Antifragile de Nassim Nicholas Taleb (1ère partie)

Antifragile-talebVoici quelques semaines, nous ne connaissions Nassim Nicholas Taleb que de nom et comme l’auteur du retentissant « Cygne noir ».

Intrigués par le titre de son dernier livre : « Antifragile : Les bienfaits du désordre », et plus particulièrement sur le mot antifragile qui n’existe pas dans le dictionnaire, nous avons tout d’abord cherché à en savoir un peu plus.

Le déclic qui nous a fait passer de la curiosité à la décision d’acheter ce livre de 650 pages tient en trois phrases de l’auteur : « Il est difficile de faire comprendre à des intellectuels la supériorité intellectuelle de la pratique. » ; « Le monde est divisé entre ceux qui aiment et ceux qui n’aiment pas la volatilité. » et : « ne demandez jamais à quelqu’un son avis, ses prévisions ou ses recommandations. Demandez-lui simplement ce qu’il a – ou n’a pas – dans son portefeuille d’actions. ».

Après les vingt premières pages, nous avons compris que nous avions en face de nous un personnage décalé comme nous les aimons tant, du style de Walter Schloss ou de Martin Withman, pour n’en citer que deux.

Et nous avons parfois eu l’impression au cours de ces 650 pages qu’il éclairait plus encore la théorie de Benjamin Graham que Graham n’était parvenu à le faire lui même dans son ouvrage majeur « L’investisseur intelligent » (rappelons-nous que Benjamin Graham a mis au point sa théorie après le Krach de 1929, un cygne noir), qu’il expliquait avec une précision scientifique la force et la mise en pratique de cette théorie. Par Walter Schloss sur du très long terme et presqu’accessoirement et par extension de notre process « Daubasse », de sa mise en pratique et de ses résultats, même si Nassim Nicholas Taleb déborde largement du seul sujet « investissement », pour l’enrichir avec de la philosophie, des mathématiques, de la physique, de la science, de la psychologie, de la vie de tous les jours, le tout ficelé par force d’exemples pratiques et une érudition phénoménale.

Ce qui nous a ébloui, c’est le fait que Nassim Nicholas Taleb part de la pratique et de l’observation de la pratique pour en faire de la théorie et pas l’inverse comme souvent.

Ce qui est détonnant, c’est qu’il va à l’encontre de nombreuses règles établies et donc à contre courant du monde scientifique, politique et bien entendu des économistes ou des zinzins en tout genre. On le surnommait à une époque le « Dissident de Wall Street ». Ce qui est aussi amusant c’est qu’il fut un ami du mathématicien Benoît Mandelbrot et du psychologue Daniel Kahneman spécialiste de la psychologie cognitive, et prix Nobel d’économie, dont nous vous avons parlé abondamment dans nos articles sur la finance comportementale (lui aussi échafaudant sa théorie à partir d’expériences réelles).

Nassim Nicholas Taleb est de notre point de vue un véritable OVNI et à la fin des ces 650 pages « Antifragile », il nous a semblé obligatoire de vous en parler, de vous le faire découvrir et de vous donner notre point de vue sur de très nombreux passages de son livre, qui vous permettront une fois de plus de scanner l’homme ou la femme, puis l’investisseur qui est en vous, et de comprendre votre process ou de mieux comprendre encore notre process.

Quelques lignes sur l’homme : qui est Nassim Taleb ?

Nassim Nicholas Taleb est né en 1960 à Amium, au Liban. Il est scolarisé chez les jésuites français à Beyrouth avant d’étudier la philosophie et les mathématiques pour approfondir sa connaissance des lois du hasard.

Il possède un MBA de la Wharton School université de Pennsylvanie et un doctorat de l’université de Paris Dauphine.

Spécialisé dans les risques d’évènements rares et imprévus, il a travaillé pendant 20 ans comme courtier à la bourse de New-York et de Londres. Il a créé en 1999 le fonds Empirica LLC (du nom du philosophe médecin sceptique et empirique grec Sextus Empiricus) consacrée aux opérations de trading. Il en fait aussi son laboratoire de recherche sur le risque et réalise une performance exceptionnelle de +60% lors de l’année boursière catastrophique de 2000 en mettant en application ses travaux sur les cygnes noirs.

Cette superbe performance est suivie de pertes en 2001 et 2002, et des résultats positifs à » 1″ chiffre en 2003 et 2004. En 2007, gravement malade, il revend son fonds, pour se consacrer à l’écriture et à l’enseignement.

Dans son activité d’opérateur de marché d’options, Taleb dit avoir une approche non mathématique du risque et de l’incertain et dit n’avoir aucune confiance dans les modèles financiers utilisés par les universitaires.

Polyglotte, il maîtrise parfaitement le français, l’anglais et l’arabe classique. Il parle l’italien et l’espagnol. Il lit les textes en grec, latin, araméen, hébreu ancien et en écriture cananéenne.

Nassim Nicholas Taleb est aujourd’hui professeur d’ingénierie du risque à l’Institut polytechnique de l’université de New York et conseiller scientifique du fonds de son ami Mark Spitznagel  « Universa Investments LP » qui a travaillé à ses côtés dans Empirica LLC.

Voici un premier extrait de son livre « Antifragile »

Comment aimer le vent ?

Le vent éteint la bougie et anime le feu.

Il en est ainsi du hasard, de l’incertitude, du désordre : on veut en tirer profit et non pas s’en abriter. On veut être le feu et l’on désir le vent. Voilà qui résume la position ambitieuse de l’auteur à l’égard de l’incertitude.

Nous ne voulons pas seulement survivre à l’incertitude, nous contenter d’en réchapper. Nous voulons survivre à l’incertitude mais aussi, comme certaines classes de Romains pugnaces et stoïques, avoir le dernier mot. Notre mission consiste à savoir comment apprivoiser, et même dominer, et conquérir l’invisible, l’obscur et l’inexplicable. ….Comment ?

L’Antifragile

Certains objets tirent profit des chocs ; ils prospèrent et se développent quand ils sont exposés à la volatilité, au hasard, au désordre et aux stress, et ils aiment l’aventure, le risque, et l’incertitude. Toujours est-il que, malgré l’ubiquité du phénomène, il n’existe pas de mot pour désigner l’exact opposé de fragile. Appelons-le  » antifragile ».

L’antifragilité dépasse la résistance et la solidité. Ce qui est résistant supporte les chocs et reste pareil ; ce qui est antifragile s’améliore. Cette qualité est propre à tout ce qui s’est modifié avec le temps : l’évolution, la culture, les idées, les révolutions, les systèmes politiques, l’innovation technologique, les réussites culturelles et économiques, la survie en commun, les bonnes recettes de cuisine, l’essor des villes, des cultures, des systèmes judiciaires, des forêts équatoriales, de la résistance aux bactéries… jusqu’à notre propre existence en tant qu’espèce sur cette planète. Et l’antifragile détermine la frontière entre le vivant et le biologique, notamment entre le corps humain et ce qui est inerte, un objet matériel tel que l’agrafeuse de votre bureau.

L’antifragile aime le hasard et l’incertitude, ce qui signifie aussi, foncièrement, qu’il aime les erreurs, une certaine catégorie d’erreurs. L’antifragilité a la rare vertu de nous permettre d’affronter l’inconnu, de faire les choses sans les comprendre, et de bien les faire. Qu’on me permette d’être plus brutal : nous sommes bien meilleurs dans ce que nous faisons que dans ce que nous pensons, grâce a l’antifragilité. Je préfèrerais être bête et antifragile qu’extrêmement intelligent et fragile, à n’importe quel moment.

Nous remarquons sans peine autour de nous que certaines choses apprécient une dose de stress et de volatilité : les systèmes économiques, notre corps, notre alimentation (le diabète et la maladie d’Alzheimer semblent dériver en grande partie d’un défaut de hasard dans l’alimentation et de l’absence d’une privation contraignante de temps à autres) notre psychisme. Il existe même des contrats financiers antifragiles : ils sont explicitement conçus pour bénéficier de la volatilité des marchés.

L’antifragilité nous fait mieux comprendre la fragilité. De même qu’on ne peut améliorer la santé sans réduire les maladies, ni accroître la richesse sans diminuer d’abord les pertes, de même, l’antifragilité et la fragilité sont divers degré d’un même spectre.

Non prédiction

En saisissant les mécanisme de l’antifragilité, on peut établir un vaste guide systématique de la prise de décision non prévisionnelle dans l’incertitude en affaire, en politique, en médecine et dans la vie en général – partout ou l’inconnu l’emporte, dans toutes situations où il y a une part de hasard, d’imprévisibilité ou d’opacité, ou dont la compréhension est incomplète.

Il est beaucoup plus facile de se rendre compte si quelque chose est fragile que de prévoir un évènement qui pourrait lui causer des dommages. On peut mesurer la fragilité ; le risque n’est pas mesurable (hormis par les casinos ou par des gens qui se qualifient « d’experts du risque »). Ceci fournit une solution à ce que j’ai appelé le problème du Cygne noir : L’impossibilité de calculer les risques d’évènements rares consécutifs et de prévoir leur apparition. La sensibilité aux dommages dus à la volatilité est résoluble, davantage en tout cas que la prévision de l’événement qui causerait les dommages. C’est pourquoi, nous nous proposons de renverser nos manières habituelles d’aborder la prédiction, les pronostics et la gestion du risque.

Dans tous les domaines d’application, nous proposons des règles pour passer du fragile à l’antifragile par une réduction de la fragilité ou une mise à profit de l’antifragilité. Et nous pouvons presque toujours déceler l’antifragilité (et la fragilité) en recourant à un simple test d’asymétrie : tout ce qui, à la suite d’événements fortuits (ou de certains chocs), comporte plus d’avantages que d’inconvénient est antifragile ; et fragile dans le cas contraire.

Extrait de Antifragile: Les bienfaits du désordre pages 13 – 15

Nous voyons donc qu’avec cette introduction tout le programme est déjà exposé en quelques mots, avec par exemple : En saisissant les mécanisme de l’antifragilité, on peut établir un vaste guide systématique de la prise de décision non prévisionnelle dans l’incertitude (…) Où il y a une part de hasard, d’imprévisibilité ou d’opacité, ou dont la compréhension est incomplète.

Une société cotée en bourse ou pas est une entité complexe. Ce que l’on nomme « complexe » est défini par une composition d’interférences multiples. Ce qui est le cas d’une société. Et c’est donc là qu’il est important de comprendre que le hasard, l’imprévisibilité, l’opacité et donc la compréhension incomplète sera au rendez-vous.

En comprenant donc ce que va nous expliquer Nassim Nicholas Taleb sur l’antifragilité, nous allons pouvoir comprendre définitivement, par exemple et entre autres, l’avantage ultime de la diversification, sur lequel les railleries aimables du type : on diversifie quand on n’y comprend rien, pourront être retournées comme une simple crêpe de la chandeleur… Ou encore du style : c’est quand on croit comprendre que l’on ne diversifie pas !

Une dernière petite idée de Nassim Nicholas Taleb à méditer sur le sujet avant le prochain épisode : « le vrai ou le faux n’a pas d’importance car c’est de la croyance, ce qui est réellement important ce sont les conséquences du vrai et du faux. »

La suite avec la 2ème partie (2/3).


A chaque article sur le livre de Nassim Nicholas Taleb : « Antifragile : les bienfaits du désordre », nous espérons vous démontrer que c’est un livre important pour tout investisseur et que son achat nous semble être un très bon investissement.

4 réflexions au sujet de « Antifragile de Nassim Nicholas Taleb (1ère partie) »

  1. un très bon rappel quand on se croit tellement doué que l’on « ultraconcentre ».
    diversifier pour compenser les incertitudes inévitables, concentrer un minimum pour ne pas statistiquement se rapprocher du marché en diluant les meilleures idées.

  2. pourquoi faire simple et clair ….. !
    quand on peut vendre du compliqué, ambigu … : une vrai bouillie pour chat, le Taleb !

    je resterais toujours impressionné de ce que l’on peut faire dire n’importe quoi … et embrouiller son monde , en alignant une suite de mots incohérent , flou et contradictoire …. : la santé !

  3. Bonjour Dominique,

    Un grand merci pour votre commentaire qui permet de montrer que nous ne sommes quand même pas des demi-dieux antiques, vénérés à longueur d’articles et d’idées proposées !

    En fait, ce que nous essayons de faire découvrir s’apparente à ce que nous considérons comme des oeufs de poissons (coup de coude du plus grand des deux Louis qui dit « dis le nom du poisson, dis le nom à ce lecteur passionné par le « Kit » pour chat ») … Nous reformulons donc … En fait, nous essayons de partager avec nos lecteurs ce que nous considérons comme des oeufs d’esturgeons, que l’on déguste sur le dessus de la main entre le pouce et l’index, avec un verre de vodka premium.

    Nous sommes vraiment désolés que vous ayez du courber l’échine au ras du sol pour partager avec Pim et Tom, nos deux siamois d’une élégance hors norme, l’ extrait de texte « Kit & Kat lapin » du plus grand phénicien de tous les temps ( pour l’équipe des Daubasses bien entendu), Nassim Nicholas Taleb le trader, le mathématicien, le philosophe qui vous explique qu’avoir raison ou tord n’a aucune importance car c’est juste de l’idéologie.

    Ce qui compte, ce sont les conséquences qu’implique le fait d’avoir raison ou tord … et rien d’autres.

    Nous espérons vous avoir rassuré sur l’idée que nous ne voulons convaincre personne de quoi que ce soit ou de qui que ce soit mais juste partager notre enthousiasme avec nos lecteurs qui font leur shoppings parmi les élucubrations présentées sur ce blog, en décidant eux-mêmes ce qui leur semble digne d’intérêt ou non.

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