Comme vous le savez, cher lecteur, les comptes et bilans des sociétés dans lesquelles nous investissons constituent le centre de nos décisions d’achat et de vente.
Cependant, certains d’entre vous nous reprochent, parfois, d’accorder trop de confiance aux chiffres publiés.
Ils ont raison : la prudence est mère de sûreté et des affaires « Enron », « Worldcom », « Lerhout & Hauspie » sont là pour nous rappeler que, de temps à autre, nous pouvons « tomber » sur une direction indélicate qui tenterait d’induire la communauté des boursicoteurs en erreur quant à la « vraie » valeur de leur entreprise.
Néanmoins, nous pensons que s’il est effectivement difficile de détecter toutes les fraudes et malversations, il est possible, moyennant un solide bon sens paysan, d’écarter certaines entreprises à risque.
Comme vous le savez, nous nous intéressons à l’actif des sociétés plutôt qu’à leurs bénéfices. Nous allons vous proposer des indicateurs dont l’objectif sera de vérifier que les actifs dont nous tenons compte pour établir « notre » juste prix sont correctement valorisés dans le bilan.
Nous vous avons déjà parlé des deux premiers indicateurs, les plus importants selon nous : la vitesse de rotation des stocks et des créances. Nous les utilisons de manière systématique pour chaque société que nous achetons.
La vitesse de rotation des stocks
Il s’agit de vérifier que la direction ne surévalue pas ce poste (pour, par exemple, maintenir artificiellement des résultats bénéficiaires) ou si, plus simplement, l’entreprise n’éprouve pas plus de difficulté à les écouler, ce qui traduirait une perte de valeur marchande latente. Pour ce faire, nous comparons le rapport entre les achats de marchandises ou les frais de production et la valeur du stock. Si le délai de détention d’articles en stock tend à augmenter au fil des années, une petite sonnette d’alarme doit raisonner dans un coin de votre tête.
Le délai moyen de paiement des créances
Ici nous comparons l’évolution de ce délai dans le temps. Pour ce faire, nous rappelons notre formule de calcul : créances commerciale / chiffre d’affaires X 365. Si ce délai a tendance à s’allonger au fil des années, cela peut signifier soit que la société ne gère pas activement ses en cours (et que le risque d’impayés augmente) soit que sciemment, elle gonfle la valeur de ce poste soit en omettant de provisionner les créances douteuses soit, comme dans l’affaire « Lernhout & Hauspie », en effectuant des ventes « fictives ».
Quelques indicateurs supplémentaires
Outre ces deux indicateurs selon nous incontournables, nous vous proposons deux autres pistes de vérification de la juste valorisation des postes de l’actif.
1. Mesurer l’évolution, année après année, de la part prise par les incorporelles, les impôts différés et le goodwill dans le total du bilan. On additionne la valeur de ces trois postes et on la divise par le total de l’actif. Si le ratio obtenu augmente avec le temps, la méfiance doit être de mise.
2. Comparer le montant des amortissements par rapport aux actifs amortissables (incorporels et corporels) et son évolution dans le temps. En pratique, nous reprenons le montant des amortissements tel qu’indiqué dans le tableau des flux de trésorerie et le divisons par le montant total des actifs fixes (hors goodwill et immobilisations financières). Une diminution de ce rapport dans le temps doit vous interpeler car cela pourrait peut-être signifier que la direction allonge la durée d’amortissement de ces biens pour « embellir » son bilan et ses comptes.
Outre ces quatre points, nous voudrions attirer votre attention sur le fait qu’une société qui « déguiserait » ses comptes n’en resterait pas moins une société qui a des besoins en financement de ses activités. Si ce n’est pas grâce à un cash flow suffisant (ce qu’on peut supposer si la direction a effectivement opté pour la solution « faux en écriture » ou à tout le moins « window dressing »), ce sera par le recours à des sources de financement externe.
Dans cette optique, divers éléments du passif devraient également attirer notre attention et nous « mettre la puce à l’oreille ».
- une dégradation de notre ratio de solvabilité maison tel que nous le présentions dans cet article
- une forte augmentation dans le temps du nombre d’actions en circulation
- une augmentation dans le temps du ratio « charges financières/résultat d’exploitation »
- un fond de roulement négatif
Conclusion
Disons le tout net : il n’existe aucune protection absolument imparable contre la malhonnêteté d’une direction et le pire est évidemment toujours possible. Mais nous pensons tout de même que si vous vous trouvez en face d’une société qui présente dans ses rapports financiers 6 ou 7 des 8 points que nous venons d’évoquer, il vous sera important d’adopter vis-à-vis de celle-ci la « position du chat » : une patte en avant et l’autre sur le recul.