Faut-il alléger une position dont le potentiel s’est fortement réduit ?💡

[édito proposé aux abonnés dans la Lettre mensuelle de mai 2021]

L’édito du mois nous a été inspiré par des échanges sur le forum avec un abonné : Stéphane. Stéphane nous gratifiait déjà de ses graphiques pour visualiser en un coup d’œil le niveau de décote historique d’un titre par rapport à la valeur de ses actifs. Il partage désormais sur le forum son portefeuille d’actions et son parcours d’investisseur avec la communauté. Merci !

Stéphane a soulevé une question intéressante quant à notre process. Ce dernier nous dicte d’attendre que notre objectif de cours (= la Valeur d’Actif Net Tangible ou « VANT » pour les net-net et les net-estate) soit atteint avant de prendre des gains. Et lorsque nous vendons, vous le savez, nous ne faisons pas dans la demi-mesure puisque nous cédons notre ligne dans sa totalité. Il n’y a donc pas d’allégement en cours de route pour les sociétés du Portefeuille daubasses 2 (nous l’avons en revanche déjà fait pour Graines Voltz dans le portefeuille Pépites PEA), contrairement à ce que lui pratique. Stéphane allège pendant la hausse pour arbitrer vers des actions à plus haut potentiel afin d’équilibrer en permanence son portefeuille.

La question d’alléger la voilure sur un titre au fur et à mesure que le cours monte et que la décote se réduit, est totalement légitime. Du point de vue d’un investisseur quantitatif value, si les fonds dégagés peuvent être réalloués sur des sociétés avec un potentiel plus élevé, envisager un allégement progressif de la ligne relève presque de l’évidence.

Nous préférons ne pas le faire pour le Portefeuille daubasses 2. Bien sûr ce choix nous est propre et personnel. Nous ne prétendons en aucun cas que ce soit la meilleure solution. Voici néanmoins quelques réflexions qui nous ont conduit jusqu’à présent à privilégier cette approche :

 

1/ Le changement structurel : décote vers croissance rentable

Quand nous achetons des daubasses, c’est que tout va mal : c’est anormal de pouvoir acheter une part d’entreprise avec une décote sur sa valeur net-net de plus de 30%. Et quand nous approchons de notre objectif de vente (fonds propres tangibles), c’est généralement que la situation s’est améliorée au niveau des résultats et/ou qu’un actif va être cédé révélant au passage la vraie valeur de l’action au marché.

Dans la vraie vie, il est inimaginable de pouvoir acquérir une entreprise en plein retournement avec une ristourne sur ses fonds propres. C’est la magie de la bourse où les prix sont fixés en fonction de l’offre et la demande parfois bien loin des fondamentaux comptables et économiques : profitons-en !

‪Voici un exemple : Gévelot. Nous avions acheté des titres le 9 décembre 2009 à 19,25 EUR. Rappel de l’histoire ici : Bas les masques – Gévelot.

‪La thèse était principalement basée sur une décote sur le patrimoine immobilier. Puis, au fur et à mesure du temps, les actifs de l’entreprise ont été mieux utilisés, le management a cédé des actifs et réalisé de très belles acquisitions (dans le pétrole au Canada) et l’entreprise a retrouvé une croissance rentable. Regardez le chemin parcouru sur le graphique (qui ne tient pas compte des nombreux dividendes encaissés) :

‪Nous ne sommes jamais à l’abri d’avoir en portefeuille un scénario de ce type : une décote sur actifs qui se transforme en société de croissance ! C’est rare mais ça arrive.

‪Dit autrement : quand une daubasse de type « net-net » se transforme en RAPP ! Et qui dit RAPP, dit création de valeur et donc potentiellement une VANT et un objectif de vente qui vont progresser dans le temps.

 

2/ Rupture technologique et autres cygnes noirs positifs

 O2Micro, Allied Healthcare, Geomatec, … ou encore notre plus gros bagger de l’histoire des daubasses : Netlist et son x16,5 ! Ces titres se sont subitement envolés sur une histoire de nouveau paradigme avec une nouvelle qui semble changer la donne. Et dans ces cas, il n’y a plus de fondamentaux qui comptent : on court acheter du papier à n’importe quel prix !

‪En allégeant en deçà de notre objectif de cours ou en arbitrant automatiquement, nous serions passés à côté de ces phénomènes et nous n’aurions pas profité pleinement de la hausse rapide et imprévisible des cours.

 

3/ Profiter des autres intervenants qui ont une autre « vision » de la bourse

Nous sommes une espèce rare en bourse : des investisseurs qui se basent sur les fondamentaux des entreprises. Et encore plus rare, dans cette niche, nous achetons principalement des actifs tangibles nets de tout passif avec une décote.

En gros, nous regardons quasi exclusivement le bilan des entreprises. Or, il existe sur le marché un nombre incalculable d’intervenants avec des stratégies bien différentes, dont certaines sont plus proches du casino que de l’investissement !

Parmi ces stratégies – très éloignées de la notre ! -, il en existe plusieurs qui sont aux antipodes d’une approche patrimoniale comme celle des daubasses. Nous allons vous en citer trois. Les investisseurs qui pratiquent ces stratégies appuient sur le champignon quand nous autres appuyons sur le frein. C’est généralement à eux que nous vendons les actions que nous ne considérons plus comme bradées.

‪1) les trend-followers : ils achètent les actions qui sont sur un trend haussier. Ils n’achèteront donc jamais une daubasse sur un plus bas. Car si ça a baissé, ça peut encore baisser. Ces investisseurs vont adorer amplifier les effets d’une hausse en espérant que cette hausse va continuer. Ici, les fondamentaux n’ont plus aucune importance. Le cours peut partir assez haut et parfois bien au-delà des fonds propres tangibles !

‪2) les amis des trend-followers : les acheteurs de momentum. Ils attendent un retournement de tendance « clair » pour se positionner et profiter d’une nouvelle dynamique. Les fondamentaux ? Les fonds propres (c’est quoi ça ??) ? Ils s’en moquent.

‪3) couplé à ces deux styles d’investissement, on peut ajouter les experts des dessins. Les analystes « techniques » ( ‪ ) qui tracent des lignes pour se donner des objectifs de cours. Autant dire que là aussi, on est trèèèèès loin des fondamentaux.

‪Ces investisseurs, avec leur approche différente, et qui parfois utilisent à la fois des dessins et des suivis de tendances, peuvent avoir des objectifs de cours très éloignés des nôtres… Si l’on ajoute à ça des spéculateurs purs qui jouent sur des titres en voyant des volumes anormalement élevés, on a là un super cocktail pour mener à des valorisations sans aucun lien avec les fondamentaux.

‪Il serait quand même dommage de ne pas profiter pleinement de ces acheteurs irrationnels (pour ne pas dire « fous » de notre point de vue d’investisseur dans la valeur) en allégeant un peu tôt.

 

4/ Arbitrage systématique ?

Lors du creux de marché observé en mars 2020, nous avions identifié bon nombre d’actions qui avaient un potentiel supérieur aux actions que nous avions déjà en portefeuille. On s’est demandé à ce moment-là si on devait tout changer.

À ratio de solvabilité (une de nos mesures du risque) identique, il paraissait rationnel d’arbitrer vers de plus hauts potentiels, mais nous ne l’avons pas fait. Nous avons préféré augmenter le capital du Portefeuille daubasses 2 pour acquérir de nouvelles lignes et remplir le panier de belles décotes ! Nous n’avons pas regretté cette décision.

‪Nous n’avons pas arbitré pour plusieurs raisons :

  • Nous avons accumulé depuis 2008 une belle base de données avec un historique incroyable (cf. notamment l’édito de la Lettre mensuelle de février 2021 : Les secrets des champions). En regardant nos centaines d’opérations passées, il n’était pas évident qu’une action avec un potentiel légèrement supérieur allait mieux performer. Ce plus gros potentiel peut aussi mettre plus de temps à se matérialiser. Et réaliser une performance de +180% en 2 ans est plus intéressant que de réaliser +230% en 5 ans.

‪            – Une plus grosse décote sur les actifs tangibles peut aussi vouloir dire de plus gros problèmes opérationnels avec des destructions de valeur importantes. Un potentiel de +230% peut donc s’éroder plus vite au fil du temps qu’un potentiel plus faible d’une société qui ne détruirait pas de valeur (ou moins).

‪            – Nous avons accumulé de nombreuses connaissances sur des entreprises dont nous détenons des actions depuis des mois voire des années. Un arbitrage annule directement ce petit savoir accumulé. On doit repartir de zéro avec le nouveau titre acheté.

‪            – Nous avons des abonnés. Certains, après avoir fait leurs devoirs, achètent les mêmes actions que nous. Arbitrer 90% du portefeuille en quelques semaines serait quelque peu déstabilisant pour eux (impératif institutionnel …).

‪En allégeant systématiquement un titre lorsqu’il monte, il est possible de passer à côté de gros gains potentiels. Cela n’arrive pas souvent, mais cela suffit à impacter considérablement la performance dans le temps tout en étant obligé de travailler plus : réaliser plus de transactions, payer des frais, suivre une nouvelle entreprise…

‪N’oublions pas que si le marché est relativement efficient à long terme, sur de courtes périodes, il peut être irrationnel dans les deux sens : décote excessive et survalorisation excessive.

‪=> Non, les marchés ne sont pas efficients : profitons-en !

 

Faut-il garder une daubasse à vie ?

Si nous avons le fait choix de ne pas alléger nos positions en cours de route, cela ne veut pas dire que nous nous interdisons de céder un titre avant que notre objectif de cours soit atteint.

Nous avions mené une réflexion en 2012 sur le sujet : « Peut-on garder une daubasse à vie ? ». La solution que nous avions retenue à l’époque était la suivante :

  1. Après 5 ans en portefeuille, nous examinons la situation.
  2. Si nous trouvons une société dont le potentiel est supérieur, nous arbitrons en faveur de cette société.
  3. Si nous ne trouvons pas de société dont le potentiel est supérieur, nous gardons cette société en portefeuille.

Nous essayons de manière générale de respecter ces règles, mais il peut nous arriver d’être un peu plus souple dans certaines situations. Si « M. Marché » s’emballe sur fond de spéculation ou de belles promesses et que le cours se rapproche sensiblement et rapidement de notre objectif de vente, il n’est pas exclu dans ce cas précis que nous fassions une petite entorse au process… surtout si nous avons une belle aubaine à saisir à la place !

 

Conclusion

Comme nous le rappelons souvent, nous disons ce que nous faisons, pourquoi nous le faisons mais pas ce que vous devez faire. Une décision peut dans certains cas se justifier pour le Portefeuille daubasses 2 ou pour le portefeuille Pépites PEA, alors qu’elle n’a pas nécessairement de sens pour votre portefeuille.

Prenons l’exemple de l’allégement de notre position Graines Voltz en janvier 2020. La ligne représentait plus de 20% du portefeuille Pépites PEA et l’objectif de cours au moment de l’opération était relativement proche. Au regard du poids qu’avait pris la ligne, ce choix nous paraissait cohérent. Etait-ce la meilleure décision à prendre sur le moment pour le portefeuille Pépites PEA ? Nous le pensons. Était-ce le meilleur choix pour votre portefeuille ? Vous seul pouvait répondre à cette question !

On peut comprendre que nos décisions d’achat ou de vente peuvent parfois vous surprendre, mais au risque de se répéter, il n’existe pas de solution unique mais autant de solutions qu’il existe d’investisseurs !

Et la meilleure solution ou stratégie, c’est celle qui vous convient le mieux, celle que vous avez construite tranquillement au fil des ans, parce que vous en avez bien compris tous les tenants et les aboutissants et que vous vous sentez à l’aise en l’appliquant… Une stratégie qui vous permet de dormir tranquille et de performer sur le long terme.

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