Finance comportementale : l’investissement, le temple des regrets

finance comportementale Ce texte fait partie de la série « finance comportementale ».

Dans ce dernier épisode de la série « L’équipe des Daubasses sur le grill de la finance comportementale », nous allons essayer de mieux comprendre le mécanisme du « regret » de l’investisseur, regret qui semble encore plus complexe que le regret que nous éprouvons dans la vie de tous les jours.

Nous n’allons pas pouvoir développer ici tout ce qui a été écrit sur le sujet : de toute manière, ça ne nous avancerait guère … mais nous avons trouvé dans la  » théorie des justifications de la décision », une piste intéressante que nous allons tenter de vous expliquer.

Tout d’abord qu’est-ce que le regret ? Le regret est un sentiment purement émotionnel et négatif que nous ressentons vis-à-vis d’un acte ou d’une décision personnelle passée.

Dans la vie de tous les jours, nous éprouvons du regret parce nous jugeons les conséquences négatives avec, bien entendu, des degrés différents. Prenons deux exemples. Vous êtes fidèle à la même marque de confiture depuis 10 ans. Mais une nouvelle confiture apparaît sur le marché et vous êtes tenté de l’essayer parce que tout le monde en parle et votre voisin la trouve « extra » … vous décidez donc de changer de marque de confiture. Mais il s’avère que vous la trouvez nettement moins bonne que votre marque habituelle. Vous éprouverez donc un certain regret de vous êtes laissé entrainer à changer de confiture alors que la marque que vous aimiez vous semblait bien supérieure.

Deuxième exemple. Votre chien vient de se blesser gravement. Vous avez le choix entre un vétérinaire qui est installé à deux rues de chez vous mais dont la réputation n’est pas très bonne ou votre vétérinaire habituel dont la notoriété n’est plus à faire mais qui habite à 15 km. Malgré les soins à apporter à votre chien qui vous semblent urgents, vous décidez d’aller chez le vétérinaire que vous connaissez en raison de ses compétences. Mais quand vous arrivez enfin devant son cabinet, votre chien est mort. Vous vous en voulez énormément. Vous regrettez amèrement cette décision car, avec le recul, vous pensez avoir fait une grave erreur. Vous auriez dû allez chez le vétérinaire incompétent à deux rues de chez vous pour palier au plus urgent quitte, ensuite, à partir chez votre vétérinaire habituel. Votre regret consiste donc à vous sentir responsable de la mort de votre chien.

Dans la vie de tous les jours, nous sommes souvent confrontés aux regrets. Selon le degré d’intensité émotionnel, il est plus ou moins facile de dépasser les regrets – cas de la confiture – ou plus ou moins difficile, comme par exemple avec la mort de votre chien.

L’investissement est bien différent et encore plus compliqué car le regret peut être permanent, en perte comme en gain. Et donc l’investissement a, non seulement la capacité de nous faire regretter les conséquences négatives (une perte) mais également les conséquences positives (un gain).

Comment peut-on regretter un gain ?

Eh bien tout simplement par le fait que vous vendez une action que vous avez achetée 1€ à 3€. Excellent, c’est du 200% ! Jusque là, c’est bien entendu la joie, pas le moindre regret. Mais quand le cours de la même action atteint 6€, vous vous dîtes finalement que votre décision de vendre était complètement idiote car elle vous a fait perdre 3€ supplémentaires alors que tous les éléments que vous avez pu lire sur la société à 3€ étaient positifs. Et votre joie qu’ont suscitée les 200% de gain, se transforme donc en regret d’avoir raté les 100% supplémentaires pour un gain total de 500%.

C’est en quelque sorte comme si votre gain se transformait progressivement en perte et un calcul très simple pourrait vous faire dire « j’ai gagné 2€ et perdu 3€ ». Ce qui mentalement devient négatif et fait donc naître du regret, le regret d’avoir vendu trop tôt.

Quand on parle de l’investissement comme le « temple des regrets », cela ne nous semble pas un terme surfait mais plutôt un terme juste car, en investissement, vous achetez 99% du temps trop tôt ou trop tard et vous vendez dans 99% des cas toujours trop tôt ou trop tard. Le timing juste où l’on ne regrette rien c’est sans doute 1%, peut-être moins.

Avant de vous expliquez une partie de la théorie des justifications de la décision, essayons de voir les conséquences possibles du regret ou comment certains investisseurs ne sont plus en mesure de dépasser la phase émotionnelle qu’est le regret en s’engluant dans des décisions et une gestion entièrement émotionnelle.

Le regret est capable de créer un cercle vicieux dans la prise de décision d’investissement. Il vous pousse à corriger en permanence votre approche pour tenter de mieux faire, pour ne pas être assailli par le regret. Mais comme 99% des investissements génèrent du regret – comme nous venons de l’expliquer en terme timing – votre combat pour changer la donne est perdu d’avance et, par conséquent, superflu.

Les conséquences émotionnelles du regret sont nombreuses. Vous pourrez être amené à prendre plus de risques ou à avoir peur d’investir. Vous serez soumis à un excès de confiance en vous, puis, immanquablement, à un manque de confiance en vous. Vous passerez par des phases d’euphories, puis de profondes déprimes où vous penserez même à arrêter d’investir, tout simplement. Vous serez enthousiasmé par le process que vous venez de trouver et que vous êtes bien décidé à appliquer à la lettre mais vous le jetterez très vite à la poubelle… C’est d’ailleurs pour cette raison que certains investisseurs englués dans l’émotionnel que génère le regret vont même rejeter toutes formes de process avançant l’idée que l’investissement c’est du casino. Voire qu’un lancé de fléchettes par un singe génère aussi des résultats, sous entendu que ce n’est pas la peine de se casser la tête : c’est une question de chance uniquement qui peut générer plus de regrets que de joies.

Voyons maintenant ce que nous apprend la  » théorie des justifications de la décision« . Une partie de cette théorie porte sur le facteur permettant de diminuer l’intensité du sentiment de regret, à savoir l’existence d’une bonne justification pour le comportement regretté. L’effet de justification a été confirmé par de nombreuses études. Toutefois, tous ces chercheurs ignorent toujours la véritable nature du processus psychologique qui génère cet effet, au-delà de l’observation qu’une bonne justification évite de s’en vouloir un peu moins pour une décision aux conséquences négative.

Pourquoi, à conséquences égales, une décision bien justifiée est-elle moins regrettée qu’une décision mal justifiée ?

Quand nous n’avons pas de bonne justification pour la décision que nous avons prise et qui s’est avérée avoir des conséquences négatives, nous sommes sujets à ce que les psychologues appellent une « mutation contrefactuelle ». En deux mots, cela signifie que nous pensons que si nous avions pris une autre décision, nous aurions pu éviter les conséquences négatives. La mutation contrefactuelle est considérée comme un mécanisme fondamental de l’émotion de regret (Kahneman & Miller, 1986 ; Roese, 1997 ; Sevdalis & Kokkinaki, 2006). Le  regret que nous éprouvons serait donc en grande partie le fait que nous comparons le choix que nous avons fait et ses conséquences négatives à un autre choix que nous aurions pu faire et qui n’aurait pas généré de conséquence négative.

Si, par contre, nous avons une bonne justification à notre décision qui génère les mêmes conséquences négatives, nous aurons plus difficile à faire la « mutation contrefactuelle » soit la comparaison avec un autre choix qui nous aurait permis d’éviter les conséquences négatives. Cette difficulté à ne pas comparer ce qui s’est passé dans les faits (négatif) à ce que nous imaginons qu’il aurait pu se passer si nous avions pris une autre décision (positif) diminue alors l’intensité du regret.

Voyons un petit exemple de la vie de tous les jours avec deux variantes pour que tout soit plus clair.

Vous travaillez en Floride et le trajet de votre entreprise à la maison est de 15 minutes par le chemin le plus court qui passe par deux centres de petites villes et une longue route nationale. Et c’est ce chemin que vous empruntez tous les jours, à l’aller comme au retour. Même si vous avez aussi à disposition un itinéraire plus long de 35 minutes avec une route qui borde la mer pendant plus de 25 minutes.

Un jour, après une journée de travail qui vous a franchement exténué, vous décidez, pour vous relaxer, de prendre l’itinéraire du bord de mer pour rentrer chez vous. La Ford Mustang décapotable que vous vous êtes offerte la semaine passée vous semble plus à propos que jamais pour ce genre de petite balade récréative. Les palmiers qui bordent la route, la mer d’un bleu intense et les jolies filles en bikini qui vous regardent passer (nos aimables lectrices peuvent, à la place, imaginer de virils apollons au torse nu et musclé) semblent laisser d’un seul coup la journée harassante derrière vous. Mais, soudain, un camion qui veut doubler un cycliste déboite un peut trop et vous percute, c’est l’accident. Quand vous reprenez vos esprits, vous constatez que vous n’êtes pas blessé même pas une égratignure. Par contre, votre Ford Mustang décapotable s’est transformée en tas de ferrailles hideux.

Seconde variante. Après une journée de travail difficile, alors que vous êtes franchement exténué, juste avant de rentrer chez vous, votre épouse vous téléphone pour vous annoncer que votre planche de surf « BLEF » est arrivée et que vous pouvez passer la prendre. Cette nouvelle vous remet presque d’aplomb d’un seul coup puisque vous attendiez avec impatience cette nouvelle planche, commandée voici trois mois et imaginée par le surfeur néo-zélandais Roy Stuart avec plein d’innovations techniques comme son tunnel « Vort X » et sa dérive inspirée d’une baleine à bosse (!). Et en plus, vous allez même pourvoir admirer la mer, les palmiers et les jolies nanas puisque le magasin est situé sur la route qui longe la mer. En faisant vrombir le moteur de votre Ford Mustang, les tracas de la journée semblent déjà lointains. L’enseigne du magasin de surf est en vue quand un camion qui veut doubler un cycliste déboite un peut trop et vous percute, c’est l’accident. Quand vous reprenez vos esprits, vous constatez que vous n’êtes pas blessé, même pas une égratignure mais que, par contre, votre Ford Mustang décapotable s’est transformée en tas de ferrailles hideux.

Dans le premier exemple, où le choix de l’itinéraire le long de la mer n’a pas de justification sérieuse puisque vous auriez pu aussi bien vous relaxer chez vous au bord de la piscine, la mutation contractuelle amplifiera le regret d’avoir bousillé votre Mustang en vous disant : « mais qu’est que j’ai été faire sur cette route au bord de la mer fatigué… Alors que j’aurais été aussi bien chez moi et ma Mustang serait toujours entière ! » Le regret est donc important. Emotionnellement, vous vous en voulez vraiment d’avoir pris cette décision.

Dans le second cas, la justification qui vous fait prendre la route du bord de mer, c’est votre planche de surf que vous deviez récupérer de toute manière. Vous regrettez évidement d’avoir bousillé votre Mustang mais, comme vous deviez quand même récupérer la planche de surf, vous avez plus du mal à envisager un autre scénario où aucun accident ne se serait produit. En conséquence, vous n’avez donc pas trop d’arguments pour échafauder un autre scénario et donc d’opérer « la mutation contrefactuelle » qui vous permet d’imaginer un autre scénario sans conséquence. Le regret d’avoir bousillé votre Mustang sera dont moins important.

 

Et votre process dans tout cela. Que peut-il contre le regret permanent de l’investisseur ?

Dans les 10 épisodes précédents traitant de la psychologie de l’investisseur, nous avons tenté de démontrer qu’un process de manière générale, et le nôtre en particulier, permet de déjouer la pluparts de nos biais et de mettre les mauvais réflexes au placard. Il est impossible de supprimer les biais de l’investisseur, comme nous l’avons vu, mais il est donc possible avec un process bien appliqué de les exclure.

Le regret nous semble bien différent et nous pensons à l’aulne de ce que nous venons de vous expliquer qu’aucun process de manière général ne peut exclure complètement le regret.

Par contre, si l’investisseur parvient à échafauder un process qui possède un avantage statistique – en un mot, qui génère des plus values à long terme – et qu’il parvient à se distancier de son process, comme nous l’avons expliqué dans l’introduction de cette série avec la métaphore « du tigre du Bengale »  , pour en faire une entité séparée qui dicte à l’investisseur en pleine action sa manière d’agir et de réagir, nous pensons que le process peut alors jouer le rôle de la justification.

Donc, oui, le process peut sans aucun doute amoindrir les regrets sans toutefois les supprimer complètement. Et c’est malgré tout un petit plus qui a son importance.

Sachez enfin que l’équipe de Daubasses n’échappe pas au regret, qu’il soit négatif ou positif ressenti progressivement comme négatif. Mais que nous exprimons du regret aussi à chaque vente qu’elle soit en perte ou en gain… quand le cours continue sa progression. Mais le plus souvent, l’un d’entre nous rappelle dit aux autres que nous avons simplement suivi notre process et qu’il n’y a rien à regretter.

Le prochain épisode sera consacré à la conclusion de cette série d’article avec une invitée spéciale !

PS : Cet article a été inspiré par les travaux du professeur Jean-François Bonnefon de l’université de Grenoble et des professeurs Jiehai Zhang et Ciping Deng de l’université de Shangai.

2 réflexions au sujet de « Finance comportementale : l’investissement, le temple des regrets »

  1. honte sur vous!
    bien sûr que vous avez à regretter! quand je vois votre dernière performance comparée aux indices!
    [je plaisante bien sûr (je me fiche des indices, encore plus des comparaisons, quand à une éventuelle performance passagère moindre, ce serait blâmer le premier de la classe qui n’a eu que 15/20 à son dernier contrôle).]
    bref, une manière de dire que le regret vient souvent du point d’encrage à la base de réflexion.
    un peu (pardonnez mes références hautement culturelles) comme dans le sketch des « inconnus » et leur parodie du « millionnaire », un jeu de grattage qui permet de gagner 1 million. avec des candidats déçus de ne gagner que 900 000…

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