Finance comportementale (10e partie) : le biais d’ancrage ! Un méta biais ?

finance comportementaleCe texte fait partie de la série « finance comportementale ».

Ce dixième chapitre nous a vraiment surpris. Comme vous le savez maintenant, cher(e) lecteur(trice),nous ne nous contentons pas de décrire le ou les biais psychologiques qui nous font commettre des erreurs d’investissement, nous essayons autant que faire se peut de comprendre les mécanismes mentaux qui agissent en nous et génèrent ces biais. Dans notre travail de recherche sur le biais d’ancrage, nous sommes parvenus à descendre sur 3 niveaux.

le prix d'achat d'une actionLe premier, soit la description avec des exemples simples de biais d’ancrage, nous a fait dire « bon OK, on n’est pas trop concerné ».

Le second niveau, qui nous explique que les gens intelligents sont plus enclins au biais d’ancrage nous a fait réagir par un « ce n’est pas possible, même eux ! ».

Dans le troisième niveau, nous n’imaginions pas une seule seconde psychologie de l'investisseur en bourseque nous allions retomber sur la parabole de l’évangile selon Saint Mathieu chapitre 7 verset 3-5, que tout le monde connait et qui interroge de cette manière : « Pourquoi vois-tu la paille qui est dans l’œil de ton frère, et n’aperçois-tu pas la poutre qui est dans ton œil ? » Qui, expliqué par des psychologues des universités de James Madison et de Toronto, nous apprend que l’on trouve dans chaque cerveau humain une « tâche aveugle de polarisation ». En deux mots : ce qui permet de voir ce qui ne fonctionne pas chez les autres mais ne permet pas d’agir sur ce qui ne fonctionne pas chez soi ! C’est à la fois le chapitre le plus passionnant et le plus inquiétant que nous avons rencontré dans notre recherche concernant les défaillances de notre cerveau.

Comme d’habitude, l’équipe des Daubasses a été testée sur son biais d’ancrage dans le décorum de l’histoire pour enfant : le grand méchant loup et les trois petits cochons visant principalement à rester sur une ligne qui nous est chère : faire les choses avec un maximum de sérieux sans se prendre au sérieux !

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1° Qu’est-ce que le biais d’ancrage ?

Nous n’échappons pas à nos amis Tversky et Kahneman qui nous expliquent qu’aussi bien les enfants que les adultes se basent sur une quantité d’informations ou une seule information qui peuvent être pertinentes ou non. Par la suite, ils l’ajusteront en considérant les particularités des nouveaux évènements. Cependant, l’ajustement est en général insuffisant car la plupart des gens éprouveront des difficultés à faire évoluer leur première impression.

psychologie de l'investisseur en bourseSelon Tversky et Kahneman, le biais d’ancrage et d’ajustement réside dans l’évaluation d’évènements conjonctifs et disjonctifs. Une série d’évènements conjonctifs est définie par le fait que l’apparition d’un évènement dépend de l’occurrence (apparition) de l’évènement le précédant et détermine l’apparition de l’évènement suivant. Par exemple, afin qu’un nouveau produit de consommation ait du succès, il faut que chaque évènement du projet se réalise favorablement. Chaque évènement a alors une probabilité de succès qui lui est propre. Plus le nombre d’évènements est important, plus la probabilité globale de succès de la série diminue. Elle peut donc être très petite même si la probabilité de chaque évènement est très élevée.

Or, en général, les individus n’identifient pas le caractère conjonctif le prix d'achat d'une actiondes évènements et se basent, par conséquent, sur la probabilité individuelle de chaque évènement (ancre). Ceci entraîne une surestimation de la probabilité globale de succès. De la même manière, lorsqu’un évènement vient perturber la réalisation d’un projet (évaluation du risque d’échec), il s’agit d’évènements disjonctifs. Par exemple, dans le corps humain, si un des organes ne fonctionne pas correctement, tout le corps en sera affecté. La probabilité totale de l’échec du projet peut être importante si le nombre d’évènements est important même quand la probabilité d’échec de chacun est très faible. Cependant, les individus ont tendance à sous-estimer la probabilité totale de l’échec du projet car ils s’ancrent sur la probabilité d’échec d’une seule composante.

Voyons maintenant quelques exemples simples :

L’élève qui arrive en retard le jour de la rentrée des classes a toutes les chances d’être catalogué comme « jamais ponctuel » par la suite, même si d’autres élèves accumulent plus d’arrivées en retard les autres jours que l’élève qui est arrivé en retard le seul premier jour. Le professeur restera ancré sur le retard du premier jour et jugera plus sévèrement la ponctualité de cet élève que des autres.

Le biais d’ancrage est important avec les nombres, c’est la raison pour laquelle les vendeurs – quand ils le peuvent – n’annoncent pas tout de suite le prix d’un produit qui focaliserait l’attention du client et risquerait de l’ancrer sur le prix, le rendant distrait voire imperméable aux autres arguments du vendeur. C’est pour cette raison que les vendeurs préfèrent toujours, avant d’annoncer le prix, vanter toutes les qualités du produit en préparant le client à l’achat d’un produit de grande qualité, qui sera, logiquement, cher.

investir en actions avec un club d'investissement belgeJames Montier, un investisseur value de grand talent, s’est également intéressé à la finance comportementale et au biais d’ancrage lié au chiffre. Nous avons donc trouvé un test que James Montier a proposé à un groupe de personnes. Il leur a posé les questions suivantes :

 

1° Écrivez les 4 derniers chiffres de votre portable

2° Est-ce que le nombre de physiciens à Londres est inférieur ou supérieur à ce chiffre ?

3° Quelle est votre estimation du nombre de physiciens à Londres ?

L’idée est de voir si la réponse à la première question a créé une « ancre » et a influencé la réponse à la troisième question.

 

Les résultats ont confirmé cette hypothèse : les personnes avec les quatre derniers chiffres de leur téléphone au-dessus de 7 000 ont répondu environ 8 000 physiciens. Ceux avec les derniers chiffres de leur numéro de téléphone sous 3 000 ont répondu environ 4 000.

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Avouons qu’avec ces trois exemples de biais d’ancrage, on est en droit de ne pas se sentir trop concerné. On pourra jugé le cas du professeur, un cas isolé, celui du rapport vendeur / client intéressant, bien que si le client a fixé un prix maximum à l’avance et s’y tient, le vendeur peut toujours parler. Pour ce qui est du test de James Montier, nous l’avons même trouvé surréaliste car c’est un peu du style « quel est l’âge du capitaine si l’on sait qu’il mange de la choucroute durant la saison d’hiver, 2 fois par mois depuis 25 ans ? » et nous pourrions en déduire qu’il a 50 ans… Difficile de faire le rapport entre son numéro de téléphone et le nombre de physiciens à Londres. Et pourtant, certain le font. Mais il nous semble aisé de s’extraire des gens interrogés qui font preuve de ce genre de biais d’ancrage.

la psychologie de l'investisseur en bourse2° Même les gens intelligents n’échappent pas aux biais d’ancrage.

Depuis plus de cinq décennies, Daniel Kahneman, prix Nobel et professeur de psychologie à Princeton, mais aussi Amos Tversky, Frederick Shane et Emily Pronin ont mené des expériences désarmantes de simplicité et leurs analyses de ces tests ont profondément changé la façon dont nous percevons notre manière de penser. Alors que les philosophes, économistes et spécialistes des sciences sociales avaient pris pendant des siècles pratiquement pour argent comptant le mythe prométhéen de l’être humain rationnel, ces spécialistes de la psychologie cognitive ont démontré que nous ne sommes pas aussi rationnels que nous aimons le croire.

ancre bourse actionsEn fait ces psychologues nous expliquent que lorsque les gens sont confrontés à une situation incertaine, ils n’évaluent pas attentivement les informations, n’ont pas le réflexes de raisonner en termes de probabilités, voire encore, emploient des statistiques qui ne sont pas pertinentes pour prendre une décision. Au lieu de cela, leur décision dépend d’une longue liste de raccourcis mentaux qui les conduisent souvent à prendre des décisions aberrantes. Ces raccourcis ne sont pas un moyen plus rapide de faire le calcul mais sont un moyen de passer outre du calcul purement et simplement. Interrogé sur le prix de la batte de baseball et de la balle de baseball, nous oublions nos leçons arithmétiques et nous donnons une réponse qui nécessite le moins d’effort mental (vous allez comprendre pourquoi nous parlons de baseball dans l’expérience que nous vous présenteront la semaine prochaine).

A bientôt …phénomène d'ancrage

 

 

2 réflexions au sujet de « Finance comportementale (10e partie) : le biais d’ancrage ! Un méta biais ? »

  1. Article très intéressant.

    Ça me rappelle une expérience que j’avais vu je ne sais plus où : quelqu’un tenait un petit panneau avec une phrase et le faisaient lire aux gens dans la rue. 100 % des gens ont lu la phrase sans s’apercevoir qu’il y avait un mot en trop (qu’ils n’ont pourtant pas répété en lisant).

    Le cerveau va au plus simple et ne se rend pas compte de l’erreur !

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