Warren Buffett investit dans des poids lourds de la cote nippone

L’oracle d’Omaha a soufflé sa 90ème bougie le 30 août dernier. Nous avons déjà beaucoup écrit à son sujet sur le blog et notamment une série de 5 articles qui résume notre lecture de l’ouvrage d’Alice Schroeder Warren Buffett. La biographie officielle, l’effet boule de neige.

 Dans cette série d’articles, nous étions revenus sur les grands fondements du parcours et de la réussite de Buffett. L’un des points qui nous avait paru essentiel est qu’acheter des blue chips (= les grosses entreprises cotée), même à bon prix, n’est pas la voie qu’il aurait choisie s’il avait eu d’autres alternatives. La raison à cela est qu’il est très rare de pouvoir acheter une grosse capitalisation au prix d’une daubasse ou « d’un mégot de cigare ».

Alors, qu’en est-il de ses investissements récents dans des big caps japonaises ?

Nous nous sommes penchés sur ces mastodontes de la cote nippone pour nous faire une idée. Actualité oblige, vous aurez donc compris que l’on va ENCORE vous parler du Japon… !

Berkshire prend des parts dans des « Sogo shosha »

Il y a quelques semaines, Berkshire Hathaway, la société d’investissement de Warren Buffett, a annoncé avoir pris des participations d’un peu plus de 5% dans de bons vieux conglomérats japonais appelés « Sogo Shosha » : Itochu Corp (8001), Marubeni Corp (8002), Mitsui & Co (8031), Sumitomo Corp (8053) et Mitsubishi Corp (8058). Les Sogo Shosha sont de puissantes sociétés de commerce qui contrôlent une majeure partie des flux d’importation et d’exportation du pays.

Ces investissements pèsent plus de 6 milliards de dollars soit environ 3% du portefeuille de Berkshire. Ce chiffre pourrait augmenter dans les prochains temps puisque le groupe s’est dit prêt à doubler la mise. Il pourrait même aller au-delà s’il obtient l’aval des conseils d’administration des sociétés en question.

Après être monté au capital de la société aurifère Barrick Gold (alors que Buffett n’est pas connu pour être très enthousiaste à propos du métal jaune), Berkshire a une nouvelle fois déjoué tous les pronostics. En effet, il investit habituellement dans des entreprises américaines mais n’a pas hésité cette fois-ci à sortir de son terrain de jeu favori.

Daubasses ou pas daubasses ?

 Les sociétés dans lesquelles Berkshire a pris des participations font partie du Topix 100, l’indice des 100 plus grosses capitalisations japonaises. Elles pèsent entre 8 et plus de 30 milliards d’euros et sont présentes dans un grand nombre de secteurs : l’énergie, la chimie, l’alimentaire, l’industrie ou encore le secteur minier. Comme la plupart des sociétés nippones que nous avons en portefeuille, ces conglomérats ont une longue histoire et trois d’entre eux sont déjà plus que centenaires. Ils sont par ailleurs fortement exposés aux marchés mondiaux. Voilà pour ce qui est des présentations.

Venons-en à ce qui nous intéresse, les chiffres et les bilans !

Nous vous le disions, ces sociétés entrent plutôt dans la catégorie daubasse du portefeuille de Berkshire. En effet, quand Apple s’échange à plus de 25x la valeur de ses fonds propres, ces mastodontes japonais ne capitalisent en moyenne qu’une fois leur capitaux propres tangibles. Et trois d’entre eux s’échangent actuellement sous leur VANT (Valeur d’Actif Net Tangible) : Marubeni Corp, Mistui & Co et Sumitomo Corp. Les chiffres en détail :

Ces sociétés méritent-elles pour autant le label daubasses ? Et bien non. Pas de daubasse 100% pur jus à l’horizon. Nous n’avons pas relevé de décote sur nos indicateurs habituels de valorisation que sont la VANN (Valeur d’Actif Net-Net) et la VANE (Valeur d’Actif Net-Estate). La rentabilité de ces sociétés n’est également pas suffisante pour qu’elles puissent prétendre au titre de RAPP (Rentabilité à Petit Prix).

Elles affichent par ailleurs un niveau d’endettement (ou de levier financier) un peu trop élevé pour passer le test de notre ratio de solvabilité maison, puisque nous exigeons un ratio de solvabilité d’au moins 40% pour investir quelques sous.

Des actionnaires choyés

Ces sociétés ne cochent pas la case daubasses, mais restent tout de même « bon marché » par rapport à la valeur de leurs actifs. Autre point marquant, des dividendes qui procurent un rendement généreux :

 – Le rendement moyen de ces 5 sociétés était de plus de 5% en 2020. Aussi, à part Marubeni qui prévoit une coupe de son dividende de plus de moitié (il restera tout de même supérieur à 3%) et Sumitomo qui envisage une baisse de 12%, les autres ont prévu pour 2021 un dividende équivalent ou supérieur à celui de l’exercice 2020.

– En plus d’un dividende « élevé », Itochu Corp, Mitsui & Co et Mitsubishi Corp ont procédé à des rachats d’actions au cours des dernier exercices. Buffett préfère généralement que le cash soit réinvesti dans le business en dépenses d’investissements productifs. Mais pour des sociétés matures, sans perspectives de croissance forte, il reconnait volontiers que les rachats de titres très en dessous de la valeur intrinsèque sont fortement créateurs de valeur pour les actionnaires :

“Assuming you’ve been honest with shareholders [in communicating enough information so they can estimate intrinsic value], then if your stock is far below intrinsic value, buying it back adds a lot of value.”1

 “If we wanted to return cash to shareholders, we’d go to them and say, “Our stock is cheap and we’re going to return cash to you by buying it back.””2 [ce que Berkshire a d’ailleurs fait au cours du premier semestre 2020]

Source : http://buffettfaq.com

1 En supposant que vous avez été honnêtes avec les actionnaires, [en leur communiquant suffisamment d’informations pour qu’ils puissent estimer la valeur intrinsèque], alors si le cours de vos actions est bien en-dessous de la valeur intrinsèque, les racheter crée beaucoup de valeur.

2 Si nous voulions retourner du cash aux actionnaires, nous irions les voir et leur dirions « Notre action est bon marché et nous allons vous retourner du cash en en rachetant ».

Force est de constater une nouvelle fois que les gouvernances évoluent dans les sociétés japonaises. Elles font des efforts notables pour satisfaire leurs actionnaires. Autre élément révélateur de cette tendance, toutes les sociétés dans lesquelles Berkshire a investi ont augmenté leur dividende au cours des 5 dernières années (de +73% en moyenne).

Des cours déprimés ?

Le niveau de décote par rapport à la book value (= l’actif net comptable) est à un niveau élevé en comparaison avec les 5 dernières années pour 4 des sociétés dans lesquelles Berkshire a investi. C’était également le cas début 2016 comme on peut le voir sur l’historique de cours/NAV de Mitsubishi (©Stéphane, les autres graphiques ici). Le cours avait ensuite fortement progressé dans les 2 années qui avaient suivi.

Mitsubishi Corp (8058) : historique du cours vs actif net

Berkshire a donc visiblement considéré que le moment était opportun pour faire l’acquisition de ces sociétés japonaises. On se répète une nouvelle fois, mais les décotes sur ce marché sont à un niveau historiquement élevé et les valorisations bien inférieures aux autres marchés action des pays développés (cf. L’investissement deep value au Japon).

Conclusion

Buffett n’a pas failli à sa réputation de chasseur de bonnes affaires en réalisant ces investissements au Japon ! Les sociétés dont il a fait l’acquisition sont « bon marché » du point de vue d’un investisseur value. Ces achats témoignent sans doute aussi de la difficulté à trouver des sociétés à des niveaux de valorisation raisonnables au pays de l’oncle Sam.

Aussi, bien que basées dans un pays où la culture est radicalement différente de celle des États-Unis, ces sociétés ont pu séduire Berkshire car elles en sont en quelques sorte de minis répliques : des conglomérats, par nature largement diversifiés et exposés à l’économie mondiale, qui opèrent dans des secteurs « traditionnels » chers à Buffett. Qui plus est, ces prises de participations pourraient permettre de nouer de nouveaux partenariats avec la myriade de sociétés dans lesquelles Berkshire a des participations.

Il y a peut-être également des considérations macro-économiques derrière ces achats. Du fait de leur exposition importante au cours des matière premières, les « Sogo Shosha » pourraient bénéficier d’un possible retour de l’inflation après les plans massifs de relance des banques centrales.

Après Michael Burry, c’est un autre investisseur de renom, et non des moindres, qui montre un intérêt pour le marché japonais. Berkshire ne peut pas jouer dans la même cour que nous avec ses milliards de dollars3 (sans doute à son grand regret). Toujours est-t-il que ses achats envoient un signal très encourageant !

3 nos daubasses japonaises capitalisent moins de 70 millions de dollars en moyenne si l’on exclut notre plus société chimique qui est la seule « grosse » japonaise de notre portefeuille sans être un sumo non plus avec sa capitalisation de 5,5 milliards de dollars.

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