Le 5 avril 2016, nous apportions nos actions à l’OPA de Vtech sur notre société LeapFrog Entreprise Inc et actions une moins-value de -34.97% sur cette aventure qui a finalement mal tourné, même si a posteriori, nous pensons aussi que cela aurait pu être bien pire en valant tout simplement 0$. Revenons sur ce court métrage douloureux.
Le 18 juin 2015, nous achetons des actions Leapfrog pour la somme de 3 568,26 € frais inclus, ou encore à 1,53$ par action frais inclus. La valeur d’actifs tangibles de la société est alors de 2,55$. Leapfrog est l’un des leaders mondiaux du jeux multimédia pour enfants en bas âge et dans l’analyse que nous vous avions présentée dans la lettre n°51 de juillet 2015, un manque de renouvellement produit générant une perte importante était la principale raison pour retrouver la société dans la catégorie « Daubasses ». Nous pensions donc avoir acheté une société à bon prix et surtout capable de redresser la barre en lançant l’un ou l’autre nouveau produit. Si nous n’imaginions pas d’autre scénario à cour terme, qu’un bateau qui continue à prendre l’eau, avec un chiffre d’affaires qui reculerait encore pendant quelques trimestres, nous étions loin d’imaginer que la situation se dégraderait aussi fort et aussi vite, les VANT passant au fil des rapports de 2,55$ à 2,21$, puis à 2,06$ !
En février 2016, la société concurrente Vtech, dont le siège est situé à Hong Kong, lance une offre de rachat à 1$ par action. Nous pensons que c’est vraiment peu cher payé et que ces chinois sont de vrais radins et les actionnaires de plus longue date aussi, puisqu’ils lancent une class action contre la direction.
Dans le dernier rapport que nous lirons, celui de mars 2016, en calculant la nouvelle VANT de 1,45$, soit un peu plus de 25% plus bas que la précédente, nous nous dirons finalement que la société de Hong Kong n’est pas si radine que cela, voire moins radine que nous, puisque nous avions acheté la société avec 40% de décote sur la VANT et que Vtech offre un prix qui lui permet d’avoir une marge de sécurité de 31% sur la dernière VANT.
C’est donc l’histoire d’une direction américaine qui avait en main une société performante et qui a tout foiré. Les premiers manchots croisés dans le Groenland auraient pu arriver au même résultat sans trop se forcer ! Nous avons donc finalement encaissé net de frais la somme de 2 320.42€… et toute cette histoire s’est déroulée sur 292 jours.
Voici donc l’analyse que nous avions réalisée en juillet 2015 et dont nos abonnés ont pu profiter à l’époque.
LeapFrog Enterprises Inc.
(NYSE : LF / ISIN : US52186N1063)
I. Introduction
La société a été fondée en 1995 à Emeryville, en Californie.
LeapFrog Entreprises est un développeur de jeux éducatifs pour les enfants en bas âge.
La gamme de produit est composée de jeux éducatifs multi-média avec de nombreux produits connexes et des jouets éducatifs. Les produits sont connus sous des noms tel que LeapTV, LeapPad, Leapster, LeapReader.
L’anglais, le français et l’espagnol sont les trois langues dans lesquelles sont développés les produits de Leapfrog.
La société les distribue directement via son centre de distribution ou via des distributeurs indépendants.
Ses 4 principaux clients pèsent 56% de son du chiffre d’affaires :
– Wall Mart : 22%
– Toys R « US » : 14%
– Target : 10%
– Amazon : 10%
Le segment « multimédia » pèse 68% du chiffre d’affaires, les jeux éducatif 30% et les autres produits 2%.
La société réalise 70% de son chiffre d’affaires aux USA et 30% à l’international.
Le 18/06/2015, nous avons acheté des actions LeapFrog à un coût de revient de 1,52 USD, taxes de bourse et frais de courtage inclus.
Nous vous proposons cette analyse à partir du rapport annuel clôturé au 31 mars 2015.
II. La Valeur d’Actif Net Net (VANN)
La société détient un actif courant d’une valeur de 3.25 $ et supporte des dettes de 0.76 $, soit une valeur net-net de 2.49 $.
Nous observons toutefois un ralentissement dans la rotation des stocks par rapport à la moyenne des 3 derniers exercices : les marchandises voient leur durée de détention dans l’inventaire passer de 68 à 92 jours.
Conformément à notre process, nous retraitons automatiquement la valeur net-net de la société de 0.13 $ supplémentaires.
Après ce retraitement la valeur net-net s’établit à 2.36$.
III. La Valeur d’Actif Net Estate (VANE)
La société ne disposant pas d’immobilier en propre, nous ne calculons pas cette valeur.
IV. La Valeur de Mise en Liquidation Volontaire (VMLV)
Voyons maintenant le bilan et mesurons sa résistance à une mise en liquidation volontaire.
Dans les actifs courants, les liquidités valent 1.80$ par action, nous les reprenons en l’état.
Les comptes « clients » valent 0.28 $ par action. Sur les 3 derniers exercices, les factures ont été acquittées en 45 jours alors que sur cet exercice, le délai de paiement n’était que de 21 jours. Malgré une diminution de plus de la moitié de ce délai et la présence de multinationales comme WallMart, Toys R « US », Target et Amazon représentant la majorité des clients, nous prendrons une marge de sécurité de 10% sur ce poste que nous évaluons donc prudemment à 0,25 $ par action.
Le stock représente 1 $. La direction nous explique que ce stock est évalué aux coûts les plus bas du marché et est géré selon la méthode First In – First Out, ce qui nous semble cohérent avec des produits à composante technologique. Quand nous regardons le détail de ce stock, nous observons que le matériel de base compte pour 4% et les produits finis pour 71%. Nous allons prendre une marge de sécurité de 20% sur le matériel de base et de 40% sur les produits finis, ce qui nous donne une valeur pour le stock de 0.24 $.
Nous avons ensuite des acomptes versés et d’autres actifs pour la sommes de 0.4 $. Face au manque de détails concernant ce poste, nous le reprenons pour 50% soit 0.07 $. Nous trouvons enfin des impôts différés dont nous ne tenons pas compte.
Dans les actifs à long terme, nous reprenons l’équipement et les machines pour 10% de leur coût d’acquisition, soit 0.11 $.
N’ayant pas d’explication pour les autres actifs à long terme, nous les reprenons pour 50% de leur valeur, soit 0.01$.
Nous reprenons enfin pour 0 $ le goodwill, les intangibles, les taxes différées à long terme et le coût de développement des produits que nous assimilons à des intangibles.
Actif courant
Liquidités : 1.80 $
Compte client : 0.25 $
Stocks : 0.24$
Autres actifs : 0.07$
Actif immobilisé
Équipements : 0.11$
Autres actifs : 0.01$
Nous avons donc un actif total en cas de mise en liquidation volontaire de 2.48 $.
Hors bilan, nous avons trouvé des stocks options aux prix d’exercice supérieurs à la VANT. Nous n’en tiendrons par conséquent pas compte.
Nous avons également trouvé des leases pour la somme de 0.29 $.
Si nous soustrayons les dettes de 0.76 $, ainsi que ces leases, nous obtenons une Valeur en cas de Mise en Liquidation Volontaire de 1.43 $.
V. La Valeur de la Capacité Bénéficiaire (VCB)
Sur les 5 dernières années, la société a enregistré une seule année de perte en 2014.
Mais cette perte est importante puisqu’elle représente un peu plus que les gains cumulés des 4 autres années.
Son résultat d’exploitation 2014 vaut -2 $ par actions tandis que le cumul des 4 années antérieures (2010-2013) est de +1.85 $. Il nous est donc impossible de calculer la VCB de la société de la manière dont nous la calculons habituelle-ment.
VI. Conclusions
A notre coût d’achat de 1.52$, nous disposons d’une marge de sécurité de 36 % sur la VANN.
La Valeur d’Actif Net Tangible (VANT) de la société est de 2.55 $. Le potentiel estimé au cours de 1.52$ est donc de 68 %.
Le ratio technologique de la société, calculé en divisant 5 ans de R&D par la capitalisation boursière, est de 164 %.
Nous concluons sur trois questions, qui nous permettent de mettre en perspective le prix radin actuel offert par le marché pour chaque Daubasse et ses perspectives d’évolution.
1° Quelles sont les raisons qui ont amené cette société dans la zone Daubasse ?
C’est sans conteste la perte de l’exercice 2014 que nous pourrions qualifier d’abyssale à 3.12 $ par action.
Le chiffre d’affaires a fondu de 39% et plus précisé-ment de 40% aux USA et de 37% à l’international.
La direction ne donne pas d’autres explications qu’une baisse des ventes de 48% sur le segment « multimédia » due principalement aux ventes de tablettes en fort recul alors que les segments « jeux éducatifs » et « autres » ne sont en recul que de 4.50%.
2° Quels sont les éléments qui pourraient faire empirer la situation et faire disparaître la marge de sécurité dans le futur ?
Nous pensons que sans nouveaux produits dans le segment « multimédia », la marge de sécurité pourrait disparaître complètement.
3° Quel pourrait-être le ou les catalyseurs, pour faire sortir cette société de l’ornière ?
Avant de nommer les catalyseurs, nous avons observé que la direction a profité de cet exercice en perte pour faire un nettoyage de bilan important en supprimant purement et simplement le goodwill et en dépréciant les actifs fixes de la société.
Ces réductions de valeur ont bien entendu été considérées comme des dé-penses opérationnelles, bien qu’elles n’aient entraîné aucune perte de cash.
Si nous n’en tenons pas compte dans le calcul de la VCB, le revenu d’exploitation moyen de la société sur 5 ans est de 0.65$. Actualisé à 12%, cela nous donne 5.41$ à laquelle nous ajoutons les liquidités de 1.80$ et nous obtenons une VCB « retraitée » de 7.21 $.
Nous évoquons donc cette VCB à titre informel. Mais elle nous semble donner une image plus juste de la situation de la société dans le temps.
Il faut encore ajouter à cela une provision d’impôt de 1.10$ par action. Cette somme devra bien entendu être sortie des caisses de la société à un moment ou un autre, mais elle nous semble plutôt à considérer comme un élément ponctuel qui ne se répétera pas forcément en 2015. Par contre, elle impacte encore plus fortement la perte 2014.
Avec ces deux premiers points, nous avons voulu relativiser quelques peu la perte abyssale qui a sans doute effrayé les marchés.
Nous avons détecté deux catalyseurs principaux :
Tout d’abord l’annonce de la direction de la sortie de nouveaux produits en 2015.
Le second catalyseur, c’est la partie technologique de la société représentée par la R&D que nous considérons toujours comme une « cerise sur le gâteau » et devrait sans doute jouer son rôle dans la conception de nouveaux produits in-novateurs.
Nous pensons enfin que le cash de la société de 1.80 $ par action, couplé à une solvabilité de 155 %, lui confère une certaine solidité pour traverser les périodes difficiles.
Enfin, même si le potentiel de 68 % est loin d’être exceptionnel, nous jugeons le risque relativement modéré.
Malgré ce passage à vide, la société reste le leader du marché dans le segment des plates-formes multimédia et jeux éducatifs.
NEWS DE SUIVI
2015 Septembre
Le premier trimestre de la société clôturé au 30 juin est vraiment mauvais. La VANT passe de 2.55$ à 2.21$. Les ventes sont en chute de 18%. Nous voyons aussi que les coûts fixes sont en augmentation de presque 4%. La société signe un premier trimestre en perte de -0.39$ par action, au lieu de -0.23$ un an plus tôt.
Plus inquiétant encore, la rotation des stocks est passée, d’une moyenne sur 3 ans, de 93 jours à 226 jours sur ce trimestre. Et le délai de paiement des factures a plus que doublé, puisqu’il était de 26 jours en moyenne sur 3 ans et est passé à 60 jours sur ce trimestre. De ce fait, la valeur net-net de 2.17$ a été retraitée et vaut 0.84$ par action….
La seul bonne nouvelle du mois est venue le 20 août: il s’agit du lancement d’une nouvelle tablette, la « LeapFrog Epic »…sous Android: une première. La direction explique que cette tablette est pleine de nouvelles fonctionnalités et encore plus interactive. Et que le contenu sera capable de mieux s’adapter à l’âge de l’enfant, sur plusieurs années.
Nous pensons pour notre part que le bilan de la société a un besoin rapide de cette nouvelle tablette pour redresser la barre. D’autant plus que le cours de la société est passé sous les 1$ depuis le 12 août à 0.92$ au moment ou nous écrivons ces news. Et que si rien ne change, une menace de délistement finira bien par arriver.
2015 Décembre
Le rapport semestriel clôturé fin septembre nous montre que la situation déjà difficile du premier trimestre s’est encore empirée. Avec une VANT en recul à 2.06$ et surtout plus inquiétant, une durée de rotation des stocks qui s’allonge et passe à 149 jours (comparé à la moyenne de 90 jours des trois derniers exercices), mais aussi une augmentation de la durée de paiement des factures passant à 104 jours au lieu de 36 jours en moyenne sur les 3 derniers exercices.
Le chiffre d’affaires est en recul de 34% sur le semestre et la marge brute a été divisée par deux, passant de 28% à 13%. Nous ne comprenons pas bien, vu le contexte, que les frais fixes soient en augmentation de pratiquement 9%. La perte finale sur les 6 premiers mois de l’année fiscale de la société est de -0.87$ au lieu de -0.26$.
Et pour couronner le tout, la direction ne nous explique rien de concret sur la suite de l’aventure, hormis qu’il vont commencer à étudier les problèmes et vont voir ce qu’il sera possible d’entreprendre pour les résoudre. On ne peut pas dire que ce sont des « lève-tôt » pour le moment.
2016 Février
Vtech, une société chinoise de Hong Kong, a lancé une OPA sur la société. Elle propose 1$ par action. Radins radins, ces chinois qui veulent faire une bonne affaire en rachetant à moitié prix la valeur des actifs tangibles de la société qui valent 2.06$. Nous les comprenons entièrement, mais cela ne nous arrange pas puisque notre prix de revient est de 1.5253$. Si l’offre n’est pas remontée, ce qui n’est pas à exclure, nous risquons une perte de 30% à ce prix de 1$. La réaction des actionnaires ne s’est pas fait attendre. Le lendemain de l’annonce de l’OPA, des actionnaires ont fait appel à la société d’avocats Brodsky & Smith pour signifier leur mécontentement sur le prix proposé par Vtech, et enquêter sur les raisons qui ont poussé la direction et le conseil d’administration à accepter ce prix. Que du banal dirons-nous, car ce genre d’attaque en justice se produit à chaque fois que le prix est bradé. Ceci dit, c’est vrai qu’à la moitié des actifs tangibles c’est un peu gros, et pas aussi courant que cela.
Nous sommes évidemment pour cette action en justice, sans nous faire trop d’illusions. Si c’est un moyen de faire pression pour espérer voir remonter un peu le prix de l’offre, nous n’y voyons pas le moindre inconvénient. Affaire à suivre…
2016 Mars
Le 3ème trimestre clôturé au 31 décembre ne donne aucun signe d’amélioration, la valeur patrimoniale de la société continuant à se détériorer. La VANT passe de 2.02$ à 1.45$. Sur le seul troisième trimestre, les ventes ont subi un nouveau recul de 43% par rapport à 2014. La perte finale du trimestre est de -0.62$ alors que hors provisions des taxes sur le profit, la perte de 2014 était de -0.52$.
Un bon bilan, voire un bilan mettant en évidence des signes d’améliorations aurait été un argument pour négocier à la hausse l’offre de 1$ de Vtech. Par contre cette hémorragie financière donne au contraire de la légitimité à l’offre des Chinois de Hong Kong, même avec 0.74$ de cash dans les caisses de Leapfrog !
A part cela, pas de nouvelle sur l’offre, sinon une avalanche d’actions en justice menées pas des cabinets d’avocats pour tenter d’expliquer que l’offre de Vtech n’est pas suffisante. Ou vont-ils trouver les arguments? C’est la question que votre équipe préférée se pose…
2016 Avril
Nos abonnés ont été prévenu par mail que nous apportions nos actions à l’offre de Vtech d’1$ par action. Nous allons donc subir une perte qui va tourner autour de -35%.
Merci de partager.
J’apprecie beaucoup VTech, l’acquereur. Ils s’en sortent bien, dans ce business a priori volatile des jouets pour enfants (cf. Leapfrog…)
Je trouve qu’elle a un beau parcours, meme si le CA stagne ces dernieres annees.
La croissance semble revenir.
Avec une part microscopique de son CA en Asie, cette societe de HK a un bon potentiel de croissance dans sa zone…
Bonne continuation.