Les daubasses ? Des investisseurs simplets ou des investissements en toute simplicité ?

« Je trouve votre approche de l’investissement un peu trop simpliste. A ne vouloir investir que sur base des valeurs inscrites au bilan, ne passez-vous pas à côté d’un grand nombre d’opportunités ?« 

Voilà la question qui nous a été posée par un de nos lecteurs que nous pourrions qualifier d’investisseur averti.

Si le terme « simpliste » utilisé pour notre approche nous semble un peu trop péjoratif, nous reconnaissons bien volontiers qu’on peut la qualifier de « simple » du moins dans sa phase de pré-sélection.

Oui, au départ, nous présélectionnons nos sociétés sur base de deux ou trois petits calculs basiques : nous prenons l’actif courant de la société, en déduisons les dettes et, le cas échéant, ajoutons l’immobilier à son coût d’acquisition amputé de 20 %. Nous comparons cette valeur à celle que nous donne le marché et regardons si nous pouvons l’acquérir moyennant une marge de sécurité suffisante. Et… c’est tout. Du moins, en ce qui concerne les raisons d’acheter, parce qu’à partir de ce moment-là, nous allons surtout rechercher les raisons de ne pas l’acheter.

Et là, le procédé est nettement moins « simpliste ». Il faut rechercher les engagements hors bilan et les valoriser, il faut vérifier si la valorisation réelle des actifs du bilan ne pourrait pas être inférieure à ce qui y est inscrit, il faut regarder s’il n’y a pas de risque de dilution future, il faut constater que le siège de la société est situé dans un pays qui respecte les droits des actionnaires et, les deux points les plus difficiles, tenter de découvrir si la direction est honnête et si la société ne risque pas de voir son actif tangible fondre complètement avant que nous ayons pu réaliser une plus-value.

Bref, le process de « non sélection » est sans doute un peu plus compliqué que ce qu’il transparaît à première vue.

Mais revenons sur le simplisme ou plutôt le « trop simplisme » de la recherche des arguments d’achat.

Nous supposons que notre aimable lecteur estime qu’il existe, hors bilan, des valeurs « cachées » tout comme il existe des dettes hors bilan. Et, il a absolument raison.

Prenons un exemple au hasard… disons… Bershire Hataway.

Notre process de sélection nous indique de prendre en compte pour valoriser la société uniquement la valeur d’actif net tangible. Au 30/06, celle-ci s’élève à 108 847 usd par action. Comme nous exigeons une marge de sécurité de 30 %, cela signifie que notre meilleur prix d’achat pour le conglomérat de Warren Buffett se situe à 76 000 usd … à comparer à un cours actuel de près de 220 000 usd ! A partir de ce seuil d’achat, notre process d’investissement nous fera rechercher des raisons de ne pas investir sur Berkshire Hataway  et il y a fort à parier que nous n’en trouverons pas.

La question qui se pose suite à la question de notre interlocuteur est  donc la suivante : si nous n’avons pas trouvé de raison de ne pas acheter, ne pourrions-nous pas rechercher des raisons de relever notre seuil d’achat ?

En voici une petite liste non exhaustive…

1. Vu les qualités d’investisseur de l’Oracle d’Omaha, ne devrions-nous pas considérer les Goodwill inscrits au bilan comme des « vraies valeurs » en partant du principe que si « le meilleur investisseur de tous les temps » a accepté de les payer, c’est qu’ils valent bien « quelque chose » ?

2. Etant donné que, de manière systématique, les filiales d’assurance de BRK présentent un taux d’encaissement de prime supérieur à celui des indemnités payées, ne serait-il pas raisonnable d’estimer que les provisions techniques d’assurance ne seront jamais utilisées et de les considérer comme des fonds propres plutôt que comme des dettes ?

3. Etant donné que l’immobilier est inscrit à sa valeur d’acquisition amortie, ne peut-on penser que celui-ci vaut bien plus que sa valeur au compte ou même que sa valeur d’acquisition ?

4. Les installations ferroviaires ne doivent-elles pas être valorisées à la hausse vu la forte barrière contre la concurrence dont elles disposent…

Disons-le d’emblée : toutes ces considérations mériteraient d’être prises en considération… mais comment vérifier leur pertinence ? Buffett aussi brillant soit-il peut très bien s’être trompé sur les survaleurs à payer ou, plus simplement, les raisons qui justifiaient ces survaleurs peuvent avoir disparu. Vu les activités de ré-assurance de Berkshire Hataway, il est possible qu’un énorme sinistre impose un jour de « taper » dans les provisions techniques. Comment vérifier que la valeur de l’immobilier vaut bien plus que sa valeur aux comptes ? Quant aux installations ferroviaires, qui dit qu’elles ne seront pas un jour frappées d’obsolescence en raison de l’émergence d’une nouvelle technologie (des dirigeables par exemple) ?

Nous ne disons pas que les éléments cités ne doivent pas être pris en compte, nous ne disons pas non plus que payer plus de 76 000 usd  pour des actions BRK A est une folie mais nous voulons expliquer ici que, pour la majorité des investisseurs qu’ils soient amateurs ou professionnels, il est très difficile de déterminer des survaleurs au niveau de l’actif avec certitude.

Pour notre part, nous préférons les bonnes surprises aux mauvaises et c’est la raison pour laquelle, si nous pensons avoir trouvé l’une ou l’autre richesse cachée en examinant les rapports financiers d’une société, nous classons soigneusement l’information dans un coin de notre tête mais, en aucun cas, ces seuls éléments seront des arguments d’achat.

Malgré tout, nous-mêmes  cédons parfois à la tentation « de la complexité » comme cette fois où nous sommes devenus des spécialistes du secteur agricole dans les Balkans ou, avant notre période « Daubasses », quand nous pensions être capables de valoriser une marque prestigieuse ou l’avantage compétitif d’un management de très haut niveau.

Nous avions pris énormément de plaisir à travailler sur chacun de ces cas, nous avions l’impression de parfaitement maîtriser les différents éléments valorisant ces sociétés et même nous avions eu le sentiment grisant de devenir les cadors de la bourse, des gars qui « voyaient des choses » que la plupart des investisseurs chevronnés ne voyaient pas.

Et pourtant, si aucun de ces investissements ne s’est avéré catastrophique, le rendement qu’ils ont généré n’a pas de quoi nous enthousiasmer et a le grand mérite de nous faire garder les pieds sur terre.

Oui, la grosse complexité de notre approche… c’est de lui conserver sa simplicité. Rédiger une analyse élaborée est valorisant tant par rapport aux autres que par rapport à soi-même : on a l’impression de développer plus d’intelligence, d’utiliser une plus grande part de ses capacités. Mais au bout du compte, sauf à détenir les facultés d’analyse cumulées d’un Bruce Greenwald et d’un Phil Fischer, à passer plusieurs semaines à plancher sur un dossier, à ne pas hésiter à se déplacer pour aller constater sur place, à maîtriser l’environnement commercial, concurrentiel, juridique et fiscal dans lequel évolue la cible, … au bout du compte disions-nous, est-on certain qu’un process d’investissement élaboré et complexe sera plus efficace qu’une approche simple basée sur le « bon sens paysan » ?

 

« Il vaut mieux prendre des principes moins nombreux et de nombre limité »  Aristote

5 réflexions au sujet de « Les daubasses ? Des investisseurs simplets ou des investissements en toute simplicité ? »

  1. bonjour!

    pour la première partie, je dirai que je préfère rater une bonne affaire que d’en faire une mauvaise,
    ensuite, de manière plus philosophique : la simplicité est le refuge des êtres complexes.
    belle journée à vous!

  2. Je dirais que la méthode net-net, comme toutes les méthodes quantitatives, sont peut-être mathématiquement « faciles » à mettre en oeuvre mais sont psychologiquement éprouvantes car l’être humain ne peut s’empêcher de « mettre son grain de sel » en essayant de trouver des caractéristiques « qualitatives » à un investissement.
    Quand vous achetez des sociétés sur la base de critères quantitatif, vous pouvez très bien vous retrouver avec des sociétés dont vous n’appréciez pas l’activité, qui sont repoussantes, dans un secteur « has been »…
    Pas facile de se résoudre à être propriétaire de ce type de société !!

    Ce que je trouve absolument exemplaire dans le travail que nos camarades des Daubasses réalisent depuis toutes ces années, c’est la rigueur avec laquelle ils appliquent à la lettre leur process.
    Un grand coup de chapeau pour cela Messieurs, et je crois bien qu’il s’agit de la clé de la réussite…

  3. Faire simple est surement plus compliqué qu’il n’y parait !

    Je ne sais pourquoi l’homme aime se compliquer la tâche. C’est surement dans sa nature. La finance n’échappe pas à ce phénomène. Cela me rappel une remarque de la Reine d’Angleterre envers un financier, lui demandant comment il n’avait pu voir venir la crise (des subprimes) malgré toute l’intelligence et science employées dans la finance !!

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