L’investisseur débutant intelligent (2e partie)

Comme nous vous l’avions annoncé la semaine dernière, nous vous proposons la retranscription de l’entretien à bâtons rompus que nous avions eu avec notre ami Étienne, auteur du blog L’investisseur débutant (site fermé).

Si Étienne est un ami, nous n’allons pas vraiment tenter de faire une petite interview du type  « petit coup de pub entre amis » mais tenter de pousser notre confrère au-delà de ce qu’il explique  sur son blog pour essayer de bien comprendre son mental, ce qui était naturel chez lui, ce qu’il a travaillé, étudié, ce qu’il a dû modifier en lui, combattre.

Mise en situation : nous sommes confortablement installés dans le salon de la grand-mère de Franck, un des membres de l’équipe, quelque part dans un petit village de Haute Normandie. Le mobilier est rustique, chaleureux et typique.  Un feu crépite dans l’âtre en cette fin d’hiver et cette attente de printemps qui tarde à venir. L’observateur silencieux peut aussi remarquer dans un coin de la pièce trois casiers de bière empilés les uns sur les autres.  Précisons de suite qu’il ne s’agit pas des réserves personnelles de notre charmante hôtesse mais bien d’une livraison de trappistes en direct des Ardennes belges afin de fêter dignement l’évènement qui va se dérouler sous vos yeux : mieux que « Rencontre du 3e type« , mieux que « Quant Harry rencontre Sally« , voici « Quand Etienne rencontre les quatre types« .

Quand Etienne rencontre les quatre types

 

Salut Etienne, tu vas bien ?

–       Très bien, je suis particulièrement honoré de votre demande, pour ne pas dire un peu surpris. J’estime en effet, plus à avoir à apprendre de vous, que l’inverse, mais le challenge est intéressant ! Et puis je vous dois bien çà : j’ai beaucoup grandi durant ces 3 années grâce à vous.

Installe toi dans le divan. Une petite Orval, pour se mettre en piste ?

–       Ça fait un peu psychanalyse le divan mais je le prends plus comme une discussion au coin du feu. Et j’accepte avec plaisir l’Orval, ma culture trappiste étant peu développée…

Nous avons souvent remarqué, chez les plus grands investisseurs « value », certains points d’originalité dans leur vie, une pointe d’excentricité, dirons-nous. Par exemple Walter Schloss qui installe son bureau dans un couloirs chez Tweedy Browne et y reçoit ses clients, Warren Buffett qui vit toujours dans la même maison et roule dans la même voiture depuis plusieurs décennies… ou encore Martin Withman qui se rend à son bureau sur la Third Avenue à New York avec des chaussettes trouées et une mallette que l’on pourrait croire récupérée des poubelles…

Au-delà de ces anecdotes, nous pensons chez les Daubasses que pour adhérer d’emblée à l’idée d’acheter quelque chose qui vaut 1€ mais que l’on n’est pas disposé à payer plus de  60 cents, il faut un petit côté excentrique, voire original, et donc appréhender certaines choses dans la vie de tous les jours parfois autrement que les gens qui nous entourent. Pourrais-tu donc, nous dire si tu as quelques points d’excentricité, voire un point de vue différent sur certaine chose, dans ta vie de tous les jours. Et éventuellement nous les expliquer ?

– Et bien malheureusement je crains fort de ne pas être du même calibre que ces gens-là puisque je ne crois pas faire quelque chose de bien excentrique ou qui sorte de l’ordinaire.

 Dans un article du blog que nous avons écrit fin 2012, intitulé :  « Les « Daubasses » selon Friedrich Nietzsche », nous avons essayé de comprendre pourquoi il était sans doute  difficile d’adhérer à la notion de valeur dans notre société actuelle alors que, selon Nietzsche, le début de la pensée humaine a pour base l’échange et donc une certaine perspicacité sur la valeur de ce que l’on échange et  serait finalement la base de la fierté humaine.

En fait, s’il est difficile dans notre époque d’adhérer à la notion de valeur, hormis dans l’investissement, c’est tout simplement parce qu’il n’est pratiquement pas possible d’exercer dans notre vie de tous les jours cette idée de valeur perspicace au sens « primitif ». La valeur de ce que nous achetons aujourd’hui  est souvent à 90% intangible pour paraître, pour s’agrandir dans le regard des autres, pour se faire plaisir…

Pourrais-tu faire un petit travail de mémoire et d’introspection pour nous expliquer ce qui, avant d’investir, aurait pu t’influencer sur la valeur « primitive » ? Sur qui, en-dehors investissement, t’a peut-être fait comprendre ou réfléchir à cette notion de bonnes affaires ou de valeur « primitive » : dans ton éducation (parents, grand-parents, instituteurs, professeurs), amis-amies, des lectures, une fait vécu ou vu…?

–       Pas facile…après une recherche approfondie, je dois bien avouer que j’ai été en peine de trouver une réponse à cette question. Les éléments que je peux apporter sont plutôt de l’ordre de mon histoire familiale. Ma famille est on ne peut plus modeste et issu d’un milieu rural. Personne n’était dans le commerce, les finances et mon père n’était ni courtier ni sénateur. Mais j’ai été confronté peut-être tout jeune à la notion de « troc », d’échanges de services beaucoup plus important dans un milieu rural.

–       Cela n’a pas tout à fait à voir, mais je me suis tout de même trouvé un point commun avec le jeune Warren. Etant enfant, j’étais un collectionneur patenté (timbres, pin’s), j’adorais collecter, classer, trier et j’aimais aussi particulièrement mes pièces de monnaies : les empiler, les compter, ça me plaisait !

 Venons-en à tes débuts. Quand les Daubasses ont consulté pour  la première fois ton blog, ce qui les a le plus frappées a été l’intitulé de ton blog  » L’investisseur débutant  » .

En fait nous avons trouvé que cet intitulé dénotait dans la blogosphère sur l’investissement : de notre point de vue, s’ il y avait l’idée directe de dire « je n’ai pas d’expérience et je commence à investir » mais aussi « je suis quasi ignorant mais je vais tenter d’apprendre », il y avait également l’idée implicite que l’auteur de cet intitulé était lucide et modeste. Et quand on connait l’importance de la lucidité et de la modestie, qualités indispensables pour tout investisseur,  on se dit que si tu étais effectivement débutant dans la matière qu’est l’investissement, tu étais parvenu à entamer cet apprentissage, déjà armé de l’esprit de tous les investisseurs qui réussissent bien mieux que la moyenne. On peut même dire que pas mal d’investisseurs ne sont parfois pas en mesure d’acquérir ces deux qualités essentielles.

Pourrais-tu d’abord nous dire,  qui, en dehors de l’investissement, t’a fait comprendre que la lucidité et la modestie étaient en mesure de te faire avancer dans la vie en général ? Et pourrais-tu ensuite expliquer en quoi et pourquoi, la lucidité et la modestie sont des éléments majeurs pour réussir dans l’investissement, et ce, bien avant de commencer à apprendre quoi que ce soit sur l’investissement ?

– Il n’y a personne en particulier qui m’a montré au grand jour ces deux vertus. Tous simplement, mes parents sont modestes et nous avons été élevés dans un esprit de modestie et de simplicité. Ce n’est pas le genre de la maison de fanfaronner et de se mettre en avant. C’est aussi simple que cela il me semble. Pour le côté lucidité, je dois dire que j’ai un esprit assez cartésien, j’aime bien comprendre les choses. Quand je ne sais pas je cherche…et parfois je demande (même lorsque j’ai perdu mon chemin en voiture et que ma femme me supplie de me renseigner depuis 30mn). Je n’ai pas un ego surdimensionné, ce qui, je crois, est une chose tout à fait utile dans le monde boursier.

– Je dirais que, bien souvent, quand on se lance dans l’investissement, on a tendance à vouloir dénicher tout de suite la pépite, sans préoccuper du sens. Ce qui me semble le plus fondamental n’est pas d’acquérir des techniques mais bel et bien de comprendre pourquoi et comment on veut investir.

Pour moi, il y a 4 piliers, inégaux, sur lesquels reposent une démarche d’investissement :

–       La technique : les bases de la comptabilité, maîtriser à minima excel, calculs de divers ratios, les différentes façons d’investir, les stratégies gagnantes…et j’ai oublié aussi quelque chose de très important, la lecture.

–       L’organisation : le portefeuille, le bon courtier, la fiscalité (et dieu sait qu’il y a du boulot sur ce point), quand vendre ? quand acheter ?

–       Les connaissances : la vie des entreprises, des dirigeants, des grands investisseurs, l’économie, l’histoire…mais aussi l’intelligence de la compréhension dans un monde de plus en plus complexe… sans doute le plus passionnant.

–       L’homme : Quel investisseur je suis ? Quels sont mes points faibles ? Suis-je assez patient ? Suis-je capable de revenir sur mes erreurs ? Quels sont mes biais ?

Je crois que, quand on est débutant, on se concentre beaucoup sur les 2 premiers points, puis le 3ème prend le pas et que le plus important est au final le 4ème. En se centrant sur le 4ème, on devient nécessairement modeste (mais il faut déjà l’être pour pouvoir entreprendre cette démarche) et plus lucide.

Aussi, je ne pense pas que l’on puisse réussir sans un de ses quatre éléments.

Pour revenir à la question, à laquelle je répondrais par l’inverse (Inverser, toujours inverser comme dirait Munger) : être trop confiant et sûr de soi peut amener un biais négatif très fort qui peut nous aveugler sur les failles éventuelles d’une société ou nous faire oublier une valorisation excessive.

Etre modeste nous enclin à douter, à se poser des questions. Ceci me semble très sain, cela va nous obliger à nous questionner et donc à chercher la petite bête, à recommencer 10 fois le même calcul pour être certain. C’est un moteur de progrès très important.

 Restons sur ton blog, au départ de ton aventure. Dans ta rubrique « qui suis-je ? » sur ton blog, tu nous expliques que : « A travers ce blog, le challenge, pour moi, est d’une part de vous faire partager les différentes étapes d’investisseur que je vivrai et, d’autre part, me discipliner, m’organiser afin de développer une stratégie cohérente qui me permette de vivre en harmonie avec moi même. »

En fait, c’est la vieille idée remise au goût du jour de tenir un « journal » d’investissement, une feuille de route, pour être bien certain de suivre sa stratégie, l’améliorer et aussi pouvoir analyser ses erreurs, pour essayer de ne plus les répéter et donc pour tenter au fur et à mesure de devenir un meilleur investisseur. Bien entendu, il n’est pas obligatoire que chaque investisseur tienne un blog, il peut-très bien tenir un journal dans lequel cela se passe entre lui et lui.

Par contre, en tenant un blog, nous pensons qu’il y a un « plus » de taille et un « moins » de taille. Le « plus », c’est que tes lecteurs sont des témoins de ce que tu fais… si tu n’es pas prêt à jouer le jeu de l’honnêteté avec toi-même et avec eux, ils vont d’abord te le dire, puis se désintéresser de ton blog…

Donc même si ce n’est pas toujours facile, tes lecteurs te poussent dans le bon sens : présenter des idées claires, suivre sa stratégie et faire part du résultat.

Le « moins » de taille, c’est que beaucoup de bloggeur-investisseurs ne semblent pas vouloir faire ressembler leur blog à un journal d’investissement : ils présentent des analyses et le résultat de leurs portefeuilles sans avoir bien détaillé leur stratégie et sans jamais parler de leurs échecs ou sans jamais réellement se dévoiler.

Si tu avais 4-5 conseils à donner à un investisseur qui voudrait tenir un journal à l’ancienne ou un blog, quels seraient-ils et pourrais-tu expliquer en même temps les avantages de suivre ces 4-5 conseils et les problèmes qui peuvent survenir dans le cas contraire ?

–       Le faire, même si vous écrivez peu, le fait d’écrire va vous obligez à avoir une réflexion sur ce que vous faites. Ecrire permet de rationaliser et parfois il y a beaucoup d’émotions et peu de raison dans nos choix d’investissements.

–       Cela vous cadre un peu. C’est important, notamment pour ceux qui, comme moi, peuvent avoir une tendance naturelle à s’éparpiller.

–       Ne pas se sentir obliger d’écrire pour écrire. Il faut que ce que vous écriviez ait de la valeur. J’ai horreur de lire des articles du genre : « Hier j’ai mangé des pommes et aujourd’hui je me suis brossé les dents 3 fois ». Il faut du sens et un minimum de profondeur, de travail de réflexion, de recherches, enfin c’est comme cela que je conçois l’écriture. A titre personnel, je préfère n’écrire, ou lire sur d’autres blogs, que 3 articles par mois qui ont de la qualité qu’un article quotidien fade et insipide.

–       Etre méticuleux dans son reporting, ne pas « sauter » un mois pour une raison X ou Y.

–       Ecrire sur les sociétés que vous investiguez vous permettra de mieux les connaître.

–       Choisissez une forme qui vous convienne, car, dans ce processus, c’est la démarche et le fond qui sont importants. « Peu importe le flacon, pourvu qu’on ait l’ivresse »…

 Dans ta stratégie « value » de départ, tu as choisi, sur l’investissement en actions, la ligne Graham, basée sur la valeur, avec décote sur les actifs, plutôt que la stratégie de « Buffet 2e époque » avec la barrière contre la concurrence et un juste prix à défaut d’être à un prix cassé. La majorité des investisseurs « value », dont deux membres de l’équipe des Daubasses, sont d’abord passé par la case Buffet avant la case Graham.

Dans le choix de départ, on a d’un côté un professeur peu « sexy » comme Graham qui a écrit un livre finalement très sérieux et extrêmement intelligible mais qui demande pas mal de discipline. De l’autre, nous avons Warren Buffet, un milliardaire élève de Graham, au sujet duquel des livres écrits par d’autres investisseurs nous expliquent que son approche est assez facile à partir du moment où l’on trouve une barrière contre la concurrence qui va résister  dans le temps.

C’est évidement très sexy et en plus, l’exemple de Buffet est immense et vient renforcer l’idée que l’ont va bosser de cette manière pour y arriver. De surcroît, de tous les élèves de Graham (la fameuse équipe de « Doddsville »), il n’y avait que Walter Schloss qui a finalement suivi les enseignements de Graham pendant toute sa vie d’investisseur. Qu’est-ce qui a influencé ton choix de la stratégie du vieux prof peu sexy contre son élève le plus brillant qu’est  « Warren la bombe » ?

–       Grâce à vous Messieurs ! Cela m’a paru tellement évident lorsque j’ai commencé à lire vos écrits, j’ai trouvé cela d’une simplicité désarmante. En lisant  « L’investisseur intelligent » et ensuite « Investir dans la valeur », je me suis dit « mais bon dieu, c’est çà ! c’est tellement évident. Pourquoi chercher autre chose ». J’ai eu la même impression que Moïse quand il a découvert les tables de la loi (enfin je suppose). Je me suis dit : « çà tombe sous le sens et une poignée de gars s’enrichissent comme cela depuis des décennies. J’achète ! ». Et, pour revenir à la question, j’ai adoré la 1ère période d’investissement de Warren… que tout le monde veut oublier facilement ou ne connait tout simplement pas. C’est bien dommage car c’est la période pendant laquelle il a fait ses meilleurs rendements.

–       Ensuite, dire que l’on va faire du Warren quand on n’a pas la moitié de ses compétences, de ses ressources financières et de son réseau, cela me semble voué à l’échec. Autant donc essayer de jouer à un jeu auquel j’ai une chance de gagner. Iriez-vous faire un match de basket contre Jordan ou match de tennis contre Federer en pariant de l’argent ? Personnellement, moi, non. Donc je fais un sport dans lequel je me sens à l’aise, contre des adversaires que je pense pouvoir battre.

–       L’autre aspect qui m’a plu dans l’approche « deep value » à l’ancienne et que l’on peut mettre un prix, objectiver la valeur, ce qui est une toute autre paire de manches dans l’approche Buffet, telle que l’on veut nous la vendre.

–       D’autre part, je suis fondamentalement un « radin », dans le sens où je déteste payer un prix qui me semble trop élevé et quand j’ai le sentiment de me faire arnaquer, cela me rend dingue. De plus, je n’aime pas nécessairement faire comme tout le monde et je préfère dénicher un truc dont personne ne veut et l’avoir à une bouchée de pain, c’est quand même beaucoup plus excitant, non ?

Oui Etienne, vachement plus excitant. Tu parles à des convaincus. 

A suivre …

 

Une réflexion au sujet de « L’investisseur débutant intelligent (2e partie) »

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