Question des lecteurs : pourquoi achetez-vous si cher ? 1/2

Contactés par mail, un abonné, dubitatif sur nos prix d’achats, nous a posé une question que nous avons résumée par un : « Pourquoi achetez-vous si cher ? ».

Comme il n’y a pas de mauvaises questions… nous avons décidé de partager avec nos lecteurs la réflexion qui a suivi cette question/remarque et notre réponse complète.

Voici la question telle que nous l’avons reçue :

Bonjour,

Cela fait un an que je suis abonné et le suivi de vos analyses (présentes et passés) m’apprend beaucoup.

Bien que novice, ayant découvert l’approche Value il y a 2 ans, j’ai  spontanément tendance à préférer des sociétés très fortement décotées (+ de 70% de la VANT généralement). A tort ou à raison, j’imagine le pire… et puis je dois l’avouer : je suis un peu radin ! Je n’aime pas surpayer et je préfère avoir la marge de sécurité la plus importante possible ce qui, bien sûr, restreint le champ des possibles.

Assez souvent en lisant vos analyses,  et après avoir fait la mienne, je me dis : mais pourquoi ne pas attendre que ce ne soit pas encore moins cher ? Que la marge de sécurité soit encore plus importante ? Le potentiel de mauvaises nouvelles n’est certainement pas épuisé !!! Bien des sociétés décotées à 50 ou 60% de leur VANT, VANE ou VLMV voient leur activité (et leur bilan) continuer de se détériorer un certain temps avant de peut être un jour recommencé à gagner de l’argent.

C’est dans cette optique que je me suis permis de faire 2 ou 3 calculs simples sur votre portefeuille depuis 2009. Et justement, je constate qu’une très grande majorité de vos valeurs continuent de baisser significativement après achat.

Sur 54 valeurs, (détenue de votre portefeuille au 01/06/2016 l’exception de quelques valeurs qui ont disparues), 81% des valeurs subissent après achat une baisse moyenne de 32% (calculés selon les plus bas atteints après date d’achat).

La moyenne du price-to-book ratio des valeurs ayant baissé étant de 34% de la VANT lorsque ces plus bas sont atteints. Je n’ai pas calculé la moyenne précise due price-to-book ratio au moment de l’achat pour toutes les valeurs, mais après lecture de nombreuses lettres, je le situerai autour de 50%.

Il serait certes prétentieux de prétendre réussir à acheter toujours au plus bas, mais il serait facile de se fixer une règle comme quoi on n’achètera que des valeurs qui cotent en dessous d’un price-to-book ratio de 30% par exemple.

Mon analyse est certes simpliste (je ne distingue pas les net-net, triple net, RAPP  etc.…, et vous avez détenu plus de valeurs que l’échantillonnage que j’ai utilisé) mais ma question n’en demeure pas moins : pour quelle raison n’êtes vous pas plus exigeants sur le niveau de décote des sociétés dont vous faites l’acquisition ? Et pourquoi ne vous fixez vous pas par exemple de critères chiffrés sur les marges de sécurité exigées ?

Bonne journée à vous

Et voici notre réponse

—-

Cher abonné, Bonjour.

Permettez-nous tout d’abord de vous remercier pour vos questions qui honorent de notre point de vue l’ensemble de notre travail et qui illustre notre transparence.

En effet,  en expliquant ce que nous faisons, pourquoi nous le faisons et en offrant à nos investisseurs-abonnés tous nos relevés de compte, tous les détails de nos transactions au centime d’euro, leurs raisons, nos doutes, les news des sociétés que nous détenons en portefeuille au mois le mois et nos réflexions post vente, même et surtout, quand c’est un investissement qui débouche sur une perte. Sans oublier l’avantage statistique de notre process mis à jour tous les 6 mois pour nos abonnés et qui nous semble quand même relativement unique dans la sphère de l’investissement value, nous offrons à tous nos investisseurs abonnés la possibilité  de personnaliser leur process comme ils l’entendent, pour qu’il se sentent encore plus en phase et en confiance avec une méthode d’investissement qui les inspire au départ et qu’ils peuvent donc modeler à leur gré ensuite tout en restant dans le cadre de  l’investissement dans la valeur.

La réponse que nous allons tenter de vous faire, pour vous permettre de comprendre notre point de vue, va s’articler en trois volets. Dans un premier temps, nous allons vous expliquer ce que nous faisons, et ensuite  pourquoi cela reste modulable en fonction du type de marché rencontré. Enfin, nous vous ferons part d’une observation tirée de la tenue de nos listes depuis 2008 et que nous n’avons jamais su exploiter et qui pourrait peut-être vous inspirer, même si cela va à l’encontre de votre idée centrale d’acheter le moins cher possible.

Ce que nous faisons et avons fait évoluer au fur et à mesure, les 5 règles de notre process à l’achat

1° Le 24 Novembre 2008, nous décidons que notre process nous autorisera à acheter toutes sociétés cotant à 70% de leur Valeur d’Actif Net-Net (VANN), en d’autres mots, à un cours représentant 70% des actifs courant de la société dont on a déduit l’ensemble de toutes les dettes. C’est donc à l’aide de cette règle que nous achetons nos 30 premières sociétés qui permettent au portefeuille d’afficher un ratio de 392.50% par rapport à la Valeur d’Actif Net Tangible (VANT) ou, dit autrement, à un cours représentant 20.30% de leur VANT. Malgré notre cible de 500€ d’investissement sur ces 30 sociétés, nous allons pondérer le potentiel par rapport a la VANT, même si les différences sont infimes autour de 500€, dû aux nombres d’actions ou encore au change.

2° le 2 Septembre 2009, nous achetons notre première Net-Estate : Avalon, pour ne pas la nommer, en ayant mis au préalable la règle suivant  sur ce que nous appellerons  la Valeur de l’Actif Net-Estate (VANE) qui reprend la valeur de l’actif courant et y ajoute 80% du coût d’acquisition des terrains et des immeubles détenus en propre pas la société et on soustrait de nouveau l’ensemble des dette de la société.

3° Nous ne sommes pas en mesure de dater précisément l’ajout suivant au process sur le chapitre achat, mais il est fort à parier qu’il est apparu assez rapidement dès que le marché a commencé à reprendre de la hauteur. En 2010 sans doute.

Donc, plus le marché a commencé à remonter, plus le potentiel par rapport à la VANT, ou la décote sur la VANT, s’est réduit. Nous nous sommes alors dit que nous ne pouvions pas acheter n’importe quoi à potentiel moyen voire à faible décote. Mais comment transformer une idée intéressante en règle objective et reproductible à l’infini dans un process ?

C’est toujours du côté du bon sens et de la simplicité qu’il faut s’orienter. Comme nous calculions depuis le début le potentiel moyen pondéré de la VANT du portefeuille sur le cours du jour. Nous nous sommes dit que nous avions un point de repère intéressant. Nous avons donc décidé à l’unanimité d’acheter uniquement les net-net ou net estate, dont la VANT serait supérieur à la moyenne pondérée de la VANT du portefeuille. Chaque achat devait donc très simplement augmenter le potentiel moyen pondéré de la VANT du portefeuille, voire augmenter la décote par rapport à la VANT moyenne pondérée du portefeuille.

Nous avions donc la règle simple applicable facilement dans toutes les conditions de marchés et qui semblait augmenter les exigences dans nos choix au niveau potentiel ou décote.

4° Le 27 février  2016, la progression du marché est sidérante. Les occasions de plus en plus rares. Nous nous rendons compte que notre règle précédente doit être légèrement assouplie, car il est de plus en plus difficile de trouver des sociétés qui ont des potentiels par rapport à leur VANT supérieurs à notre portefeuille. C’est après une longue discussion entre nous que nous décidons de changer la règle précédente en une règle qui permet d’investir sur une société dont le potentiel sur la VANT est de 90% par rapport a la VANT moyenne pondérée de notre portefeuille.

Nous essayons toujours d’investir de manière à améliorer le potentiel moyen pondéré du portefeuille en choisissant des potentiels VANT supérieurs pour chaque société dans nos viseurs, mais avec cette règle du 27 février 2016, nous pouvons aussi nous permettre d’investir sur un potentiel VANT légèrement inférieur. C’est donc une option possible que nous avons ajoutée.

5° Toujours ce 27 février 2016, lors d’une réunion physique de l’équipe, pour faire le point sur notre gestion avec un angle critique et sans concession – comme nous le faisons toujours en début de nouvelle année – nous nous rendons compte que nous avons de plus en plus de difficulté  à trouver le pourcentage d’investissement de départ, ensuite le pourcentage de renforcement de la position dans la règle de diversification établie au départ avec un maximum de 3.33% du portefeuille sur 1 seule société.

En fait nous nous rendons compte que nous avons depuis 2012, par prudence, investi par tranche de 1% pour nous permettre ensuite de renforcer, en cas de chute du cours. Toute idée de prudence est toujours bonne à étudier. Et quand nous étudions ce que nous avons fait dans les détails, nous remarquons que nous avons parfois renforcé trop rapidement et parfois pas assez ou encore pas du tout. Nous sommes surtout conscients que nous ne pouvons pas gérer notre portefeuille de la même manière qu’en 2008 et 2009 en 2015-2016, car nous sommes certains qu’il y aura un prochain Krach, c’est toujours comme cela… de même, c’est toujours certain qu’après un krach, succédera un marché haussier. Nous avons donc observé que notre process crée des liquidités dans un marché haussier, avec de plus en plus de société qui atteignent leur VANT. Et en même temps, nous observons que plus le marché monte, moins il y a d’opportunités répondant à nos critères. Un portefeuille investi en permanence comme le nôtre, qui génère des liquidités, doit donc être réglé sur deux modes possibles. Soit le marché regorge d’occasions et on peut y investir massivement, soit le marché offre peu d’occasion parce qu’il ne fait que grimper et il faut se ménager la possibilité de renforcement, en cas de chute.

Nous avons donc mis au point la règle suivante dans un marché qui s’est apprécié et où les occasions sont plus rares. Nous investirons donc par tranche de 1.11% sur une société et nous pourrons renforcer 2 fois à condition que le potentiel de la  VANT par rapport au cours soit à chaque fois supérieur de 40%. Un petit exemple pour que le mécanisme soit clair avec une VANT fixe dans le temps.

Nous avons donc le cours d’une société à 50$ et sa VANT est de 100$. Le potentiel cours VANT est donc de 100%. Nous pourrons donc renforcer une première fois à 41.60$, soit 17% plus bas, car nous aurons alors 140% de potentiel et une seconde fois à 35.70$, soit 14% plus bas encore lorsque nous aurons un potentiel de 180%.

Ce n’est évidement pas à cause de cette règle que le cours n’ira pas encore plus bas et nous en sommes conscients. Mais c’est pour nous une manière de nous discipliner pour tout renforcement dans un marché où les occasions sont rares et donc où un recul brutal de marché, voire un krach, peut survenir.

Voici donc pour cette première partie, où nous vous avons présenté, Dov, le cheminement et l’évolution de nos règles d’achat élaborée au fil des différents marchés, sur bientôt 8 ans. Il est donc tout à fait possible de fixer des règles plus strictes de décote que les nôtres. Il faut juste réfléchir aux inconvénients et aux avantages que cela va générer dans deux types de marché, un marché soldé et donc bon marché et un marché bien valorisé et où les occasions sont rares. Dans un marché soldé, plus de décote ne pose pas le moindre problème au contraire, vous allez vous créer un très haut potentiel moyen de plus-value pour le futur. Si le marché est haut, vous allez avoir peu d’occasions voire très peu d’occasions correspondant à votre exigence de décote… et vous allez devoir vous affronter psychologiquement, pour vous obliger à ne rien faire.

Réponse chiffrée à suivre… (dans la deuxième partie de la réponse)

 


Retrouvez ici : d’autres Questions des lecteurs.

5 réflexions au sujet de « Question des lecteurs : pourquoi achetez-vous si cher ? 1/2 »

  1. Bonjour,

    Ca me rappelle un échange (bien plus court) qu’on avait eu également…

    Je m’étais posé la même question que Dov et j’avais eu le réflexe aussi de faire des stats à partir de votre historique (merci).

    Cependant, ce ne sont pas les marges que je « remettais en question » (car… ah bah non, pas la peine de répondre vous êtes en train de le faire ^^).
    Je me posais plutôt la question d’optimiser le process d’achat :
    – soit en achetant en plusieurs fois sur quelques jours pour lisser (chose que je ne fais pas pour l’instant car les frais de transaction représentent encore une part non négligeable dans le prix de revient)
    – soit en mettant un ordre suiveur pour déclencher l’achat lors d’une remontée de 10% environ (tout comme nous le faisons de façon analogue lors d’une vente).

    Pour l’instant je n’ai pas mis en place cette habitude car elle a une bonne part de risque « chaotique » à moins de prouver l’efficacité par des stats. Donc je me contente depuis quelques mois à faire mes propres stats sur des cycles d’achat-vente en notant à chaque fois en détail si le cours a baissé après mon achat ou non et, si oui, dans quelles proportions et en combien de temps. Il faudra encore un bon bout de temps avant de prendre une décision sur cette question.

    Dans tous les cas, ce n’est pas une priorité (ce serait juste une « cerise » pour reprendre votre métaphore). De plus je pense (de mon ressenti/expérience jusque là) que j’ai obtenu plus de manque à gagner en n’achetant pas tout de suite une société dès que les décotes étaient suffisantes. Les fenêtres de tir sont parfois bien étroites surtout en période de marché haut comme actuellement.

    Bonne journée !

  2. Bonjour à l’équipe,

    Il est toujours possible d’acheter moins cher. Mais dans le marché actuel, cela devient très rare.

    La question de votre lecteur met en lumière un autre enjeu de la gestion de son portefeuille.

    Elle peut se résumer par la question suivante: : est-ce que je dois avoir raison seul (critères de sélection très restreints) et ne pas profiter de la hausse du marché ou dois-je me tromper avec les autres (avoir des critères plus souples) qui permettent de générer des gains).

    Merci pour ce partage et votre transparence qui permet d’alimenter une réflexion personnelle.

  3. Bonjour,

    en effet, les temps sont durs pour les investisseurs value et il est très difficile de trouver des actifs bradés dans ce marché qui tutoie ses plus hauts historiques.

    Grantham avance même que « cette fois c’est différent », que nous ne sommes pas dans une bulle mais plutôt dans un changement de paradigme.
    http://www.wealthmanagement.com/equities/grantham-rules-have-changed-value-investors

    Ce que j’en comprends, c’est que selon lui, se concentrer sur le passé (value) est une démarche obsolète.

    Mais bon, je pense qu’avant chaque crise du passé, il est possible de trouver un analyste qui a dit que « cette fois c’est différent ».

    Depuis la lecture de « Black Swan » de Taleb, je suis un peu vacciné des prédictions en tout genre.

  4. Bonsoir,

    Merci pour ce lien. Intéressant d’entendre ce genre de discours car je me pose la question depuis quelques temps des risques de pertes de la méthode « Daubasses » (ou « value » en général) et je n’en vois pas (ce qui m’inquiète :-P).

    Passé cela, j’ai du mal à voir le lien de cause à effet dans son discours…

    Par contre, j’adore le commentaire ;-).
    (Ce commentaire d’ailleurs est allé dans le sens que ça ne servait sans doute pas à grand chose de relire l’interview pour changer ma première impression similaire).

    1. Merci à tous les 3 pour vos apports et retours d’expériences.

      En effet, difficile de dire si le marché est trop cher, s’il va continuer à se renchérir, ou chuter demain…

      Le mieux est de suivre « bêtement » (rigoureusement) sa méthode. C’est le meilleur moyen de ne pas trop se tromper et d’éviter tout effet de mode, mouvements de foules et autres incitations psychologiques.

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