Les chroniques de l’investisseur chronique : Comment choisir son employeur ?

rp_chronique-investisseur-300x188.jpgCe texte fait partie de la série proposée par notre ami-chroniqueur Laurent Muller.

Même si nous ne partageons pas tout-à-fait les mêmes principes d’investissement, nous nous sommes trouvés énormément de points communs et les raisonnements développés parLaurent nous ont paru marqués par le sceau du bon sens.

Il nous a semblé intéressant de vous faire profiter de ces raisonnements et c’est la raison pour laquelle Laurent tiendra, sur ce blog et à intervalles réguliers, une chronique présentant ses principes d’investissement.

Ce sera l’occasion de débattre avec l’équipe des daubasses mais aussi avec vous, ami( e) lecteur(trice) des sujets qui seront développés par notre ami.

 

Dans un précédent article, j’ai listé des critères de sélection d’une entreprise du point de vue de l’actionnaire afin d’effectuer un choix dans l’étendue des possibles. Dans cette chronique, je vais lister des critères de sélection d’un poste dans une entreprise, du point de vue de l’employé.

 

Que peut apporter une entreprise à un employé ?

Du point de vue de l’employé, une entreprise peut permettre de :

  • Recevoir une rémunération, habituellement en échange de son temps.
  • Augmenter ses compétences.
  • Développer son réseau.
  • Se réaliser.

Examinons en détail les critères non-quantifiables et quantifiables correspondant à ces aspirations de l’employé.

Critères non-quantifiables

Certains critères de choix sont difficilement quantifiables pour une analyse systématique:

  • L’intérêt pour le poste.
  • Le domaine professionnel.
  • L’éloignement géographique du poste.
  • La possibilité d’apprendre et de développer ses compétences et son expertise personnelle.
  • La possibilité de développer son réseau relationnel.
  • Les conditions de travail proposées (hors rémunération).
  • La probabilité de succès.
  • La stabilité du poste.
  • La qualité du management et des collègues.
  • L’ambiance dans l’entreprise et dans l’équipe.

Critères quantifiables

D’autres critères sont quantifiables:

  • La taille de l’entreprise : dans une petite structure, il existe un risque de ne pas pouvoir évoluer, de faire rapidement le tour du sujet et d’atteindre des limites dans sa progression de carrière. Une position intéressante dans une petite structure me semble être celle du chef d’entreprise (si possible actionnaire), dont la situation personnelle peut évoluer avec celle l’entreprise.
  • Le rythme de croissance de l’entreprise : une entreprise statique ou en décroissance offrira mécaniquement moins d’opportunités d’évolution qu’une entreprise en croissance.
  • La stabilité financière de l’entreprise : souhaiteriez-vous rejoindre une entreprise au bord de la faillite, avec un risque que vos salaires ne vous soient pas payés ? La stabilité ou l’amélioration de la structure du bilan sur les dernières années peuvent traduire la stabilité financière de l’entreprise.
  • Le chiffre d’affaire par employé : ce critère révèle la facilité qu’a une entreprise à rémunérer correctement ses employés.
  • Le bénéfice net par employé : ce critère me semble plus volatil que le précédent mais donne également une indication intéressante sur la capacité d’une entreprise à rémunérer correctement ses employés.
  • La moyenne d’âge : appartenez-vous à la même génération que les autres employés ?
  • L’évolution du nombre d’employés durant les dernières années : l’entreprise est-elle en recherche de personnel ou non ?
  • Le salaire moyen par employé : comment sont rémunérés les employés ?
  • Le salaire correspondant au poste proposé: comment serez-vous rémunéré ?

Des critères quantifiables permettent de gommer l’aspect émotionnel d’un choix et de systématiser l’examen de ces critères. Comme pour la sélection d’actions, comparer des entreprises les unes aux autres voire développer un screener pour identifier les entreprises correspondant à certains critères permet de rationnaliser un choix.

 

Un exemple de systématisation – Le chiffre d’affaire par nombre d’employés

A titre d’exemple de systématisation, j’ai repris dans le tableau ci-dessous, pour différentes entreprises, le chiffre d’affaire par employé (données collectées en mars 2014; la fiabilité des données de ce tableau doit être considérée comme relative). Ce ratio est une mesure de la corrélation entre le niveau de rémunération des employés et leur impact sur le bénéfice de l’entreprise. Ainsi, si le CA / employé est faible, il y aura une forte corrélation et l’entreprise aura intérêt à minimiser ce poste de dépense pour accroître significativement le bénéfice. A l’inverse, une entreprise ayant un CA / employé élevé pourra se permettre de bien rémunérer ses employés, sans que cela n’impacte significativement son bénéfice, encore faut-il que l’entreprise en ait également la volonté.

Actions Chiffre d’affaire (milliers d’euros) Nombre d’employés CA (en euros) / employé
CVG 166868 282 591730
DBT 33350 330 101061
ES 17703400 1891 9361925
EXAC 525742 3137 167594
HF 112847 341 330930
LNC 571798 1045 547175
PAN 165182 836 197586
GIRO 127564 1014 125803
VET 151899 84 1808321
AC 5649000 52062 108505
AL 15225200 49500 307580
AIR 56480000 140405 402265
ALU 14446000 72344 199685
ALO 20269000 86252 234997
MT 57707392 245000 235540
AXA 84592000 94364 896444
BNP 39072000 188551 207222
EN 33547000 136904 245040
CAP 10264000 121829 84249
CA 76127000 358396 212410
ACA 16315000 79282 205784
BN 20869000 102401 203797
EDF 72729000 154730 470038
EI 4988845 50212 99356
GSZ 97038000 236156 410906
KER 9736300 33439 291166
LG 15198000 64337 236225
LR 4460000 35250 126525
MC 28103000 91837 306010
ML 20719000 113839 182003
OR 22463000 72637 309250
ORA 43515000 163545 266074
RI 8215000 18308 448711
PUB 6610000 57500 114957
RNO 41270000 127086 324741
SAF 13615000 53407 254929
SGO 43198000 192922 223914
SAN 34947000 111974 312099
SU 23946000 140491 170445
GLE 22831000 154009 148245
SOLB 12435000 29103 427276
TEC 8203900 36500 224764
FP 200060992 97126 2059809
VK 5578000 22004 253499
VIE 29438500 248805 118320
DG 40338000 192701 209329
VIV 28994000 63100 459493

 

En prolongement de ce premier exercice de quantification, ajouter à ce tableau la rémunération moyenne par employé permettrait de déterminer les entreprises qui ont à la fois la capacité et la volonté de rémunérer correctement leurs employés.

 

Conclusions

Les critères de choix d’une entreprise pour un investissement ou pour un emploi ne répondent pas aux mêmes exigences et induisent donc des résultats différents. L’investisseur et l’employé rationnels réunis en une même personne ne sont pas schizophrènes mais s’adaptent de manière opportuniste au contexte.

En revanche, pour l’investissement comme pour la recherche d’un emploi, il est possible de distinguer des critères quantifiables et non-quantifiables.

Les critères quantifiables se prêtent bien à l’analyse systématique (et à l’automatisation) pour trouver des options a priori intéressantes dans l’univers des possibles.

 

5 réflexions au sujet de « Les chroniques de l’investisseur chronique : Comment choisir son employeur ? »

  1. Bonjour Laurent,

    A propos des petites structure, j’y vois tout de même quelques avantages intéressants (normal, dans ma carrière, le plus gros employeur pour lequel j’ai travaillé, c’est … l’actuel avec 200 personnes mais tous les autres avait un effectif situé entre 2 et 100 personnes).

    Parmi les avantages, il y a le fait qu’on a une vue d’ensemble de l’activité, bien plus que dans une multinationale dans laquelle il faut arriver à un haut poste de responsabilité pour maîtriser l’ensemble de tous les process.

    L’autre avantage me semble résider dans le fait que chaque travailleur, individuellement, peut impacter de manière beaucoup plus conséquente sur les résultats futurs de l’entreprise. On est aussi plus proche du « sommet » et on obtient assez rapidement des niveaux de responsabilité très étendus.

    C’est vrai qu’une fois arrivé au sommet (souvent un niveau n+2 ou +3) … ben … on ne peut forcément plus évoluer … ou alors au même rythme que l’entreprise.

  2. Bonjour,

    Une petite structure, presque par définition, a un potentiel énorme. Le plus gros souci c’est que, plus que jamais, on est en monarchie… (ca rejoint l’aspect capitalisation <5M dans votre process). Si le monarque n'est pas éclairé, c'est insupportable à vivre car le management va d'incohérence en incohérence.

    C'est notamment le cas quand on passe la barre des quelques dizaines de salariés ou le directeur doit être capable d'"abandonner son bébé" cad : faire confiance et déléguer. Si ce cap se passe mal, tout le monde cherche à quitter le navire.

  3. Bonjour Laurent,

    Merci pour ce partage d’analyse. En suivant depuis quelques temps les Daubasses, je me suis demandé comment appliquer certaines méthodes pour une gestion de carrière professionnelle.

    Votre article me fournit quelques pistes de réflexion.

    Comme pour la sélection des sociétés, cette démarche demande beaucoup de temps de recherche.

    Il serait intéressant de savoir si ce type de démarche donne de meilleurs résultats que de répondre à des offres d’emploi sur les sites spécialisés.

  4. Bonjour Boss,

    Cet article résulte d’une analyse a posteriori des contextes professionnels dans lesquels j’ai travaillé ou que je connais par des amis. Je n’ai pas utilisé cette méthode en pratique pour ma part dans mon parcours jusque-là (simplement parce que je n’y avais pas encore pensé au moment où j’ai dû faire des choix) mais je calculerais certainement des ratios « employés », si je souhaitais changer de contexte professionnel aujourd’hui ou donner un avis à une personne de mon entourage.

    Ma démarche en pratique a plutôt été un mélange de bon sens et de chance. J’étais totalement flexible, à l’issue de mes études, quant à ma localisation géographique (y compris travail à l’étranger). J’ai par exemple été à deux doigts d’effectuer un stage à Singapour (même si cela ne s’est pas fait en pratique). J’ai découvert lors de l’un de mes stages en école d’ingénieur, un pays très avantageux en terme de conditions (intérêt des postes, équilibre vie privée/vie professionnelle, rémunération, imposition, niveau de chômage, etc…). Je m’étais également fixé quelques contraintes dans mes choix d’entreprises. Dans mon domaine d’activité (IT), il existe un déséquilibre fort dans la relation client / fournisseur. Je m’étais donc interdit de travailler pour un « marchand de viande » et cette approche s’est révélée judicieuse dans mon cas.

    À partir d’une très bonne situation de départ, j’ai ensuite effectué des changements de contexte professionnel lorsque de j’ai découvert l’existence d’environnements encore plus intéressants et correspondant à mon profil, c’est à dire accessibles pour moi en pratique.

    À titre indicatif, je serais aujourd’hui dans le premier centile des rémunérations en France (en net après impôt pour avoir une base comparable, comme les systèmes d’imposition varient) d’après cet article http://www.inegalites.fr/spip.php?page=article&id_article=190 sans pour autant faire de compromis, sur la qualité de vie (équilibre vie professionnelle / vie privée). La prochaine grande étape à long terme sera pour moi l’arrêt de mon activité professionnelle, lorsque j’aurai atteint mes objectifs de patrimoine cible pour cela.

    Concernant ma situation et celle des personnes de mon entourage, j’ai en pratique observé des corrélations entre des ratios quantifiables de certaines entreprises et le contexte de travail de cadres que je connaissais dans ces entreprises, idée que j’ai partagée dans cet article. Une analyse de ce type ne me semble donc pas dénuée d’intérêt et peut être utilisée de plusieurs manières à mon avis, par exemple:
    * Si vous avez plusieurs propositions de postes dans des entreprises que vous ne connaissez que de l’extérieur, cette approche peut être un outil d’aide à la décision.
    * Le screener peut aider à trouver des secteurs ou des entreprises plus favorables à l’employé.
    * À un niveau général, il est possible d’utiliser cette approche pour se faire une idée plus précise de la réalité et des possibles, ce qui peut également permettre de construire un argumentaire factuel dans la négociation avec les entreprises.

    Concernant le temps nécessaire, si vous avez accès à un screener configurable (par exemple un screener maison comme moi), une présélection automatisée sur base de critères quantifiables ne prend pas beaucoup de temps, par définition, une fois les critères fixés. Ensuite, en ajoutant des critères non quantifiables et une évaluation d’un grand nombre d’entreprises, le temps s’accroît fortement du fait du traitement manuel de l’information, mais permet également d’augmenter son niveau de connaissance.

    En conclusion, je vois plutôt cette approche comme complémentaire à d’autres approches plus classiques et non nécessairement en concurrence avec elles, l’optimum consistant probablement à combiner les points forts de plusieurs approches complémentaires.

    Cordialement,

    Laurent Muller

  5. Bonjour Laurent,

    Merci d’avoir pris le temps de répondre. Votre retour d’expérience est très intéressante et va me permettre d’approfondir cette réflexion.

    Cet type de démarche permet d’étendre l’analyse rationnelle à d’autres domaines de notre quotidien. Ce qui en fait un très bon exercice pour essayer de réduire les aspects émotionnels dans nos décisions quotidiennes.

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