C’est avec une immense tristesse que j’ai appris la disparition de mon ami et ancien camarade des daubasses Pierre, ce mardi 31 octobre.

Son parcours de vie et professionnel est digne des meilleurs romans. Celui ou celle qui a croisé Pierre au cours de sa vie n’a pu rester indifférent. Homme au grand cœur, philosophe, poète, et toujours partant pour une tablée entre amis.

Boulanger de formation, il revend sa boulangerie bruxelloise – il en avait fait une très belle affaire – pour partir à l’aventure en Roumanie au début des années 90, quelques temps seulement après la chute du Mur de Berlin. Dans cette aventure « nouveau Far West moderne » (ou plutôt Far Est), il emmène sa femme et sa fille pour ouvrir une boulangerie. Il sent le potentiel sur ce marché en devenir.

C’est un demi-succès, demi-échec. Entre magouilles et autres difficultés avec son associé roumain, il doit cesser son entreprise à contre-cœur.

Il rencontre alors celle qui deviendra sa femme. Avec elle, ils reprennent tous les deux l’ancien domaine viticole familiale. Au fil des ans, ils se forment aux dernières techniques, replantent des pieds de vignes, investissent dans des cuves, … Là aussi, l’aventure est belle mais la rentabilité n’est pas au rendez-vous : Pierre doit faire face aux nouvelles contraintes imposées par l’Union Européenne (la Roumanie vient d’y enter) alors que les prix de vente de ses vins sont plafonnés par des consommateurs occidentaux sceptiques sur les vins « made in Roumanie » malgré les qualités de ce dernier. La rentabilité est médiocre. Il doit passer à autre chose.

Il ne renonce pas. Homme libre à l’esprit entrepreneuriale, il décide de réaliser son rêve : une chocolaterie. « L’Art du chocolat » ouvre ses portes à Mizil à 80 km au Nord de Bucarest. Il lance un produit phare : la truffe. Malheureusement, la macro économie s’en mêle et la crise de 2008 – 2009 a cette fois raison de son dernier projet en Roumanie.

Parallèlement, commençant à parler et à lire le roumain, il tombe dans un journal local sur un article consacré à Warren Buffett. Le charme opère tout de suite et il devient presque instantanément un adepte de l’investissement dans la valeur (value investing en anglais).

Une nouvelle vie démarre. Les opportunités en Roumanie sont alors incroyables. Pierre devient par exemple un des plus grands actionnaires individuels d’une banque locale. Le marché boursier roumain est en ébullition. Les capitaux affluent de toute part. Tout le pays est épris d’une vague nouvelle de capitalisme. Sans le savoir, avec sa femme il participe à des investissements « hors cote ». Ils déambulent à droite et à gauche à travers toute la Roumanie pour participer à des campagnes de financement en cash avec des retours incroyables. Pierre comprendra par la suite qu’il s’agissait ni plus ni moins de pyramides de Ponzi… Fort heureusement, il eut la chance de faire parti à chaque fois des premiers « investisseurs » et retrouva presque toujours ses billes.

A cette époque il est milliardaire ! Un éphémère milliardaire en Lei (monnaie roumaine). Car la surchauffe boursière perd de sa superbe et les gains boursiers se dégonflent comme un soufflet sortant du four.

S’en est trop. Pierre décide de retourner sur ses terres natales en Belgique, près de Charleroi. La magie d’internet du début des années 2000, les forums (Boursorama entres autres) et autres échanges par mail vont lui permettre de se créer un cercle d’investisseurs passionnés par la bourse.

Avec la rencontre des deux Louis (le grand et le petit), ils vont lancer cet incroyable défi : créer un réel portefeuille de net-nets en 2008 (en pleine crise financière !) dans la droite lignée des travaux de Benjamin Graham, le père fondateur de l’investissement dans la valeur et mentor de Warren Buffett. Cette expérience est lancée le 12 novembre 2008 et est partagée sur un blog. Ça y est, les daubasses venaient d’être créées !

Un blog unique en son genre. Le premier site d’investissement francophone où on se prend pas au sérieux mais au fonds très sérieux, appliquant avec rigueur une approche patrimoniale purement quantitative.

Ce blog est avant tout le fruit de la rencontre d’amis. Un groupe d’amis passionnés que je rejoins par la suite. Nous voilà donc 4 dans cette entreprise un peu folle.

Le premier portefeuille daubasses a généré une performance incroyable de +978,6% (x10,8) du 26 novembre 2008 au 28 septembre 2018, soit en 9 ans et 308 jours. Ce qui correspond à un rendement annualisé > 27%.

Pierre a été une pièce maitresse dans la création des daubasses. Il en incarnait parfaitement la philosophie : autodidacte par nature, il était avant tout un passionné d’investissement toujours à la recherche de décotes et d’anomalies de marché. Sur le fonds toujours sérieux et sur la forme toujours léger.

Pierre a partagé avec enthousiasme et pédagogie la philosophie des daubasses aux lecteurs et abonnés. Il a été l’auteur prolifique des meilleurs articles et éditos de la Lettre mensuelle.

Toujours à l’affut d’amélioration du process, il faisait parti des précurseurs et s’était pris de passion pour la psychologie de marché et des investisseurs. Les écrits de Nassim Taleb – surtout Anti-fragile – avait ouvert de nouvelles perspectives dans son approche de l’investissement boursier.

C’était un féru de lecture. Il ne manquait aucune occasion d’ajouter de la réflexion à tous nos échanges et créer de la valeur pour la famille des daubasses.

C’est le cœur lourd que je rédige ce message en son hommage.

Merci pour ton travail, nos échanges parfois animés et tous nos bons souvenirs.

Avoir été ton ami, avoir pu partager du temps autour d’une passion commune – mais pas que – a été une chance incroyable.

Toutes mes pensées vont à sa fille et sa femme.

Adieu mon ami,

Franck