Question des lecteurs : Doit-on suivre aveuglément un process ?

investir en bourse aveuglementLa question complète de notre lecteur était : « doit-on suivre aveuglément une stratégie d’investissement quelle qu’elle soit et plus particulièrement une stratégie comme la vôtre. Car j’ai un peu de mal à exclure toute réflexion et à m’en remettre à un procédé exclusivement mécanique ? »

Nous n’allons volontairement pas tenter répondre à la question sur une stratégie de manière générale mais sur la stratégie que nous connaissons bien et que nous essayons d’appliquer au mieux depuis plus de 4 ans : la merveilleuse stratégie « Daubasse » !

En fait, si on lit attentivement la question de notre lecteur, il y a deux idées qui frappent les esprits : « aveuglément » ou « exclure toute réflexion » et  « exclusivement mécanique ».

Dans la vie de tous les jours, si on agit sans réflexion et comme un robot programmé à répéter les mêmes tâches ou les mêmes réflexes, c’est tout bonnement catastrophique.

Contrairement au quotidien, en matière d’investissement, agir comme un robot « répétitif » vous confère une multitude d’avantages. Et le premier de ces avantages, c’est que vous vous débarrassez d’emblée de toute émotion, la plus grande ennemie de tout investisseur.

Second avantage : vous laissez tomber d’un coup également toute subjectivité.

Autre avantage : vous savez quand acheter et quand vendre, vous connaissez d’avance le risque que vous prenez en monnaie sonnante et trébuchante et vous avez même une très bonne idée de ce que vous pouvez gagner.

Quand on parle de « réflexion » en investissement et plus particulièrement dans une stratégie « Daubasses », tout le problème est de savoir où on place cette réflexion pour qu’elle soit la plus efficiente possible.

Nous pensons que la réflexion doit être placée à deux endroits : en amont et en aval… mais jamais pendant la traversée. En d’autres mots, la réflexion doit être posée sur la stratégie en elle-même, c’est l’amont, avant la transaction. Et ensuite après la transaction, c’est l’aval. Mais en aucun cas pendant la transaction. Car, pendant la transaction, vous êtes fortement impliqué émotionnellement par le gain ou la perte potentielle et par un tas de paramètres externes bon ou mauvais qui vont de la macroéconomie aux news, en passant par vos problèmes personnels, votre humeur ou votre état de santé.  Tous ces éléments font  que votre capacité de réflexion est grosso modo nulle.

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Ce n’est évidement pas facile de prendre conscience que vos moyens sont réduits à un moment bien précis et pourtant, c’est essentiel. Nous reviendrons plus loin avec deux exemples récents pour que cela soit parlant.

Mais revenons à la réflexion en amont, soit sur la stratégie en elle-même. Pour être capable de  vous laisser guider mécaniquement pendant la traversée ou après l’achat et jusque  la vente, vous devez absolument comprendre quel avantage vous offre votre stratégie. Et comment cette stratégie vous fait agir pendant l’évolution de la transaction quelques soient l’évènement qui survienne.

 

Un avantage statistique

Dans une stratégie comme celle des « Daubasses », nous pensons avoir un avantage statistique global : même si les études ne sont pas extrêmement nombreuses et pas particulièrement précises sur le sujet, acheter des sociétés sous la valeur de leurs fonds propres ou, mieux, leur valeur nette nette vous place d’emblée dans la situation de battre le marché à long terme. Et il n’y a d’ailleurs pas que la stratégie « Daubasse » qui fonctionne sur ce modèle, la stratégie de Joel Greenblatt, par exemple, est également sur cette ligne.

Un second avantage statistique de notre stratégie est interne et produite par la diversification. Si vous avez une société qui multiplie son cours par 3, vous pouvez faire face à 2 sociétés qui font faillite et valent soudain 0€. Donc en ayant raison 1 fois sur 3, vous ne perdez rien. Si l’on reproduit le même schéma avec 30 sociétés « équipondérées », si vous avez 10 sociétés qui multiplient leur cours par 3, vous pouvez encaisser 20 faillites et vous ne perdez rien. Et on comprend avec ce dernier exemple de manière instinctive que 10 sociétés qui multiplient leur cours par 3, c’est de l’ordre du possible pour des daubasses mais que 20 sociétés qui font faillite, c’est nettement moins probable. Nettement moins probable car vous avez quelques paramètres de sécurité : décote de 30% sur la valeur net-net ou net-estate, endettement faible et bonne solvabilité, rotation des stocks et délai de paiement des factures par les clients stables, non prise en compte des actifs intangibles et des impôts différés, …

investir pendant un krashUn troisième et dernier avantage, c’est que la stratégie vous emmène  là où « ça fait mal » … pour les autres ! Ces « autres » qui larguent à n’importe quel prix et surtout à prix incroyablement bas ! Psychologiquement aussi cela peut-être difficile à supporter : par exemple, en 2008, nous étions massivement investis sur les USA qui allaient connaître la fin du capitalisme. Ensuite, au fil du temps, nous n’avons pas raté la descende aux enfers du secteur immobilier aux USA et en UK ou celle des  papetiers européens. Nous n’avons pas non plus hésité à ramasser des sociétés italiennes quand il était question que l’Italie fasse exploser la zone euro. Les prix bradés nous ont intéressés également sur le secteur automobile en grosse panne, le secteur solaire en plein ombre de faillite, les technos US fin 2012 ramassées à la petite cuillère. Nous avons aussi apprécié la confusion géographico- capitaliste chinoise avec nos sociétés de Hong-Kong, Macao et Taiwan.

Mais en plus de vous emmener là où cela va mal, la stratégie vous sort du marché quand tout le monde commence à trouver que cela vaut la peine d’y revenir même si c’est 300% plus haut. Nous avons vécu ce « phénomène » avec les sociétés US. Plus récemment, le marché trouvant l’immobilier à nouveau intéressant et à bon prix, nous a fait sortir de l’immobilier en bloc. En fait il est pratiquement impossible de mieux illustrer le dicton « acheter au son du canon et vendre au son du violon » que la stratégie « daubasses » dans sa stricte application.

En effet, en plus de vous dire quoi acheter et à quel prix, la stratégie « Daubasses » vous indique également comment réagir dans n’importe quelle situation et ce, avec une précision d’horloger au centième d’euro cents près … ou de dollars cents près … ou de centime de franc près ou …  Ce sont les chiffres et rien que les chiffres qui vous dictent cette marche à suivre. Vous achetez quand le prix offre la décote exigée au cent prêt, vous vendez quand le marché vous propose un prix équivalent à la Valeur d’Actif Net Tangible ou si le rapport trimestriel se détériore et que la VANT est inférieur au cours de 0.01 €. Si les décotes sont bien présentes vous pouvez renforcer mais pas plus que dans la limite prévue de 3.33% et cette limite est aussi au centime près.

Avec la stratégie « Daubasses », vous connaissez également le risque que vous prenez sur une société : 3.33% de votre portefeuille. Si cette société vaut 0€ parce que vous vous êtes complètement trompés, vous perdrez la pondération maximum que vous avez choisie pour votre portefeuille et vous la connaissez à l’avance. L’investissement en « Daubasses » n’est pas plus risqué que d’autres types d’investissement sur le plan global d’un portefeuille diversifié. Mais quand vous investissez sur une société, vous devez absolument intégrer la faillite et donc le risque de perte total sur cet investissement pris individuellement.

Pour paraphraser Buffett, nous pourrions même dire que si vous n’êtes pas capable de perdre 100% de votre investissement sur une société qui correspond à tous les critères de votre processus « Daubasses », il vous faut absolument trouver une autre stratégie d’investissement qui corresponde mieux à votre sensibilité d’investisseur.

Enfin, vous avez aussi le potentiel estimé de votre investissement. Ce potentiel varie bien entendu dans le temps.

La réflexion en aval, soit après la vente de la société, vous permet d’affiner la stratégie par rapport à ce qui s’est passé sur la transaction. En général, c’est après une perte que vous devez poser des nouvelles réflexions. Et c’est après une répétition de pertes sur le même mode que vous devrez peut-être affiner votre stratégie.

Affiner votre stratégie, c’est aller vers plus de rigueur, ajouter un critère, essayer d’améliorer un point ou l’autre avec un détail.  C’est dans le détail que vous devez travailler et à l’intérieur du cadre. Ce n’est pas évident, cela demande du temps, mais on y arrive.

Par exemple, nous avons, au fil du temps et par rapport à nos déboires, décidé de ne plus acheter de sociétés issues de la Chine continentale, nous avons aussi mis en action la « little touch » pour nous permettre de renforcer en cas de période de soldes prolongées autant de fois que nous le souhaitons dans la stricte limite des 3.33%.  Très récemment, nous avons fixé un plancher minimum sur la capitalisation boursière grâce à la réflexion d’un abonné et la confirmation par les statistiques du portefeuille.

Vous aurez donc compris que la réflexion fait entièrement partie de l’investissement « Daubasses » dans deux parties : avant l’achat et après la vente mais jamais pendant la transaction.

Voici deux exemples récents pour illustrer toute la difficulté psychologique d’appliquer un processus de manière mécanique.

Il s’agit de nos ventes récentes de Chromcraft Revington et de Meade Instrument. Deux histoires assez semblables qui ne sont pas des réussites à proprement parler mais plutôt deux échecs dont nous ne sortons, au final, en pas trop mauvaise posture grâce à notre process.

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Meade Instrument a été achetée le 29 Juillet 2009 et nous avons renforcé deux fois notre ligne : le 20 novembre 2009 et le 8 Juin 2010. Le 29 Juillet 2009, nous avons payé nos actions à 4.70$/pièce frais inclus. La VANT était alors de 11.42$, ce qui laissait donc un potentiel théorique de 142%. Nos renforcements ont eu lieu à des prix inférieur et après le dernier achat, notre prix de revient global était de 3.48$.

Le cours de la société n’a pratiquement jamais été en positif par rapport à ce PRU et la VANT a diminué au fur et à mesure que la transaction était en cours.

Fin 2012, la VANT de Meade Instrument était à 6.98$ soit 40% inférieure à la VANT lors de notre premier achat. Et nous perdions sur cet investissement  48.40% en USD et 46.16% en euros.

La société correspondait entièrement à nos critères… mais, dans le premier rapport trimestriel 2013, les mauvaises nouvelles ont mis de la pression psychologique sur l’équipe des « Daubasses ». En effet, après un nouveau mauvais résultat, la direction annonçait clairement ne plus avoir de cash pour remplacer les installations devenues vétustes et elle n’excluait pas un arrêt temporaire de son activité. A ce moment la perte était de plus de 50% !

Sans un process bien définit et appliqué contre vent et marée, un investisseur « normal » se serait dit quelque chose du style « P.. de b…de m… !!!!  C’est terminé ! Je sauve mes derniers 50% et je vends cette s…. de daubasses de m…. »

A ce stade, cela peut effectivement sembler logique d’aller à l’encontre du processus établi… Et pourtant, à peine un mois plus tard, une société chinoise fait une offre de rachat sur Meade en proposant 3.45$ par action.  En trois jours, notre perte de 50% est effacée et, vu le parcours de la société, même si le prix par rapport à la valeur théorique des actifs est faible, nous décidons de vendre la société car si l’offre était annulée, nous pouvions perdre à nouveau  50%.Grâce au change, nous sortons même de cette mésaventure avec un petit gain de +3.95%.

Avec Chromcraft Revington, rebelote : notre perte est de 50% et l’avenir ne s’annonce guère brillant lorsque la direction décide de racheter la société à un prix certes nettement inférieur à la VANT mais qui, au final, nous fait perdre un faramineux … 0.89%. Et là aussi sans une application du process de manière purement mécanique, on aurait pu vendre pour sauver ces 50 dernier %.

Sans doute pensez-vous, cher(e)  lecteur(trice), que nous avons eu de la chance sur ces deux coups-là … mais nous pensons franchement que … non :  nous avons appliqué notre process à la lettre en détenant des actifs sous évalués et en attendant que quelque chose de bien « se passe ». Si nous n’avions pas appliqué ce process à la lettre et que nous nous étions laissé déborder par nos émotions en vendant pour « sauver les meubles », nous aurions perdu deux fois 50% sur nos deux investissements.

Les avantages statistiques ou les probabilités combinées à plusieurs marges de sécurité n’ont rien à voir avec la chance car on sait pertinemment qu’il y a un pourcentage de réussite et un pourcentage d’échec. Naturellement, tout l’art est d’avoir établi un process qui fait que le taux de réussite est supérieur au taux d’échec.  Pour l’instant avec nos 31 Baggers et les 15 sociétés vendues avec profit comparé aux 25 sociétés vendues avec moins-value dont une seule avec perte totale, nous sommes dans un rapport statistique de 5.29 contre 1.

N’oubliez pas que si un chasseur de daubasses est intéressé par une société que le marché offre à bon prix parce que tout semble aller de plus en plus mal, d’autres acteurs importants peuvent également être intéressés par les actifs de cette société. C’est un dernier avantage implicite de la méthode d’investissement mise au point par Benjamin Graham, un dernier filet de sécurité pour une nouvelle fois minimiser les pertes possible…

 

Pour aller plus loin, vous pouvez lire notre série d’articles liés à la Finance Comportementale.

3 réflexions au sujet de « Question des lecteurs : Doit-on suivre aveuglément un process ? »

  1. Bonjour l’équipe,

    Bel article, et sujet passionnant !

    Personnellement je n’est pas réussi à répondre complètement à cette problématique.
    Par exemple lorsqu’on achète une daubasse décotant de disons de 40% sur sa valeur de liquidation. Dans la folie du marché, la valeur perd encore 70% depuis notre cours d’achat pour arrivée à une décote de plus de 80% sur la valeur de liquidation.
    A ce moment notre ratio de solvabilité casse ou alors on se rend compte d’une erreure d’analyse. Cependant on garde la forte conviction que la valeur est sous-évaluée malgré le fait qu’elle ne correspond plus à notre philosophie ni à notre process.
    Doit-t-on écouter à la lettre notre process et vendre avec une moins value de 70% ?
    Ou écouter notre instinct et attendre que la valeur s’échange à des cours plus raisonnable ( mais sans tomber dans le biais de l’investisseur qui ne veut sous aucun prétexte matérialiser des moins-values ) ?

  2. C’est vrai que les émotions peuvent jouer, surtout quand on investit différemment des autres.

    Je pense que l’investissement dans la valeur réduit ce « risque » de perte, surtout comme celui que vous utilisez. Vos statistiques en témoignent. Pourquoi perte massivement si on achète toujours en bas de la valeur réelle? Éventuellement, le juste prix s’établira….

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