneau 12h – 14h : Lecture ou examens de mes comptes et diner.

Créneau 14h – 18h : Travail.

Créneau 18h – 22h : Ranger tout à sa place, souper, musique, récréation, conversation, examen du jour.

Question du soir. « Quel bien ai-je fait aujourd’hui ».

Créneau 22h – 5h : Sommeil.

Benjamin Franklin a pu observer les points suivants. Tout d’abord, il fut étonné de la multitude de défauts dont il était rempli. Il observait des progrès très faibles qui l’ont presque poussé à abandonner. Pour synthétiser – les plus curieux d’entre vous auront le loisir de lire l’ouvrage complet -, Franklin a réussi à modeler quelques traits de sa personnalité. Mais il a surtout constaté que certaines vertus ne seraient jamais siennes. Et il en a conclu qu’il ne pourrait être parfait au sens où il avait défini lui-même les 13 vertus, qu’il ne pouvait ainsi modifier seulement quelques traits de sa personnalité et qu’il devait s’en accommoder ainsi, tout en ayant conscience de ses limites afin d’en minimiser les impacts négatifs dans sa vie quotidienne.

Cette expérience de vie eut néanmoins l’avantage de se questionner sur les fondements philosophiques des actes et sentiments qui permettent l’épanouissement d’un homme. Franklin désirait même rédiger un livre qu’il aurait intitulé L’Art de la vertu afin de fournir à tout homme les moyens et la manière d’acquérir la vertu. Et comme il l’a lui-même expliqué, celui qui s’essaie à perfectionner son écriture dans le sillage des plus belles écritures, même s’il n’atteint pas la perfection, il rend son écriture plus nettement lisible. Pour le paraphraser, nous pourrions dire que le travail d’amélioration vers un objectif peut paraitre ambitieux. Il permet néanmoins de s’améliorer et contrairement à celui qui se sera contenté de penser à s’améliorer, le fait de faire et de commencer une entreprise est toujours profitable.

Apports de Franklin pour la définition d’un process et sa mise en application

réflexion investissement boursierLes leçons que nous pouvons tirer de cette expérience à titre d’individu (ou d’entité) qui a la volonté d’améliorer un système dans un but précis sont tout d’abord qu’une rigidité extrême n’est pas tenable dans le temps. Un process, quel qu’il soit, doit pouvoir s’accommoder dans sa mise en œuvre d’une certaine souplesse. Ou autrement dit, pour chaque individu (ou entité), le process doit être adapté à ce que nous pouvons appeler les us et coutumes. Si les contraintes du process sont trop fortes, en décalage avec les habitudes de vie ou trop éloignés des fonctionnements historiques classiques d’une organisation, il aura du mal à être adopté et sera difficilement durable, pérenne.

Le second enseignement de cette aventure humaine que nous retenons semble être le fait que dès sa mise en place, les bornes comme les critères doivent être sélectionnés de façons telles qu’ils sont en accord avec les objectifs souhaités. Ils doivent ni être trop ambitieux, dans quel cas ils seraient trop restrictifs et limitatifs, ni trop expansifs au risque de devenir inefficaces dans leurs résultats.

Enfin, les citations, remarques ou autres pamphlets d’illustres individus dans le domaine que nous cherchons à améliorer peuvent être une idée à reprendre. Lors des moments de doute des bien-fondés du process ou simplement de lassitude, ils peuvent permettre de rappeler l’objectif du process et, de par l’image que l’individu cité reflète, que cet objectif est non seulement atteignable, mais louable.

Nous ne pouvons que vous conseiller la lecture de ce livre traduit dans un français d’une intelligence rare pour vivre, par procuration, au-delà de cette expérience qui n’est qu’une des facettes de la personnalité de Benjamin Franklin, une aventure humaine palpitante.

3 réflexions au sujet de « La vie au quotidien : un process comme un autre »

  1. .
    Merci beaucoup pour cette présentation d’un ouvrage qui m’était inconnu.
    Le sujet m’intéressant, son auteur ayant une autorité évidente, je m’empresse de l’acquérir.

    Bien à vous.

  2. Aborder la vie au quotidien de cette manière est très intéressant. En plus votre article est bien détaillé ce qui donne envie de lire l’ouvrage en question. J’ai lu l’ouvrage de Benjamin franklin « l’art de se rendre désagréable », je sens que celui là sera tout aussi intéressant

  3. Bonjour à toute l’équipe,

    En complément de vos réflexions, je retiens, de mon côté, que le fait d’établir un process doit permettre de créer une habitude chez l’individu qui le met en place.

    Je viens récemment de terminer le livre de Naoléon Hill « Réflechissez et devenez riche » qui expose 14 étapes pour accéder à la réussite. De mon point de vue, ces étapes constituent un process à part entière dans la mesure où ce process permet à individu de créer une certaine routine, et donc habitude, dans l’application quotidienne de ces étapes.
    La clé principale de réussite selon Napoléon Hill provient du fait de persister dans son effort et de ne pas abandonner.

    Du coup, la mise en place d’un process permet de tenir bon malgré la fatigue ou les effets de la lassitude qu’un individu peut rencontrer sur des périodes relativement longues.

    Si je fais le parallèle avec l’investissement, c’est l »action répétée et prolongée, déterminée par votre process de chasse de Daubasse, qui vous permet d’obtenir vos résultats sur de longues périodes de temps.
    Étant donné, que l’investissement s’apprécie sur un horizon de temps assez large, il me semble que cela constitue également un point crucial dans l’accomplissement d’objectifs à long terme.

    Merci pour votre partage de réflexion toujours enrichissant

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