Nous terminons ici le tryptique portant sur First Farms, notre fermier roumano-solvaquo-danois. Après une présentation générale du contexte et un détail des débats que nous avons eu entre nous, voici l’analyse financière proprement dite telle que nous l’avions présentée à nos abonnés dans notre lettre de mars 2012. Comme nous vous l’avions expliqué, la société a été vendue dans le cadre du portefeuille « daubasse » du club mais plusieurs d’entre nous l’ont conservé et elle occupe une place de choix au sein de leur portefeuille personnel.
Après les fêtes de fin d’année, nous vous expliquerons pourquoi le club a vendu et pourquoi certains d’entre nous ont conservé. Et nous pouvons déjà vous annoncer que nous allons faire un suivi régulier de cette société ici même sur ce blog, en accès public … même s’il ne s’agit décidément pas d’une « daubasse AOC ».
Nous avons acheté nos actions First Farms à un coût de revient, frais de courtage inclus, de 46,46 DKK. Et pourtant, cette société ne constitue, en fonction de nos critères, ni une VANN, ni une VANE, ni une VANtre.
Comme vous avez pu le lire ci-dessus, il s’agit, pour nous, de diversifier nos investissements tout en gardant évidemment une « value touch ».
Nous allons donc aborder la valorisation de First Farms « à la manière d’un fond fermé » ou « d’une holding décotée » même s’il s’agit bel et bien une entreprise opérationnelle.
Voici donc la Valeur de Mise en Liquidation Volontaire telle que nous l’avons calculée pour cette société et ce, sur base des comptes arrêtés au 30/09/2011.
Une fois n’est pas coutume, nous commencerons par le haut du bilan.
Nous remarquons tout d’abord du goodwill pour 3,41 DKK par action mais vous nous connaissez, cher lecteur, pour nous, ce genre de poste ne vaut pas plus que ce qu’il signifie techniquement : le surcoût par rapport à leur valeur comptable d’actifs acquis par la société. Nous n’avons jamais considéré qu’un « surcoût » représentait une « valeur » et reprenons donc ce goodwill pour 0.
Le cas des quotas laitiers auraient pu être traités différemment : ce sont, certes, des immobilisations incorporelles mais ces quotas représentent bel et bien un droit de commercialiser une certaine quantité de lait. Cependant, comme nous en avons traité ci-dessus, il y a de fortes chances que le système des quotas soit revu par l’UE en 2015 et même, qu’il disparaisse. Dès lors, si ce poste représente toujours un outil de production pour l’entreprise jusqu’à cette date, nous estimons que dans le cas d’une mise en liquidation, il ne vaudrait plus grand-chose et le reprenons donc également pour 0.
Nous passons à présent au plat de résistance et à la principale richesse de First farm : son immobilier. Il se compose des bâtiments d’exploitation (étables, salles de traite, entrepôts, silos à grains, …) ainsi que des terrains agricoles essentiellement situés en Roumanie.
Comme nous vous l’avons détaillé dans les deux articles précédents, la valorisation des terrains reprise dans les comptes nous semblent relativement prudente par rapport aux prix actuels sur le marché. Sur base des informations fournies par la direction, nous pensons, par déduction, que ceux-ci représentent 26,09 DKK par action. Quant aux bâtiments, ils sont récents mais, évidemment, leur spécificité peut les rendre assez difficiles à négocier. Pour cette raison, nous les reprendrons pour leur valeur aux livres (c’est-à-dire amortie et non brute comme nous le faisons habituellement) amputées d’une décote de 20 %, soit 23,31 DKK.
Les autres actifs fixes d’exploitation comme les installations et le matériel sont repris, prudemment, pour seulement 20 % leur valeur (amorties) aux livres soit 3,44 DKK par action.
Viennent ensuite les « actifs biologiques ». Dans notre cas, il s’agit surtout du troupeau de 2 700 vaches laitières. Nous considérons que ce troupeau peut très facilement se négocier en cas de mise en liquidation. Pour cette raison, nous reprenons ce poste avec une « mini » marge de sécurité de 10 %, soit 5,74 DKK.
Le poste d’impôts différés pèse 3,70 DKK mais depuis notre mésaventure « Giga Tronics », nous n’en tenons plus compte dans nos évaluations.
Nous passons à présent à l’actif courant et son poste principal … qui est aussi constitué d’actifs biologiques. Nous trouvons ici les génisses qui ne sont pas encore « productives » et les veaux soit environ 2 300 têtes de bétail supplémentaires. On comptabilise aussi dans ce poste l’ensemble des cultures sur pied dans l’attente de leur récolte et de leur vente. Tout comme pour le troupeau de laitières, nous pensons qu’en cas de liquidation, le troupeau sur pied serait aisément négociable. Les cultures, une fois arrivées à maturité, trouveraient également facilement preneur. Nous appliquons donc une marge de sécurité minimaliste sur ce poste de 10 % et le reprenons pour 10,43 DKK.
Dans les stocks, nous trouvons quelques matières premières (semence, gasoil) ainsi que le fourrage pour les troupeaux et quelques produits finis (nous n’avons pas le détail de ces produits finis mais nous pouvons supposer qu’il s’agit surtout de grains et, peut-être, un peu de lait en attente d’enlèvement par les laiteries). La société détient 84 jours de stock. Cela peut paraître un peu excessif mais il faut savoir que c’est une volonté de la direction de disposer pour au moins une année d’aliments pour son bétail afin d’être moins soumis aux aléas climatiques et aux variations des prix des céréales. Finalement, nous estimons que nous pouvons nous montrer assez peu gourmand en « sécurité » et appliquons une marge de sécurité de 15 % sur ce poste. Nous le prenons donc en compte pour 4,62 DKK.
En réalité, nous voyons dans ce cas précis l’intérêt d’une entreprise comme Firstfarm qui, bien que transformateur, produit des biens qui sont, pour ses clients, des matières premières de base. Dans pareil cas, nous pouvons nous permettre de reprendre ses stocks et ses « outils de production » que sont les vaches sans trop de décote.
Les créances sont généralement payées à 37 jours, ce qui semble raisonnable. Des provisions pour plus de 30 % du montant brut ont été actées par la direction. Ce qui semble démontrer sa prudence mais nous constatons aussi que ces provisions n’ont plus été mouvementées depuis un an, ce qui tend à démontrer que les espoirs de remboursements pour ces créances sont fortement réduits. La direction nous donne cependant, dans les comptes arrêtés au 31/1/2010 plus d’informations. Nous y apprenons notamment que 20 % des factures sont échues depuis plus de 90 jours.
Finalement, nous comptabilisons ce poste avec une décote de 20 % supplémentaires soit 2,14 DKK.
Un poste d’autres créances apparaît également dans l’actif courant. Il est essentiellement composé de subsides à recevoir de l’Union Européenne mais aussi de l’Etat slovaque. Nous supposons que ces créances seront bel et bien honorées et les valorisons pour le montant repris dans les comptes, à savoir 5,02 DKK par action.
Nous ajoutons telles quelles quelques dépenses payées d’avance et le cash qui représentent à eux deux 2 DKK par action.
Hors bilan, nous relevons la partie non résiliable des baux agricoles, essentiellement en Slovaquie. Cette dette « non inscrite » représente 1,39 DKK par action.
Nous déduisons également l’ensemble des dettes du passif, à savoir 38,42 DKK par action.
En fonction de ce qui précède, nous établissons la Valeur de Firstfarm en cas de Mise en Liquidation Volontaire à 42,98 DKK, soit légèrement en dessous de notre coût d’achat.
Rappelons néanmoins que la Valeur d’Actif Net Tangible de Firsfarm est de 65,50 DKK. Nous avons donc un potentiel d’appréciation jusqu’à cette valeur de 40 %, ce qui est appréciable par rapport à d’autres sociétés du même type comme nous l’avons mentionné lors de nos débats « endiablés et passionnés ». Jugez-en vous-mêmes…
Les sociétés dont les activités sont les plus proches de celles de notre viking balkanique ont leurs activités en Amérique latine : Cresud qui cote plus de 2,3 fois sa VANT et Adecoagro valorisée par le marché à 1,06 fois sa VANT.
Plus près de nous, Agrogénération, cotée à Paris et détenant des terres en Argentine et en Ukraine présente un ratio price to book de 3 (avec les risques que peuvent présenter un investissement en Ukraine, pays dont on sait que le respect du droit de propriété est à géométrie vraiment variable).
Par comparaison, on peut dire que notre achat d’actions Firstfarm présente toutes les caractéristiques d’un investissement « value » même si nous devons reconnaître que nous avons été moins stricts qu’habituellement en terme de marge de sécurité.
En effet, vous aurez compris que cette acquisition n’a pas été réalisée tout-à-fait dans la même optique que nos achats traditionnels en daubasses. L’objectif ici était clairement de diversifier notre portefeuille mais aussi d’acquérir des terrains agricoles à des prix tout-à-fait dérisoires par rapport à ce que nous devons payer dans nos régions. Les grosses fortunes de ce monde (ou certaines d’entre elles) semblent d’ailleurs privilégier les terrains agricoles comme source de placement patrimoniale comme en témoigne cet article du Figaro mais il y a deux grosses différences avec un achat de First Farm : d’une part, le ticket d’entrée dans notre entreprise danoise n’est pas de 500 000 euros (comme il est fait référence dans l’article) et d’autres part, l’acquisition se fait avec une décote par rapport au prix des terrains : comme quoi, contrairement à l’adage, il n’est pas toujours nécessaire d’être riche pour « faire des bonnes affaires ».