Ce texte fait partie de la série « finance comportementale ».
Dans cette quatrième partie, nous allons essayer d’approfondir la problématique générée par le « Troupeau », le «Groupe » ou les « Masses » qui font que les investisseurs ont un mal fou à poser un jugement ou à prendre des décisions qui vont à l’encontre d’un groupe constitué de millions d’investisseurs.
Nous avions déjà abordé ce thème dans cet article : « Chassez le mouton, il revient sans cesse au galop ! Nos abonnés sur la sellette ?« où nous expliquions principalement, pourquoi nous sommes naturellement amenés à copier les autres. Pourquoi nous pensons être originaux ou uniques alors que nous sommes tout simplement comme les autres. Et finalement, pourquoi cela ne génère pas le moindre problème dans la vie de tous les jours, alors que c’est un gros problème dans le monde de l’investissement. Voici les trois principaux paragraphes de cet article :
« En fait de l’enfance à l’adolescence, nous sommes construit en copiant les autres. Les autres, ce sont vos parents, vos grands-parents, vos condisciples à l’école, vos professeurs, toutes les personnes qui tentent de vous éduquer. Si votre mère vous apprend que votre père s’appelle papa, vous répétez « papa », mais si elle dit « tata », vous répétez « Tata », ou si encore elle dit « Dady », vous dites « Dady »… Si votre père a tendance à uriner en rue, sur un petit muret délabré ou larguer un doigt vengeur en direction d’un automobiliste qui vient de lui tailler la route quand il est au volant, vous aurez tendance à trouver cette manière de faire normal et vous la répéterez. L’éducation des enfants et des adolescents est donc, un « copier », de ce que vos parents et ceux que vous côtoyez tous les jours vous ont « collé » dans le cerveau.
Après l’adolescence, c’est pareil, même si c’est moins évident, car tout le monde pense être original, unique dans sa manière de penser, de s’habiller, d’agir… Mais c’est en fait un leurre et juste le fait que vous avez l’impression de vous distancer de la manière de penser et d’agir de Papa et Maman, voir de ceux qui vous ont éduqué. Le problème c’est que 95% de la population fait : boulot-métro-dodo, pour certains « voiture » remplace « métro », mais le déplacement a lieu sur roue. Tout le monde s’habille chez H&M, Zara ou autres boutiques chics, avec la même étiquette « made in China », Thaïlande ou Vietnam, collée à l’arrière, bon vous me direz qu’il y a des variante du style EuroChina, c’est juste que la société chinoise qui emploie 100% de chinois a son siège et son usine de production à Milan et permet donc de vous faire cracher entre 4 et 5 fois plus que si elle avait son siège et son usine a Shanghai… Tout le monde a le dernier téléviseur HD, made in Korea, la même voiture, c’est juste que le décor, cette sacrée carrosserie, varie. Il y a à l’avant du capot et parfois, à l’arrière, quatre anneaux, une étoile, un ange, un jaguar… mais tout le monde a bien un moteur, 4 roues, au moins deux essuies glaces et des sièges pour s’asseoir. C’est comme cela depuis toujours et ce n’est pas près de changer.
En fait si vous réfléchissez un peu, en retournant la problématique, si le troupeau de mouton était composé de seulement 5% de la population et de 95% de personnes originales ne copiant personne, la mode n’existerait pas, les agences de voyages non plus, pas de MacDo, ni d’autoroutes, une ou deux marques de voiture suffirait, un tas de profession comme tatoueur ou « piercingueur », avocat, coiffeur n’existerait pas. Microsoft et Apple seraient des small caps au chiffre d’affaires peu reluisant. Bill Gates et Steve jobs des CEO de vrais Daubasse !
Bon, arrêtons les exemples car vous avez certainement compris que nous sommes tous dans la même soupe et qu’il n’y a pas le moindre problème en soi… Au contraire, c’est naturel et pas le moins du monde dérangeant. «
Un fois ce schéma général posé nous expliquant pourquoi l’être humain est amené à copier les autres, nous allons essayer de comprendre comment cet être humain trouve finalement du confort psychologique à partager tout un tas de choses, d’idées ou d’actions, avec un groupe plus ou moins important d’autres individus. Et plus encore, comme il est douloureux d’être seul à formuler un point de vue différent du groupe.
Le psychologue Solomon Asch a étudié la pression du groupe sur une seule personne. Mais qui est Solomon Asch ?
Il est né en 1907 à Varsovie et émigre aux USA en 1920. En 1928, il obtient son baccalauréat à l’Université de New-York. Plus tard, il obtiendra sa maîtrise (1928) ainsi que son doctorat (1932) à l’Université Columbia.
Solomon Asch est connu pour avoir été le professeur du célèbre étudiant Stanley Milgram (connu pour son fameux test de soumission à l’autorité). Ses travaux ayant inspiré en grande partie les travaux de Milgram, notamment du fait d’avoir été son directeur de thèse à l’Université Harvard.
Les expériences proposées en 1951 par Solomon Asch à des groupes de sept individus et les enseignements fondés sur ses expériences vont vraiment nous éclairer sur notre sujet.
Cette expérience montre qu’une personne répondant après six autres personnes qui se trompent unanimement, peut répondre comme ces derniers en dépit d’une évidence objective.
Les idées et opinions largement partagées dans la société ont donc une très forte influence sur les idées et opinions individuelles. Ce phénomène s’explique également par le fait qu’une forte pression s’exerce sur les individus pour qu’ils s’alignent sur la position du groupe, sinon ils risquent d’être mis à l’écart.
L’expérience est assez simple. Des groupes de sept personnes sont convoqués pour un test d’acuité visuel. Le matériel de base est composé de deux cartons. Sur le premier carton sont alignés trois segments de longueurs différentes qui sont numéroté de A à C ou de 1 à 3. Et sur le deuxième carton, il y a un seul segment. Il est donc demandé aux intervenants de dire à quelle longueur correspond le segment seul, sur la fiche où sont représentés les trois segments.
C’est donc très simple d’autant plus qu’il n’y a pas d’hésitation possible et que le segment seul correspond au segment C de la fiche aux trois segments. Par contre, sur les sept candidats, un seul d’entre eux est finalement mis à l’épreuve du choix et ne sait pas que Solomon Asch a demandé aux six autres de ne pas répondre correctement.
Il s’agit, en fait, d’étudier uniquement la capacité d’une personne à résister ou non à la pression d’un groupe dont l’opinion est manifestement contredite par l’évidence : le groupe, par exemple, prétend que le segment seul correspond au segment A.
L’expérience est éprouvante pour la seule personne qui fait le test car elle le soumet à un conflit intense puisqu’elle est véritablement écartelée entre deux perceptions : sa propre perception de la longueur des différents segments et celles de tous les autres participants qui, du point de vue de la personne testée, ne perçoivent pas la même chose et soutiennent donc une réponse complètement différente.
La personne testée connait alors un ébranlement psychologique d’autant plus profond que les deux perceptions, sont inconciliables. Puisque d’un côté sa perception rejoint une évidence, liée à la simplicité du test et qui exclut toute discussion. Tandis que de l’autre, la réponse différente de la sienne des six autres personnes a évidement plus de poids et est « normalement » plus fiable, puisque cette perception est la même pour six individus
On remarquera dans la petite vidéo du test que la personne est décontenancée, étonnée de la réponse des autres et ne parvient pas à comprendre les réponses du groupe, voire finalement peut-être ses propres réponses, doutant peut-être de son acuité visuelle !
Que peut-on tirer comme enseignements principaux de tout cela ? C’est ce que nous verrons dans notre tout prochain article.
» mais tout le monde a bien un moteur, 4 roues, au moins deux essuies glaces »
Oh, l’ignorant pris en flagrant délit de généralisation abusive !
Si, comme moi, vous rouliez votre caisse dans une caisse étoilée* , vous sauriez qu’on peut très bien rouler avec un seul essuie glace.
* Daubasses automobiles de plus de trente ans, que je paye généralement moins cher que mes chaussures sans que ça les empêche de me véhiculer tout aussi bien que des récentes qui, même en incluant le budget restauration, me coûteraient vingt fois plus.
Pour les membres de l’espèce infiniment sociale que nous sommes, et dont les petits naissent si peu finis que leur survie dépends de leurs capacité mimétique autant que de se faire supporter par le groupe, bien vrai qu’être contrariant est une rude ascèse. Et plus encore en matière financière où ça ne peut payer qu’au prix de considerables efforts de discernement.
Truc qui peut aider : avoir toujours en tête cette citation de Sénèque : « La preuve du pire, c’est la foule…. ».
Ça n’est évidemment pas toujours vrai. En cas d’incendie par exemple. Mais en matière boursière ça reste tout de même l’indicateur le plus fiable de l’approche d’une inversion de cycle. Quand votre chauffeur de taxi s’associe au journaux (et à Patrick Artus ) pour vous recommander d’acheter, il est grand temps de tout liquider ! Surtout si PER et taux de défaut sur les cartes de crédit battent des records.