Nous abordons donc à présent, ami(e) lecteur(trice), le 2e volet de notre lecture de « l’oeuvre » de Mary Buffett et David Clarck en résumant les différentes possibilités d’arbitrage selon l’Oracle d’Omaha. La première partie est disponible ici.
1. Les fusions amicales
Ce sont les fusions préférées de Warren Buffett. Les cas de figure peuvent être multiples du style échange d’actions avec ou sans une partie de cash supplémentaire.
Les risques sont souvent limités puisque les différentes parties à la transaction (acquéreurs, directions et actionnaires) sont d’accord. Reste un doute au niveau des organismes gouvernementaux de la concurrence.
Au niveau technique, il est nécessaire de couvrir cet arbitrage au moyen de ventes à découvert.
Un petit exemple pour plus de clarté ?
Allons-y …
Prenons une société A qui cote à 25$ et qui souhaite acquérir de manière amicale la société B qui cote à 43$.
Le deal est le suivant : la société A propose aux actionnaires de la société B un échange de 2 actions A contre une de leurs actions. L’échange aura lieu dans 4 mois. Si vous décidez de participer à cet arbitrage, vous allez tenter d’acheter au plus vite l’action B. Vous ne parviendrez probablement pas à la payer au prix de la veille de l’annonce, soit à 43$ mais, pour la simplification de l’exemple, nous allons le supposer.
Vous payez donc 43$ et dans 4 mois vous aurez donc droit à 2 actions de la société A cotant aujourd’hui à 25$ , ce qui valorise donc l’opération à 50$. Un profit de 7$ vous attend donc sur cette transaction, soit un rendement de 16.27% (7/43). Petit problème : imaginons que le prix déboursé par la société A pour la société B soit jugé par le marché trop élevé, le cours de 25$, pourrait baisser. Si le cours devait baisser jusqu’à, par exemple, 23$ au lieu de 25$, vous ne recevriez plus pour les deux actions de la société B 50$ mais 46$ et votre profit à l’échéance serait alors moindre, seulement 3$ ((2*23)-43).
Ce phénomène raboterait pas mal votre rendement puisqu’il ne serait plus que de 6.97% (3/43). Pour éviter cette situation, vous devez vendre à découvert la société A au moment où vous achetez la société B. La vente à découvert vous permet d’encaisser la différence entre le prix auquel vous avez couvert et le prix dans 4 mois si celui si est plus bas. En résumé, pour sécuriser l’opération d’arbitrage, vous achetez la société B à 43$ et vous vendez a découvert 2 actions de la société A à 25$.
4 mois plus tard, au terme de l’opération, si la société A a baissé à 23$, vous rachetez votre vente à découvert pour 46 usd, actions que vous aviez préalablement vendues pour 50 usd. Votre bénéfice dans l’opération est donc : 3 usd pour l’arbitrage proprement et 4 usd pour la vente à découvert soit 7 usd … le montant du gain calculé initialement. Cette combinaisons d’achat d’une action et de vente à découvert vous permet donc de « bloquer » le gain envisagé au début de l’opération et ce, indépendamment de l’évolution du cours de l’action de l’acquéreur.
Nous pensons que ce genre d’opération est techniquement possible pour un particulier (certain d’entre nous l’ont déjà pratiqué pour leurs portefeuilles personnels) mais il faut agir très vite, au niveau des deux sociétés pour ne pas encaisser des écarts de prix contraire dès l’annonce.
Pour le portefeuille du club, c’est techniquement impossible : notre courtier nous interdit de pratiquer toute vente à découvert.
2. Les prises de contrôle hostile – OPA
Selon les auteurs, ce sont les fusions qui rapportent le plus mais qui sont aussi les plus risquées.
En fait, qu’il s’agisse d’une société, d’un fond privé ou de private equity, le but est de tenter de racheter une société alors que la direction et le conseil d’administration y sont opposés.
Les moyens utilisés sont multiples pour tenter de faire échouer la transaction.
Par contre, il y a souvent surenchère dans l’offre pour faire plier certains actionnaires, voire la majorité des actionnaires et c’est donc pour cette raison que cela rapporte souvent plus pour ceux qui tentent un arbitrage. Néanmoins, c’est là également que les échecs sont les plus nombreux car il peut même y avoir un refus politique : rappelez-vous de Pepsi voulant racheter Danone avec, en outsider, le gouvernement français de l’époque qui fait échouer la transaction.
Au niveau compétences d’analyse, pour déterminer si les chances d’aboutir sont élevées ou faibles, cela nous semble assez compliqué d’autant plus que les acteurs favorisant ou bloquant la situation sont nombreux, ont des pouvoirs de décision différents et peuvent parfois ne pas apparaître au départ.
Nous ne pensons donc pas que cette catégorie soit réservée aux particuliers car trop de compétences juridiques ou « d’insiders » sont requises et peu de moyens sont mis à disposition pour comprendre l’intérêt de chaque acteur pour permettre de déterminer avec un haut degré de probailité, le dénouement de la situation.
Techniquement, cela se déroule de la même manière que les prises de contrôle amicale.
3. Les rachats de titres
Certaines sociétés rachètent leurs propres actions, leurs actions préférentielles, leurs obligations ou leur obligations convertibles.
Il arrive que la société, au lieu de racheter sur le marché, fait une offre directe, soit à prix fixe, soit aux enchères à leurs actionnaires.
Quand il y a offre directe à prix fixe, les risque sont limités. En contrepartie de ces risque limités, on peut penser que l’écart entre le cours et l’annonce de prix auquel la société rachète se réduit très vite et donc limite fortement le profit pour une opération d’arbitrage. Ceci dit, si on dispose de quelques information sur le projet de rachat, c’est sans doute plus facile mais nous ne pensons pas qu’un investisseur particulier ait la possibilité de glaner ce type d’information.
Nous avons par exemple rencontré ce type d’offre avec Vet’Affaires : au beau milieu de la « tornade 2009 », la direction avait proposé de racheter une partie des titres à un cours de 13 euros. Cependant, le temps que l’offre se mette en place, le cours de la société est remonté largement au-dessus de ce prix et la société n’a pu acquérir que quelques titres. Peut-être les cours actuels sont-ils une occasion de relancer une telle offre ?
Mais revenons à nos moutons ou plutôt nos arbitrages …
Pour l’offre aux enchères, le risque semble plus grand car les enchères peuvent être revues à la baisse. En effet, dans ce cas, l’entreprise est disposée à racheter un nombre limité de titre au meilleur prix : plus il y aura des actionnaires détenant en grosse quantité ce qui va être racheté, plus ceux-ci sont décidés à s’en débarrasser et plus il y aura de risques qu’ils acceptent de lâcher quelques $. Pour l’ arbitragiste, cela peut devenir un problème puisqu’il doit agir vite en se basant sur une première offre en achetant ce qui va être racheté par la société. Tout prix inférieur par la suite viendra alors réduire ses profits, voire les transformer en perte !
4. Les restructurations d’entreprises
Comme vous l’aurez compris, ce sont souvent des entreprises au bords de la faillite avec un endettement démesuré. Comme le disent les auteurs, ils y a énormément à gagner sur ces situation d’arbitrage.
Si nous approuvons entièrement leurs affirmations, nous pensons que pour véritablement juger une situation de restructuration parfois très complexe, de nombreuses compétences sont nécessaires, voire une certaine expérience. Tout comme pour les OPA, en plus des acteurs financiers, il y a souvent des enjeux politiques et des interventions de l’états dans ces restructuration.
Nous ne pensons pas que l’investisseur particulier soit le mieux placé pour tirer profit de ces situations avec un risque mesuré.
En gros, nous ne pensons pas que l’investisseur particulier aura accès aux supports les moins risqués avec des closes avantageuses pour l’acheteur. Il n’aura accès qu’aux actions ou aux obligations « basiques ». Essayer d’arbitrer dans de telles conditions nous paraît plutôt dangereux.
5. Les liquidations d’entreprises
Si vous nous suivez depuis quelques temps, cher(e) lecteur(trice), vous devinez sans peine que c’est de très loin le type d’arbitrage que nous préférons car il nous semble accessible même s’il n’est pas forcément dénué de risque.
D’ailleurs, nous n’avons pas attendu ce livre pour proposer à nos abonnés une analyse sur la liquidation d’une société immobilière et un possible arbitrage dans notre lettre de février.
La liquidation d’une entreprise, c’est, en général, une décision de la direction soumise au vote des actionnaires. Si la majorité marque son accord, la direction vend tous les actifs de la société, paye les dettes et retourne la différence aux actionnaires. Cette différence, c’est un peu ce que nous tentons de calculer dans nos analyses et appelons la Valeur de Mise en Liquidation Volontaire. La différence avec une faillite, c’est que l’on ne vend pas les actifs dans la précipitation et à n’importe quel prix mais au meilleur prix possible et dans un temps qui n’est pas forcément limité.
Pour qu’il y ai une situation d’arbitrage, il faut forcément que ce qui sera potentiellement retourné aux actionnaires ait un prix plus élevé que le cours. C’est donc une situation que tous les amateurs de daubasses appréhendent assez clairement, voire envisagent avec la plus délicieuse des délectations.
Les risques ne sont pas nuls mais, selon nous, sont relativement limités si l’on évalue avec prudence la valeur des actifs. Et le risque que, finalement, la liquidation ne se fasse pas parce que, par exemple, les prix pour les actifs sont jugés trop faibles. Néanmoins, ce risque ne nous semble pas si élevé si vous avez acheté avec une marge de sécurité suffisante.
Prenons un petit exemple sur une société immobilière…
La valeur des actifs évaluée par la société est de 100$, l’endettement de 50$. Après liquidation de la société, les actionnaires recevrons donc 50$. Si le cours est à 35$, vous avez donc une décote de 30% sur la VANT… et donc un potentiel de profit intéressant de 15$ ou de 43% sur les sommes investies (15/35).
Si vous estimez que la direction mettra 3 ans pour liquider le patrimoine immobilier et qu’elle le réalise à ce prix, vous aurez avec 43% de rendement un rendement de 12.7 % annualisé. Si du retard survenait et que la société mettait 5 ans à vendre ces immeuble, votre rendement annualisé serait alors de 7,5 %.
Imaginons aussi que dans une conjoncture difficile pour l’immobilier, la valeur des bâtiments ne soit pas réalisable au prix de 100$ et que la direction et les actionnaires annulent la mise en liquidation volontaire, vous savez alors que dans la conjoncture actuelle la VANT de la société vaut moins que 50$ puisque la valeur de ces immeubles ne sont pas de 100$ mais moins. Comme vous avez acheté à 35$ et donc avec une décote de 30%, vous n’êtes pas prix au piège, vous pouvez garder la société car même si vous n’avez pas réalisé l’arbitrage escompté, vous avez fait une bonne affaire qui, certes, ne se réalisera pas dans l’immédiat vu les condition de marché mais qui se réalisera peut-être plus tard.
L’autre avantage de ce type d’arbitrage sur des actif décotés et donc finalement des daubasses, c’est qu’il y a parfois moins de monde à scruter l’affaire en raison, par exemple, d’une faible liquidité qui ne permet à des fonds ou à des investisseurs fortunés d’acheter suffisamment d’actions. En plus, dès l’annonce de liquidation, le cours n’explose pas, voire ne tend pas nécessairement à un retour sur sa VANT parce que peu d’analystes sont intéressés par ce type de petite société peu liquide qui ne tourne pas rond et aussi parce que, pour d’autres investisseurs particuliers, la mise en liquidation peut-être assimilée, à tort, à une faillite.
Vous aurez compris que sur ce type d’arbitrage « petite société mal en point », nous avons un bel avantage : nous connaissons le terrain et sommes habitués à exiger de la décote sur nos estimations.
Dans ce type d’arbitrage, nous devons donc ajouter la facteur temps et envisagez différents scénarios, un court , un moyen , un long. Si le scénario le plus long procure une rendement satisfaisant, on peut alors arbitrer.
6. Les cessions
Il ne s’agit pas du type d’arbitrage le plus facile. Cela consiste, pour une société de type conglomérat composé de 3-4 branches d’activité, de coter séparément soit toutes les branches d’activité du groupe, soit l’une ou l’autre d’entre elles car la direction juge de cette manière que les actionnaires sont plus avantagés. Cela peut s’appliquer, par exemple, quand une de ces branche d’activité a un problème qui déteint sur l’ensemble du conglomérat.
Rappelez-vous ce type de cession a eu lieu sur Altria group, un conglomérat composé de trois entités : Philip Morris USA, Philip Morris International et Kraft Food. Le problème rencontré dans ce cas, c’était les procès retentissants et répétés intentés contre Philip Morris USA qui mettaiten le cours de Altria sous pression… alors que Philip Morris International et Kraft Food se portaient plutôt bien.
Dans le livre, les auteurs nous expliquent le mécanisme d’un arbitrage pratiqué par Warren Buffett avec la société Dun & Bradstreet.
En gros, il faut comprendre qu’il faut se concentrer sur le joyaux de la couronne dans ce type d’arbitrage et en calculer la valeur. Le joyau d’Altria, c’était Philip Morris International et celui de Dun & Bradstreet, Moody’s.
L’arbitragiste est donc sensé acheter dès la décision de séparation annoncée, le conglomérat à un prix décoté par rapport aux deux valeurs. Buffett achète donc 24 millions d’action D & B à 21$ pour une valeur totale de 499 millions de $. Une fois la séparation effectuée, il reçut 24 millions d’actions Moodys et 12 millions d’actions New D&B.
3 ans plus tard, il revend ses 12 millions d’actions New B&D à 30$ soit pour un total de 360 millions. On peut donc dire que Moody’s lui coûte réellement les 499 millions déboursés au départ moins la valeur des New B&D dont Buffett n’a cure, soit 139 millions ou 5.79$ par action Moody’s.
Nous trouvons évidement la manoeuvre de Buffett remarquable et extrêmement intelligente et nous sommes vraiment admiratif.
Mais notre question reste : est-ce possible pour un investisseur particulier de mener à bien de telles opérations ?
Nous pensons que c’est difficile car pour être vraiment gagnant sur l ‘entité visée, il faut aussi pouvoir comprendre que l’entité dont on n’a cure va s’apprécier par la suite. Car par exemple, si au lieu de s’apprécier de 50% en 3 ans , la société New B&D avait fait faillite et avait vallu 0$, le prix payé pour Moddy’s aurait été de 21$ soit pratiquement 4 fois plus cher que le prix de revient que Buffett en a tiré. Il y a fort à parier que Buffett a entré cette variante dans son calcul de départ en se disant que même à 21$ Moody’s était une belle affaire et à 5.79$, c’est une très grosse affaire ! Car à un cours de 40$, si l’on a acheté à 21$, c’est un peu moins de 100% de plus-value tandis qu’à 5.79$, on en est déjà à pratiquement 600%.
En conclusion
Nous ne pouvons que constater une nouvelle fois que la légende tissée autour de Buffett qui ne ferait qu’un buy & hold appliqué, en achetant de belles sociétés pas trop chères, n’est absolument pas la réalité du plus grand investisseur de tous les temps.
L’arbitrage nous montre une nouvelle fois, qu’il faut une somme de compétences très largement au-dessus de la moyenne ainsi qu’ une réputation et un capital hors norme pour vous permettre de jouer aussi à bon escient sur l’effet de levier quand le risque est limité.
Tout cela n’est pas vraiment accessible aux particuliers même si la catégorie arbitrage sur liquidation peut être abordée car nécessitant moins de compétences et présentant un risque qui nous semble assez limité
Nous terminons néanmoins avec une note assez négative sur les auteurs qui font preuve, selon nous, d’une malhonnêteté intellectuelle flagrante en faisant miroiter dès les premières pages qu’à l’ère de l’internet et des courtiers en ligne, l’investisseur particulier peut rivaliser avec Wall Street et donc parvenir à faire comme Warren Buffett en matière d’arbitrage.
C’est de notre point de vue vraiment désolant d’être à ce point dans un déni de réalité, sur le plus grand investisseur de tout les temps … Désolant car c’est finalement nier sa singularité et l’ensemble de son parcours d’investisseur de ses achats de daubasses à l’achat de Heinz & co…!
Bonjour,
Merci pour ce report très intéressant.
Je pense qu’il y a une coquille dans le calcul la liquidation d’entreprise immo:
« La valeur des actifs évaluée par la société est de 100$, l’endettement de 50$. Après liquidation de la société, les actionnaires recevrons donc 50$. Si le cours est à 35$, vous avez donc une décote de 30% sur la VANT… et donc un potentiel de profit intéressant de 25$ ou de 71% sur les sommes investies (25/35). »
Le potentiel ne serait il pas plutot de 15$ (50-35)?
Oui Michael, nous corrigeons dans le texte.
Justement sur le sujet, je viens de lire çà : http://csinvesting.org/2013/03/08/readers-question-on-arbitrage/
Je viens d’achever la version américaine du livre.
Le gros avantage est que cela ne m’a pris beaucoup de temps et je suis bien content de l’avoir payer une bouchée de pain (moins de 2e) car, compte tenu du prix, c’est à la limite de l’arnaque.
C’est bien dommage car le sujet est passionnant et aurait mérité un traitement plus en profondeur. A l’extrême auraient mieux de présenter uniquement des study case des différents investissements de Buffet car c’est bien cela le plus intéressant dans ce livre…
Su le même sujet, je trouve « You can be a stock market genius » de Greenblatt beaucoup plus intéressant.
C’est tout le problème avec le nom « Buffett » : on se demande, et c’est le cas la plupart du temps, si le nom n’est pas juste posé là pour faire vendre…
Vu le prix de la version anglophone, on peut se dire que les américains ont déjà compris que ce bouquin n’apportait pas grand chose, pour les francophones, un peu de patience : le prix finira par s’alligner aussi 🙂
Bonjour l’équipe,
Je suis étonné que Buffet ne pratique pas les opérations de couvertures croisées comme Graham qui ne pratiquais plus que cela comme opérations spéciales à partir de 39 en complément des netnets et des liquidations automatiques.
Ce qui importe en investissement, c’est que chacun adopte une approche qui soit rationnelle et en ligne avec ses objectifs, ses compétences et son tempérament … bref, que chacun trouve son style. Et Warren Buffett ne fait sans doute pas exception à la règle.