Les potes de la « Buffett Inc »

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Nous vous proposons, cher lecteur, la traduction libre d’un extrait de l’excellent livre de Janet LOWE qui retrace la vie de notre maître à penser : Benjamin Graham on Value Investing: Lessons from the Dean of Wall Street.

Ce passage nous a semblé intéressant parce qu’il démontre la formidable influence que les enseignements de Benjamin Graham ont eu sur les plus grands investisseurs « dans la valeur » du XXe siècle.

Au début de 1968, la bourse américaine déclinait et l’investisseur d’Omaha Warren Buffett, qui gérait près de 105 millions de dollars dans son partnership était déconcerté et inquiet car il ne parvenait pas à trouver de titres dignes d’achat. Pendant ses douze années d’existence, le partnership de Buffett avait réussi à générer un rendement annuel moyen de 29,5% et il souhaitait maintenir le rendement auquel s’attendaient ses partenaires.

 
« Le marché n’était pas très bon, » dit Walter Schloss, un gestionnaire de fonds à New York et ami de longue date de Buffett, et Warren décida qu’il fallait aller voir « Ben » et lui demander ce qu’il faut faire.

Le « Ben » était Benjamin Graham, qui pendant des décennies avait géré le fameux fonds d’investissement Graham-Newman, donné des cours de finance à Columbia et écrit les livres traitant de l’investissement parmi ceux qui ont connu le plus grand succès. Graham était le penseur et le philosophe le plus influent du XXe siècle en matière d’investissement. Il fut le mentor de Buffett et de dizaines d’autres maîtres américains de la finance. Graham s’était retiré et partageait son temps entre ses résidences en France et en Californie.

« J’ai appris que Ben était de retour au pays » explique Buffett. « Je l’ai appelé et lui ai dit : « Si je viens avec quelques étudiants, accepteriez-vous de nous rencontrer ? » Il répondit,  » Bien sûr. » J’ai appelé dix ou onze personnes et chacune d’elles a dit « oui ». » La date de la rencontre fut fixée au 26 janvier 1968.

La quête

 

Ceux qui firent le pèlerinage sur la côte ouest avaient déjà gagné la réputation d’investisseurs superstars. Il y avait là Walter Schloss, fondateur de Walter and Edwin Schloss Associates, Tom Knapp et Ed Anderson de Tweedy-Browne, Bill Ruane, patron de Ruane, Cunniff & Company et plus tard fondateur de Sequoia Fund, David « Sandy » Gottesman, patron de la firme d’investissement First Manhattan, Marshall Weinberg, courtier pour la firme new-yorkaise Gruntal & Company, Charles T. Munger, un avocat de Los Angeles et à l’époque partenaire informel de Buffett, Roy Tolles, un associé de Munger à Los Angeles, Henry Brandt, senior vice président de Shearson Lehman Hutton, les investisseurs new-yorkais Jack Alexander et Buddy Fox ainsi que l’un des associés de Buffett, William Scott.

Buffett explique que les membres du groupe étaient « modérément aisés ». « La plupart ont dépassé les 60 ans à présent et sont tous riches. Ils n’ont pas créé Federal Express ou ce genre de chose. Ils ont juste avancé en mettant un pied devant l’autre. Ben avait tracé la voie. C’était aussi simple que cela. »

A l’écoute du maître

Buffett écrivit un avertissement pour ceux qui participeraient. «… nous nous engageons dans une sorte de fertilisation croisée. Connaissant la propension de certains d’entre vous à faire de longs discours (et je sens que quelques doigts qui se pointent vers moi), je m’empresse de préciser que c’est lui l’abeille et que nous sommes les fleurs ! Quand je regarde la liste des destinataires de ce mémo, je sens qu’il y a un danger que ça dégénère en une vente aux enchères de marchands de tapis si nous ne nous imposons pas la discipline d’écouter ce que nous pouvons apprendre de Ben plutôt que d’en profiter pour l’informer de toutes les idées géniales que vous avez eu et dont il n’est pas au courant.»

Les pèlerins vinrent de différentes villes, certains se retrouvant d’abord à Las Vegas pour passer quelques jours au nouvel hôtel casino du Caesar’s Palace. Ils se rendirent ensuite à l’hôtel Del Corona de l’autre côté de la baie de San Diego, un élégant hôtel victorien qui avait servi de cadre au film « Certains l’aiment chaud » avec Tony Curtis, Jack Lemmon et Marilyn Monroe.

Ben avait réservé une chambre d’invité pour lui-même et une salle de réunion pour le groupe. Chaque matin, tout le monde se réunissait pour discuter des actions et des marchés financiers ; l’après-midi, on se relaxait à la plage.

Un investisseur parie sur le jeu de quelqu’un d’autre

« Il nous a donné un quiz, dit Buffett, un « quiz vrai ou faux ». Il y avait là tout des gars très intelligents. Il (Ben) nous avait prévenus que la moitié des bonnes réponses étaient « vraie » et l’autre moitié était « faux ». Il y avait 20 questions. La plupart d’entre nous avons obtenu moins de 10. Si nous les avions marquées toutes « vraies » ou toutes « fausses », nous aurions obtenu 10 ! »

Graham avait établi lui-même ce petit examen historique qui nous apparu trompeusement simple, explique Buffett. « C’était pour illustrer un point, que le gars intelligent truquait le jeu. On était en 1968 à l’époque où toutes ces fantaisies comptables étaient employées. Vous pensiez pouvoir en profiter mais le questionnaire avait justement démontré que si vous essayez de jouer à la place de votre adversaire, ce n’est pas si facile. »

« Je me souviens que Roy Tolles obtint le meilleur score » dit Buffett en ricanant. « On avait passé du bon temps. Alors on décida d’en faire une tradition.»

Une tradition est née

C’était la première d’une célèbre série de réunions, entre des vieux copains de Wall Street.

Le groupe qui rencontra Ben Graham – connu aujourd’hui sous le nom informel de Buffett Inc. – se rencontra d’abord une fois par an. Ensuite, le cercle de Buffett décida de se rencontrer tous les deux ans dans des endroits luxueux comme Laurel Point Inn à Victoria en Colombie Britannique, Bishop’s Lodge à Santa Fe au Nouveau-Mexique ou Williamsburg Inn en Virginie. Le club a grandi en incorporant une soixantaine d’autres amis proches Buffett avec, entre autres, la directrice du Washington Post, Katharine Graham, l’ancien président de Coca-Cola, Donald R. Keough, le patron de CBS, Laurence Tisch, et le fondateur de Microsoft et deuxième homme le plus riche des États-Unis, Bill Gates.

« En 1983, nous avions réservé les deux ponts supérieurs du Queen Elizabeth II, » se rappelle Schloss. « Il a plu tout le temps et nous n’avons pas été sur les ponts.»

L’année qui suivit le voyage pour aller entendre Ben, Buffett liquida le Buffett Partnership, dans l’attente du déclin du marché et pouvoir acquérir à bon prix un nouveau portefeuille. Trois ans plus tard, Wall Street subissait l’effondrement de 1973-1974.

Buffett et ses amis étaient allés demander conseil à Ben Graham en Californie pour deux raisons simples : Graham en savait plus sur les actions et les obligations que quiconque et ils avaient confiance en lui.

La sagesse de l’investissement « value »

Sous la tutelle de Graham, ce remarquable groupe de gestionnaires de fonds est parvenu à comprendre les fondamentaux de l’investisseme
nt « value ». … Les investisseurs « dans la valeur » ignorent les fluctuations des cours des actions individuelles ainsi que du marché dans son ensemble. Les cycles du marché sont pour eux de petites conséquences sauf que les marchés haussiers rendent les bonnes affaires plus difficiles à trouver et les marchés baissiers les rendent très nombreuses. Graham a été un pionnier dans le développement des techniques de hedging et dans la découverte des possibilités d’arbitrage mais ces activités sophistiquées étaient aussi fondées sur la connaissance des prix auxquels une action peut être vendue ou achetée.

Question (ou plutôt réflexion) de lecteurs

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De temps à autre, certains lecteurs nous font la réflexion suivante : « Vous avez certes un rendement époustoufflant mais vous avez eu la « chance » de commencer votre portefeuille dans un « creux du marché ».

Bien évidemment nos lecteurs assidus savent déjà ce que nous pensons du « timing de marché ».

Nous allons cependant illuster cette théorie au moyen d’un exemple simple : celui de notre portefeuille.

Tout d’abord nous n’avons pas choisi le moment où nous allions investir. Nous avons choisi d’investir dans des sociétés sous évaluées et il se fait que le marché fourmillait d’occasions au moment où nous avons démarré. C’est d’ailleurs le raisonnement que nous tenions à l’époque : nous n’avons pas écrit  » la bourse est au plus bas : c’est le moment d’investir » mais bien « Aujourd’hui, il semble que ces opportunités disparues fassent leur réapparition. C’est sur base de ce constat que notre club a été fondé« .

Ensuite, nous n’avons pas investi « au plus bas du marché » à proprement parler : le portefeuille a démarré le 24 Novembre 2008. A ce moment, le marché représenté par le S&P 500 est à 851.81 points. Le fort de cette crise (en terme boursier) se situera en fait le 9 mars 2009 à 676 points. Soit 21% plus bas que le 24 novembre 2008 … et à ce moment-là le portefeuille affichait déjà +17.71%.

Cet exemple exprime de manière lumineuse l’absurdité de toujours attendre le creux, le plus bas des marchés quand on investit dans des sociétés car si nous avions attendu le creux et que nous avions eu la science infuse de savoir que ce creux aurait pour date le 9 mars 2009 : nous aurions donc pu, avec fierté et en bombant la poitrine, vous annoncer que c’est au plus bas des marchés que nous avons investi … mais nous aurions payé le même portefeuille « Daubasses » 17% plus cher !
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Portefeuille au 16 Octobre 2009 : 326 Jours

– Cliquez sur le tableau pour l’agrandir

Portefeuille : 46 288,58 €—(Frais de courtage et de change inclus)
Rendement Total :186,34%

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Rendement Annualisé :
Rendement 2009 :
197,32%
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Taux de Rotation Annualisé :
% Frais Annualisé :
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Tracker ETF Lyxor MSCI World : 19 427,78 €—(Frais de courtage inclus et dividende réinvesti)
Rendement Total : 18,76%

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Rendement Annualisé :
Rendement 2009 :
22,51%
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* Nous rappelons que ce portefeuille est un investissement réel
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Performance Mensuel du Portefeuille depuis sa Création


Walter Schloss : ce qu’en dit Warren Buffett

Vous connaissez, cher lecteur, toute l’admiration que nous vouons à Walter Schloss que nous considérons comme le meilleur chasseur de daubasses de tous les temps.

Nous lui avons consacré trois articles ici, ici et ici.

 

The Superinvestors of Graham-and-Doddsville

Warren Buffett, immense parmi les grands, ne tarit d’ailleurs pas d’éloge pour « Big Walt ». Dans son célèbre discours “The Superinvestors of Graham-and-Doddsville”, voici ce qu’il en dit :

« Je commencerai cette étude de résultats en revenant sur un groupe de quatre d’entre nous, qui a travaillé à la Graham-Newman Corporation de 1954 à 1956. Il n’y avait que quatre personnes ; je ne les ai pas sélectionné parmi des milliers d‘autres. J’avais proposé de travailler à la Graham-Newman pour une bouchée de pain après avoir suivi les cours de Benjamin Graham, mais ce dernier refusa, assurant que j’étais sur-évalué. Il prenait son idée de valeur très au sérieux ! Après moultes sollicitations, il accepta finalement de m’engager. Il y avait trois associés et nous quatre qui avions rang de “serf”. Nous avons tous les quatre quitté l’entreprise entre 1955 et 1957 lorsque la société était en liquidation, et il est possible de retracer le parcours de trois d’entre nous.

Le premier exemple est celui de Walter Schloss. Walter n’est jamais allé à l’université mais prenait des cours du soir avec Ben Graham au New York Institute of Finance. Walter quitta Graham-Newman en 1955 et il réalisa en 28 ans des performances époustouflantes. Voici ce qu’en dit Adam Smith dans son livre « Supermoney » après que je le lui ai présenté :

“Il n’a pas de relations ni d’accès aux informations utiles. Pratiquement personne ne le connaît à Wall Street et personne ne l’aide. Dans les livres et les rapports annuels qu’il étudie, il ne s’intéresse qu’aux chiffres. C’est à peu près tout ce qu’il fait. Après qu’il m’eut présenté Walter Schloss, Warren m’avait dit : “Il n’oublie jamais qu’il gère de l’argent qui ne lui appartient pas, ce qui ne fait que renforcer l’aversion qu’il a de perdre ». Il est très intègre et connait parfaitement ses limites. L’argent et les actions sont des choses bien concrètes à ses yeux, c’est pour cela qu’il est attiré par le principe de marge de sécurité.”

Walter s’est énormément diversifié. Il n’est pas inhabituel qu’il détienne plus de 100 titres en portefeuille. Il sait repérer les titres qui se transigent bien en-dessous de la valeur qu’ils représentent auprès d’opérateurs industriels. Et c’est tout ce qu’il fait. Il ne se préoccupe pas de savoir que l’on soit en janvier ou que l’on soit un lundi, ni de savoir si c’est une année d’élections. Il dit simplement que si une société vaut un dollar mais qu’il peut l’acheter pour 40 centimes, quelque chose de bien peut lui arriver. C’est comme ça qu’il procède, encore et toujours. Il détient beaucoup plus d’actions que moi et s’intéresse beaucoup moins que moi au modèle économique de l‘entreprise. Je n’ai pas l’air d’avoir beaucoup d’influence sur Walter. C’est d’ailleurs l’une de ses forces : personne n’a beaucoup d’influence sur lui. »

 

Si vous voulez lire l’intégralité de “The Superinvestors of Graham-and-Doddsville” qui constitue tout de même une des oeuvres majeures de l’oracle d’Omaha, vous pourrez en trouver la traduction française intégrale faite par Laurent sur le site de nos amis du Café de la Bourse. Ce discours de Buffett offre une fascinante étude sur la façon dont les disciples de Benjamin Graham ont exploité sa philosophie d’investissement.

 

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