Peut-on maximiser son exposition à des cygnes noirs positifs ? 🎲

Un cygne noir est un événement imprévisible et rare qui a des conséquences d’une portée considérable. Cette théorie a été développée par le statisticien et ancien trader Nassim Taleb. Nous vous avons déjà parlé de cet auteur à plusieurs reprises, notamment dans une série de 3 articles au sujet de son livre « Antifragile : les bienfaits du désordre ».

Le cygne noir est l’illustration d’un biais cognitif. Si l’on ne croise que des cygnes blancs, on aura vite fait de déduire que tous les cygnes sont blancs. C’est ce qu’ont longtemps cru les Européens avant de découvrir l’existence de cygnes noirs en Australie. Ainsi, nous construisons des raisonnements à partir d’informations partielles, ce qui conduit à des conclusions erronées.

Pour identifier un cygne noir, Taleb a défini 3 critères : la rareté, un impact extrême et une rationalisation a posteriori. L’expression est souvent utilisée pour caractériser des événements négatifs comme les crises financières, les guerres, les accidents industriels, … et Taleb présente « l’antifragilité » comme un antidote contre les cygnes noirs.

Les cygnes noirs peuvent aussi avoir des retombées positives. Si par définition il est impossible de prévoir un cygne noir positif, nous nous sommes demandés s’il était possible de maximiser son exposition à ce type d’évènement dans le domaine de l’investissement en actions.

Les offres publiques d’achat

L’offre publique d’achat (OPA) est une forme de cygne noir positif que l’on rencontre sur les marchés. Ce type d’évènement est relativement rare, assez imprévisible et ses conséquences sur le cours de bourse sont généralement d’une grande ampleur.

Revenons sur les sociétés de nos portefeuilles et les idées d’investissement du forum ayant fait l’objet d’une opération de ce type (OPA/OPR) ces derniers mois :

23.10.2020 : Mc Carthy & Stone (Pépite PEA) -> prime de +38%

10.07.2020 : Westell Technologies (daubasse) -> prime de +76%

03.08.2020 : Kawasumi Laboratories (idée abonné) -> prime de +116%

25.03.2021 : PSB Industries (achat d’initié) -> prime de +61%

03.06.2021 : Tessi (achat d’initié) -> prime de +39%

15.11.2021 : Sekonic (idée abonné) -> prime de +228%

23.05.2022 : Mutual (daubasse)-> prime de +146%

26.10.2022 : Manutan (ex idée d’investissement PEA) -> prime de +51%

Pour ces 8 OPA, la prime moyenne par rapport au dernier cours de clôture est de +94%. On peut donc dire qu’il s’agit d’évènements avec un impact majeur sur le cours de bourse.

Notons que dans un cas sur deux, il y avait une intuition que quelque chose pouvait se passer :

– PSB (idée proposée par Snowball) +61% :

20.11.2020 « Des dirigeants qui rachètent agressivement les titres de leur propre société, au point que l’on peut se demander s’ils n’envisagent pas une offre publique prochainement. »

– Tessi (idée proposée par Snowball) +39% :

08.12.2020 « Les offres successives de ces dernières années me donnent l’impression claire de Pixel veut prendre intégralement le contrôle de Tessi et la sortir de la cote. Une OPRO dans un futur proche me semble être une hypothèse très réaliste. » […] Je mettrai volontiers une petite pièce sur une opération de retrait en 2021… et si ce devait être le cas, je serai content d’apporter mes titres, même à 160 € : 38 % en un an, c’est toujours bon à prendre !

– Mutual (ex-daubasse) +146% :

07.02.2022 « On a donc beaucoup (trop) de cash. De quoi attendre la potentielle bonne nouvelle… comme « le départ » du fondateur Takashi Miura âgé de 91 ans pour une retraite bien méritée ? Pour rappel, la famille Miura est le premier actionnaire de Mutual Corp avec 12% des actions. Le capital est éclaté avec un flottant de plus de 60%. Nous ne comprenons pas pourquoi cette aberration de valorisation n’attire pas plus d’activistes… Un problème de liquidité de l’action ? »

– Manutan (ex idée d’investissement PEA) +51% :

27.01.2020 « Enfin, on termine sur un aspect spéculatif. Le flottant représente moins de 30% du capital et la société autofinance tous ses investissements. Sauf pour un intérêt successoral entre descendants (pour donner une valorisation et faciliter les échanges de titres) et donner de la visibilité à Manutan, le fait d’être coté apporte finalement peu à la famille Guichard et à la société. Sans être notre scénario favori, le rachat des minoritaires par la famille est une possibilité. »

 Dans ces exemples, les indicateurs qui suggéraient une probabilité plus élevée que la normale d’une future OPA étaient les suivants :

  1. rachats agressifs des initiés
  2. offres successives par le passé
  3. âge avancé du capitaine
  4. faible flottant et intérêt limité de la cotation du titre

Si ces critères paraissent a priori pertinents pour juger de la probabilité d’une future OPA, comme toujours en bourse, on est loin de la martingale. Gaumont coche les 2ème et 4ème critère, mais les actionnaires minoritaires sont laissés pour compte depuis de nombreuses années. [masqué] coche le 4ème critère et ne cesse d’assécher son flottant en rachetant ses propres actions, mais il est difficile d’y voir clair dans les intentions de la famille [masqué].

Tout laisse à penser que ces deux sociétés pourraient sortir de la cote, mais rien n’est certain et surtout pas le timing. Une offre pourrait avoir lieu dans 3 mois comme dans 10 ans, ne jamais avoir lieu ou avoir lieu au rabais. Attention donc au coût d’opportunité.

Pour maximiser ses chances d’assister à une issue heureuse (= prime attractive offerte dans un délai assez court), il est sans doute pertinent d’associer à (au moins) l’un de ces 4 critères un 5ème critère de « bonne gouvernance ». Est-ce que les dirigeants sont honnêtes et traitent correctement les actionnaires minoritaires ou est-ce qu’ils s’en contrefichent ? Entre la famille Guichard (Manutan) et les Seydoux (Gaumont), il y a un monde…

Le tournant (a priori) décisif

Le deuxième type de cygne noir positif que nous avons catégorisé peut être qualifié de « tournant décisif ». Il s’agit d’une annonce de l’entreprise : développement d’une nouvelle technologie, lancement d’un produit prometteur, un nouveau contrat, …

Voici deux exemples récents où ce type de cygne noir nous a été profitable :

Geomatec : le 26 janvier 2021, la société annonce un partenariat avec le géant coté Mitsui Mining & Smelting pour le développement d’une technologie a priori très prometteuse pour le conditionnement des semi-conducteurs. L’action progresse de +136% en l’espace de seulement 3 séances à la suite de cette annonce. Nous cédons nos titres le 29 janvier car notre objectif de cours est atteint. L’euphorie est finalement retombée dans les mois qui ont suivi. L’entreprise a réduit ses pertes sur l’exercice 2022 (perte divisée par 4 par rapport à l’exercice précédent), mais cette nouvelle technologie n’était visiblement pas le game changerque le marché a espéré un court instant.

Parrot : le 15 avril 2020, la société annonce la production d’un prototype de drone pour l’armée américaine. Le cours a progressé à la suite de cette annonce et nous avons cédé nos titres au cours de 4,25 EUR le 22 juillet 2020 sur un gain de +96% en 3 mois et 3 semaines. Notons que la hausse du titre s’est poursuivie dans les mois qui ont suivi à la faveur d’un flot de nouvelles positives :

31.08.2020 : Parrot est sélectionnée par l’US Defense Innovation Unit (DIU) comme fournisseur principal de drones pour les missions les plus exigeantes du gouvernement américain

11.01.2021 : Parrot est choisie par la Direction Générale de l’Armement (DGA) pour la fourniture de micro-drones ANAFI USA

Ces deux sociétés partageaient trois points communs lors de notre achat :

  • Des dépenses significatives en recherche & développement. Le ratio technologique de Geomatec était de 76% lors de notre achat et Parrot a dépensé 190 M EUR en R&D au cours des 5 derniers exercices, soit 134% de sa capitalisation actuelle (au cours de 4,85 EUR)
  • Une décote majeure sur la trésorerie nette. Geomatec a été acheté avec une décote de 58% sur sa trésorerie nette et Parrot avec une décote de 52%.
  • Des pertes récurrentes, parfois très significatives. C’est contre-intuitif mais des pertes récurrentes, même faibles, effraient la plupart des investisseurs et poussent les prix des actions à des niveaux plancher.

Parmi les 5 net-net américaines que nous avons achetées en novembre 2022, 3 présentent un profil similaire (ratio technologique élevé, grosse décote sur la trésorerie, pertes récurrentes) : [masqué], [masqué] et [masqué].

Ce sont des caractéristiques que partageaient également les plus gros bagger de l’histoire des daubasses (1erportefeuille) : Netlist (15-bagger), Zoom Telephonics (8-bagger) ou encore Value Vision Media (7-bagger).

Investir sur la base de ces 3 critères : « R&D importante + décote majeure sur la trésorerie + pertes récurrentes » peut faire des étincelles. En général, le marché n’attend plus grand-chose de ces sociétés qui brulent leur cash à plus ou moins grande vitesse et la moindre bonne nouvelle peut entraîner une euphorie sur le titre.

Nous voyons néanmoins 3 écueils à prendre en compte lorsque l’on investit dans ce type d’entreprise :

  • Le risque de faillite

À force d’accumuler les pertes, ces entreprises peuvent voir leur situation financière se dégrader. L’enjeu primordial devient alors de trouver de nouvelles sources de financement (emprunts, levées de fonds, …). Si l’entreprise n’y parvient pas, l’issue peut être fatale. Dans le 1er portefeuille daubasse, le taux de défaillance était de 2% (pour 198 entreprises détenues sur 10 ans).

  • Le coût d’opportunité

C’est bien beau d’investir des millions en recherche et développement, mais encore faut-il que ces dépenses finissent par payer. Malheureusement, rien ne le garantit et si les projets de recherche et développement n’aboutissent pas à du concret (nouveau produit ou service plébiscité, rupture technologique, …), le cours de l’action peut végéter pendant de longues années avec un coût d’opportunité à la clé pour l’investisseur qui n’a pas pu allouer ses capitaux vers des actifs plus attractifs.

  • L’effet d’annonce et le timing

Le marché est friand de belles promesses et l’annonce du développement d’une nouvelle technologie ou d’un produit révolutionnaire peut rapidement propulser le cours d’une action sur des sommets en anticipation de profits futurs. Psychologiquement, il peut être difficile de prendre ses gains car on a vite fait de se laisser séduire par la belle histoire et de céder à l’euphorie ambiante. Pourtant, le soufflet peut vite retomber (cf. Geomatec) et il faut parfois être réactif pour sortir gagnant en prenant assez rapidement la décision de vendre ses actions aux investisseurs optimistes.

Des dépenses élevées en R&D peuvent déboucher sur des annonces susceptibles d’aiguiser l’appétit des investisseurs et augmenter la probabilité d’un évènement de type cygne noir positif. C’est la raison pour laquelle nous avons créé le ratio technologique en 2014. Couplées à une décote massive sur la trésorerie, ce cocktail peut être détonnant. Le revers de la médaille est que l’on s’expose souvent à des sociétés en pertes chroniques avec deux risques majeurs que sont la faillite et le coût d’opportunité.

 

Les facteurs exogènes

Notre 3ème catégorie de cygne noir positif regroupe les évènements de nature exogène. Il peut s’agir d’événements géopolitiques, macro-économiques, réglementaires, … sur lesquels l’entreprise n’a pas d’influence.

Nous allons illustrer cette 3ème de catégorie de cygne noir positif par 3 exemples :

Allied Healthcare Products. Ce titre avait été acheté au lancement du portefeuille daubasses 2 le 29 octobre 2018.  Allied Healthcare Products est une société américaine, fondée dans les années 30, qui produit essentiellement des systèmes respiratoires utilisés aussi bien dans les services hospitaliers qu’au domicile des patients. Lors de notre achat, la société affiche une décote de 42% sur la VANE (Valeur d’Actif Net Estate) et de 27% sur la VMLV (Valeur de Mise en Liquidation Volontaire). Elle accumule en revanche les pertes avec un seul exercice profitable sur les 5 derniers.

Le titre a fait l’objet d’une spéculation totalement folle au début de la crise sanitaire. Le cours a fait un bond de +552% en l’espace de 2 jours, les 27 et 28 février 2020 après avoir déjà progressé de +192% dans les 2 mois qui avaient précédé. Cette hausse spectaculaire s’est faite sur fond de panique générale liée à la propagation du covid en Chine. Le marché voyait déjà les ventes de notre fabricant de respirateurs monter en flèche.

MS International. Cette ex-Pépite PEA avait été achetée le 13 décembre 2017 au cours de 198 pences. Il s’agit d’un petit holding britannique hétéroclite positionné sur des marchés de niches, dont celui des équipements militaires. Lors de notre achat, la société dispose d’une trésorerie abondante et affiche un niveau raisonnable de valorisation avec un price-to-book inférieur à 1 et un PER inférieur à 7.

Lassé de la stagnation du cours, des difficultés opérationnelles de l’entreprise, d’une faible liquidité et de l’absence de catalyseur, nous avions cédé nos titres le 5 juin 2020 au cours de 126 pences.

Après un exercice 2020 en perte, MS International a renoué avec la rentabilité sur l’exercice 2021 notamment grâce à la signature d’un contrat avec la marine américaine. La guerre en Ukraine a également insufflé un nouvel élan au titre. La hausse du cours s’est accéléré fin 2022 au-delà des 700 pences avec la signature d’un très gros contrat. Dans un contexte d’escalade des tensions géopolitiques, le cours de MS International a ainsi été multiplié par près de 6x en 2 ans.

DNX Corp. Cette société à la réputation sulfureuse (son activité première était jadis 100% basée sur les métiers « chauds » : webcams, rencontre et vente d’accessoires coquins) avait fait son entrée dans le portefeuille Pépites PEA le 20 mars 2018 au cours de 6,90 EUR. Elle a été cédée le 6 novembre 2019 au cours de 4,45 EUR.

La crise sanitaire a été du pain bénit pour l’entreprise. L’activité webcam a affiché de très bonnes performances pendant les périodes de confinement. Le résultat net a progressé de +87% en 2020, puis de +94% en 2021. Le cours a franchi la barre des 12 EUR porté par ces bonnes nouvelles (3-bagger en 2 ans).

Cette 3ème catégorie de cygne noir positif est la plus complexe à appréhender. Il est difficile d’en tirer parti car la survenue de ces évènements et leurs conséquences sur l’activité économique sont trop aléatoires et imprévisibles. Pour s’exposer et espérer tirer profit de ce genre de cygne noir, il faut cibler des actions faiblement valorisées, sans catalyseurs identifiés, être (très) patient et diversifier. Pas un exercice évident.

Conclusion

Les marchés financiers sont un terrain de jeu où la chance et le hasard jouent un rôle que l’on a souvent tendance à minimiser. La vie des entreprises, leurs résultats et l’évolution des cours de bourse n’obéissent à aucune règle mathématique. Maximiser son exposition à des cygnes noirs positifs est donc loin d’être une mince affaire et encore moins une science exacte, mais c’est aussi tout le charme de cette approche.

Notre 2ème catégorie de cygnes noirs positifs – liée aux tournants décisifs – nous paraît toutefois être la plus facilement exploitable pour chercher à tirer parti de ces évènements avec un fort impact sur les cours. C’est en tout cas ce que nous avons constaté depuis 2008 au sein de nos deux portefeuilles daubasses avec près de 250 actions de sociétés passées entre nos mains. Cette approche présente l’avantage de reposer sur des données purement quantitatives : le ratio technologique (même si bien sûr toutes les dépenses de R&D ne se valent pas) et la décote sur la trésorerie nette.

S’agissant des OPA (1ère catégorie), les chances de succès semblent plus aléatoires, notamment car les critères sont plus subjectifs. À partir de quel âge doit-on considérer que la probabilité d’une cession de l’entreprise est élevée ? On voit dans l’exemple extrême de Mutual (départ du fondateur à 91 ans) que le curseur n’est pas forcément là où nous l’aurions mis spontanément. Il y a aussi derrière ces opérations des considérations fiscales, financières, successorales, d’image, … , qui peuvent complétement échapper à l’actionnaire minoritaire et impacter le timing de l’opération, et in fine la rentabilité de l’investissement.

À défaut de vous proposer une formule miracle pour anticiper à coup sûr les cygnes noirs positifs et alimenter votre collection de futurs bagger, nous vous proposons un principe qui vous permettra à l’inverse de vous protéger assurément des cygnes noirs négatifs (fraude financière type Wirecard, scandales à la Orpéa, …) : la diversification. Ça fait moins rêver, mais survivre à ce type d’évènement est pourtant une des clés du succès de l’investisseur à long terme.

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