Une daubasse que nous n’achetons pas …

Parfois, il nous arrive d’être saisis de fièvre lorsque, dans nos radars, nous voyons apparaître des sociétés particulièrement décotées.

C’est ainsi que nous sommes tombés sur une entreprise qui était cotée à la moitié de sa VANN et qui présentait un rapport cours/VANT de plus de 600 % !!!

Miam miam miam… la bonne affaire que voilà… et zou deux Orvals pour fêter ça… heu… et une troisième pour faire bonne mesure.

Le temps de reprendre ses esprits et l’analyste désigné par  l’équipe pour « triturer » les rapports financiers se lance dans l’analyse  pendant que ses 3 compères continuent  à fêter dignement la trouvaille en éclusant consciencieusement quelques Orvals complémentaires et y ajoutant des Rocheforts pour faire bonne mesure.

Notre sobre ami, concentré sur sa tâche malgré les chants de victoire parfois un peu paillards qui emplissent la « salle de réunion », est en plein travail.

« Bon l’activité… oui… commerce de détail de fringues… ça on connait ! »

« Je revérifie la VANN, la VANE… OK… c’est correct »

– « bon, le calcul de la Valeur de Mise en Liquidation Volontaire à présent »

– « Houlà, le stock est plutôt gros ! OK, c’est des fringues, le stocks ne tournent pas très rapidement,  et hop, je rabote leurs valeurs de 50 % »

– « je passe en revue les autres postes de l’actif… ok… rien de particulier à signaler… »

-« pfff… y aussi des baux en cours hors bilan. Comme d’hab, je les reprends pour 50 % de leur valeur… et la Valeur de Mise en Liquidation Volontaire est… merde… »

-« qwaaa ? y un problème ? », l’interpellent ses trois compères qui, l’euphorie aidant, envisageaient déjà de lancer une OPA sur la société et de « virer la direction et de montrer de quoi on est capable »

-« ben oui les gars : VLMV négative… », répond tristement notre analyste

– « et m… »

Et voilà comment un bon tiers de la réserve d’ « orge divin fermenté » fut épuisé … pour rien puisqu’il n’y avait plus rien à fêter.

Mais notre analyste a tout de même ramassé les précieux feuillets d’analyse que, dans un élan rageur, il avait dispersé au quatre coin du QG.

C’est donc cette analyse que nous vous proposons aujourd’hui, analyse qui nous permet de vous montrer qu’une forte décote apparente ne signifie pas nécessairement des risques réduits, qu’un haut potentiel théorique ne débouche pas nécessairement sur un achat de notre part et que le strict respect d’un process peut s’avérer parfois frustrant.

Mais peut-être que vous, ami(e) lecteur(trice), vous trouverez quelques qualités à cette société. Bonne lecture.

Le Chateau Inc.

Toronto Stock Exchange : CTU.A / Code ISIN : CA5211291060
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I. Introduction

Le Château est un groupe de magasins textile québecquois localisé à Montréal (Canada) qui emploie 2 500 salariés. L’entreprise vend ses vêtements, produits à 35% au Canada, dans son réseau de 224 magasins essentiellement au Canada (il existe 5 magasins sous licence au Moyen-Orient).

Cette taille le situe au 5ème rang des détaillants québecquois en termes de nombre de magasins sur le sol canadien. La direction est assurée par Jane Silverstone Segal, qui est la femme du fondateur Herschel Segal (83 ans), ce dernier ayant décidé de ne plus avoir de fonctions opérationnelles dans la société. La première collection pour femme est sortie en 1962.

Sur le dernier exercice (clos au 27 janvier 2014), Le Château a réalisé un chiffre d’affaires de 275 M CAD. Cela faisait bien longtemps que nous n’avions pas croisé sur notre chemin une daubasse avec un potentiel sur la VANT de +596%. Et nous allons découvrir pourquoi.

La présente analyse a été effectuée avec les chiffres des comptes trimestriels (3ème trimestre) arrêtés au 25 octobre 2014. Le cours de référence est celui de la clôture du jeudi 12 mars 2015, soit 0,61 CAD par action. Les calculs ont été établis sur la base de 29 971 307 actions potentielles diluées en circulation.

 

II. La Valeur d’Actif Net Net (VANN)

La société possède un actif courant d’une valeur de 4,50 CAD par action et l’ensemble des dettes représente 3,25 CAD par action. La valeur d’actif net-net est donc égale à 1,255 CAD par action.

 

III. La Valeur d’Actif Net Estate (VANE)

La société détient des terrains et des immeubles en acquis pour une valeur historique de 990 k CAD, soit 0,033 CAD par action. Nous prenons une marge de sécurité de 20% pour les terrains et immeubles et obtenons 0,027 CAD, y ajoutons la VANN et calculons une VANE de 1,281 CAD par action.

 

IV. La Valeur de Mise en Liquidation Volontaire (VMLV)

Dans cette évaluation, nous essayons d’estimer la valeur de la société si elle était mise volontairement en liquidation. C’est-à-dire dans une position confortable de réalisation de l’ensemble de ses actifs.

Nous commençons par les actifs les actifs courants, les actifs les plus liquides.   Le premier poste est constitué les stocks, inscrits dans les comptes pour une valeur de 4,28 CAD par action. La société a écoulé ses stocks en moyenne en 448 jours durant les 3 dernières années, et en 448 jours sur le dernier exercice. Ils sont constitués à 91% de produits finis (des vêtements).

La société a déjà comptabilisée une réduction de valeur de 2,5 M CAD sur les 9 premiers mois de l’exercice au titre de ses stocks. Clairement, nous touchons du doigt le cœur du problème avec ces stocks. Même si nous constatons une marge brute (CA – coût des ventes) de 62% sur les 9 mois de l’exercice, il semble que Le Château ait du mal à écouler ses nouvelles collections. Aussi, il nous faut être prudent sur la valeur des vêtements.

En prenant en compte une décote de 50%, nous pensons que la valorisation tiendrait compte d’une solderie géante pour apurer les stocks. Ce qui est partiellement vrai, puisque la direction en parle dans le cadre de son plan de gestion des stocks, via l’exploitation de 42 magasins-entrepôts « afin de vendre les produits escomptés des saisons précédentes ». La société pourrait également acter purement et simplement à une mise au rebut. En tenant compte de ces 50% de marge de sécurité, nous obtenons finalement une valeur de 2,14 CAD.

Nous passons au poste suivant : les charges payées d’avance. Elles représentent « comptablement » 0,08 CAD par action. Et nous reprenons ce montant tel quel.

Il en est de même pour la trésorerie d’une valeur de 0,08 CAD par action et qui n’appelle aucun commentaire.

Place ensuite aux créances clients, qui représentent un montant de 0,04 CAD par action. La société a été payée en moyenne en 2 jours sur les 3 dernières années, comme sur l’exercice précédent. Ce délai de paiement très court est typique des sociétés de distributions qui ont une clientèle de particuliers. Nous décidons de prendre une marge réduite, car la société n’est pas réellement exposée à un défaut de paiement de ses clients, et retenons ainsi 0,03 USD par action.

Il reste dans l’actif courant des impôts remboursables et des instruments financiers dérivés pour un montant de 0,02 CAD. Au vu des montants en jeu et la nature de ces actifs, nous décidons de les considérer comme sans valeur.

Après les actifs courants, les actifs non courants. Comme nous l’avons vu plus haut dans le calcul de la VANE, la société possède de des terrains et bâtiments. En prenant une marge de sécurité de 20% sur les valeurs historiques d’acquisition, nous obtenions un montant de 0,03 CAD par action.

En ce qui concerne les machines, équipements et le mobilier, nous n’avons pas les détails dans le rapport trimestriel et nous nous basons sur le rapport annuel 2013, arrêté au 25 janvier 2014. Nous décidons de valoriser ces actifs sur la base de 5% de leur valeur déjà amortie à hauteur de 49%. Nous retenons ainsi un montant de 0,14 CAD par action.

Nous ne tenons pas comptes des actifs incorporels, composés essentiellement de la valeur des logiciels. En effet, ce ne sont nullement des actifs tangibles.

Le total du passif (le total de ce que doit la société) représente 3,25 CAD par action.

En hors bilan, nous ne trouvons pas de traces de procès en cours.

Nous n’avons pas tenu compte de 2 891 000 options sur action, car leurs niveaux d’exercice varient entre 1,44 CAD et 13,25 CAD, soit plus du double du cours actuel de 0,61 CAD pour le seuil de 1,44 CAD. Le risque dilutif nous semble limité.

Enfin, la société est tenue par des obligations contractuelles concernant la location de ses magasins pour un montant total de 213 088 M CAD, que nous décidons de reprendre pour moitié, car il pourrait faire l’objet d’une négociation ou bien d’une cession. Nous ajoutons donc 3,55 CAD par action à l’ensemble du passif.

Nous n’avons pas trouvé d’autres éléments d’engagements hors-bilan.   Pour résumer, en cas de mise en liquidation volontaire de la société, nous obtenons la valeur suivante (en CAD par action) :

Actif courant

+ Stock : 2,14
+ Charges payées en avance : 0,08
+ Trésorerie et équivalents : 0,08
+ Créances clients : 0,03

Actif immobilisé

+ Immeubles et terrains : 0,03
+ Equipements et matériels : 0,14

Passif

– Total passif : -3,25

Obligations contractuelles (baux de location) : 3,55

Ce qui nous donne donc une VMLV de -4,30 CAD par action.

 

 V. La Valeur de la Capacité Bénéficiaire (VCB)

Sur les 5 derniers exercices, la société a publié des résultats opérationnels positifs sur 2 exercices, les plus éloignés : 2009 et 2010. Les pertes sont croissantes sur les exercices 2011, 2012, 2013 et seront encore plus en pertes en 2014. Par conséquent, le calcul de la VCB n’a pas de sens.

VI. Conclusions

Au cours actuel de 0,61 CAD, il est possible d’acheter l’action de cette société avec une décote de :   51% sur la VANN 52% sur la VANE.

Le potentiel sur la Valeur d’Actif Net Tangible (VANT = 4,25 USD) est de : +596%.

Notre calcul de solvabilité maison ressort à : 66%.

Ratio technologique = 0%  La société n’a en réalisé aucune dépense en Recherche & Développement sur les cinq dernières exercices.

Désormais, pour chaque analyse, nous concluons sur trois questions, qui nous permettent de mettre en perspective le prix radin actuel offert par le marché pour chaque Daubasse et ses perspectives d’évolution.

 

1° Quelles sont les raisons qui on amené cette société dans la zone Daubasse ?

La société agit dans un secteur en pleine névrose au Canada. Fin 2014, deux enseignes ont fermé définitivement les rideaux : Smart Set (groupe Reitman) et ses 107 magasins ; ainsi que le groupe Jacob et ses 92 magasins. Même la multinationale hollandaise Mexx (95 magasins au Canada) a fait faillite. Le Château ne passe entre les gouttes et accuse des pertes record depuis 3 exercices. Et l’exercice en cours s’annonce comme étant un des pires exercices de son histoire. De plus, aucun analyste ne suit la valeur qui atteint un niveau abyssal. Le cours est passé d’un plus haut en 2010 à près de 15 CAD, et touche désormais presque le plancher à 0,61 CAD.

 

2° Quels sont les éléments qui pourraient faire empirer la situation et faire disparaître la marge de sécurité dans le futur ?

La marge de sécurité est déjà faible. Plusieurs éléments peuvent faire aggraver la situation de l’entreprise. Premièrement, les pertes peuvent s’accentuer. Quid alors du financement des banques ? Une facilité de crédit a bien été accordée avec une échéance juin 2017, mais si les besoins en investissements ne peuvent plus être financés ?

La société est maintenant artificiellement sous respirateur par la famille fondatrice. En mars 2014, Jane Silverstone Segal, la femme du fondateur, et première actionnaire du Groupe avec 34,3% du capital, a octroyé un prêt de 5 M CAD à la société.

La relation de la famille fondatrice avec le Groupe semble forte, et il se pourrait qu’elle continue à soutenir la société au-delà du raisonnable.

En tout cas, au-delà de ce que ferait un créancier classique. Un autre actionnaire, l’ancien analyste Barry Gruman (17,7% du capital) ne semble pas très optimiste. C’est le moins que l’on puisse dire ! « Disons que je ne suis plus aussi confiant dans le potentiel de retournement, mais que je garde mes actions et mes espoirs », a-t’il déclaré début 2014. Il estime quand même que la société s’échange largement en dessous de sa valeur comptable, ce qui semble incohérent selon lui.

En effet, 4,36 CAD de fonds propres par titre pour une valeur boursière de 0,56 CAD. Une décote qui atteint les 87% !

 

3° Quelles pourrait-être le ou les catalyseurs, pour faire sortir cette société de l’ornière ?

35% des vêtements vendus sont produits au Canada, ce qui engendre des coûts bien supérieurs aux concurrents. Les canadiens semblant par ailleurs ne pas avoir la fibre patriote, puisqu’ils désertent les magasins.

Mais ce fait peut devenir un atout. La société pouvant décider de changer de politique et de faire travailler une main-d’œuvre meilleur marché, ce qui pourrait permettre une augmentation des marges. Sur les 224 magasins, dont 44 magasins-entrepôts, certains ferment (les moins rentables) et d’autres sont rajeunis pour se porter sur le nouveau créneau haut-de-gamme de la marque. Un pari qui peut s’avérer gagnant.

 

L’âge du capitaine

A 62 ans, Jane Silverstone Segal est la coproductrice du film les 12 coups de minuit, ou After the Ball en version américaine. Une comédie romantique sortie le 27 février 2015 au canada. Est-ce un investissement pour placer des produits de Le Château ? Possible. On peut en effet acheter les mêmes vêtements que ses stars préférés en magasins. Le sous-titre du film est quoiqu’il en soit également assez évocateur « les contes de fées sont toujours à la mode ».

Il serait néanmoins souhaitable que la présidente de l’entreprise consacre davantage d’énergie à son enseigne, voire qu’elle en cède le contrôle si elle préfère se consacrer à sa carrière de productrice. Ce ne serait peut être pas un mal… d’autant plus, qu’elle a été payée 1,4 M CAD sur le dernier exercice, soit environ 10% de la capitalisation boursière actuelle.

Finalement, le malheur des uns faisant le bonheur des autres, la disparition récente de nombreux concurrent sur le même créneau de marché (Smart Set, Jacob et Mexx) pourrait permettre à la société de prendre des parts de marchés.

 

Notre position : Quoi qu’il en soit, malgré des fonds propres de 3,46 CAD par action, notre process nous interdit tout achat d’actions de cette société en raison de sa VLMV négative.

Une réflexion au sujet de « Une daubasse que nous n’achetons pas … »

  1. Quant à moi, une excellente décision de votre part de rester sur les lignes de côté avec cette entreprise qui est loin d’être sortie du bois.

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