Cet article constitue le 3ème d’une série consacrée à l’ouvrage de Nassim Nicholas Taleb, Antifragile : Les bienfaits du désordre. Vous pourrez relire les première et deuxième parties ici et ici.
3° « Considérez que la nature, n’est pas simplement « sûre ». Elle est agressive puisqu’elle détruit et remplace, sélectionne et redistribue… »
C’est donc à partir du fonctionnement impitoyable de la nature que Nicholas Taleb nous explique qu’être robuste n’est pas suffisant car, dans la nature, pour résister, il faudrait trouver une robustesse parfaite qui n’existe pas.
Dans la nature, à longue échéance, tout ce qui a la moindre vulnérabilité finit par se briser, disparaître et être remplacé. Notre planète fonctionne de cette manière depuis plus de 4 milliards d’années.
Puisque la robustesse parfaite n’existe pas, la nature nous fait donc comprendre que nous avons en face de nous un mécanisme grâce auquel le système se régénère sans cesse en tirant profit d’évènements fortuits, de chocs imprévisibles, du stress et de la volatilité plutôt qu’en les subissant.
A longue échéance, ce qui est antifragile profite des erreurs de prédiction. Si on va au bout de cette idée, on pourrait en conclure que ce qui bénéficie du hasard devrait dominer le monde et que ce qui en est victime devrait disparaitre.
« Et bien, il se trouve que c’est le cas. Nous avons l’illusion que le monde fonctionne en vertu d’un schéma programmé, de la recherche universitaire et de capitaux bureaucratiques, mais il existe des preuves convaincantes – très convaincantes – que c’est une illusion, une illusion que je nomme : « apprendre aux oiseaux à voler ». La technologie est le produit de l’antifragilité, exploitée par les preneurs de risque sous la forme du bricolage par la méthode d’essai – erreur, en reléguant les plans conçus par les nigauds dans les coulisses. Les ingénieurs et les bricoleurs développent les choses tandis que les livres d’histoire sont écrits par les universitaires ; nous allons devoir affiner les interprétations historiques de la croissance, de l’innovation et de bien d’autres choses du même ordre… »
4 ° « La fragilité est tout fait mesurable, le risque pas du tout, et en particulier le risque associé aux évènements rares… »
Taleb affirme qu’on peut estimer et même mesurer la fragilité et l’antifragilité mais qu’il n’est pas possible d’évaluer les risques et les probabilités de chocs brutaux et d’évènements rares, aussi perspicace que l’on soit.
La gestion du risque que l’on pratique de nos jours est l’étude d’un évènement qui aura lieu dans le futur « …et seuls, certains économistes et autres fous du même genre peuvent prétendre « mesurer« – à l’encontre de l’expérience – la future incidence de ces évènements rares tandis que des naïfs les écoutent – à l’encontre de l’expérience et du résultat de telles déclarations… »
En fait, la fragilité et l’antifragilité se retrouvent dans tous les objets mais aussi dans les entreprises, les industries, les pays, les systèmes politiques… Il est assez aisé de repérer la fragilité et même de la mesurer dans de nombreux cas ou, du moins, d’en mesurer la fragilité relative avec de très légères erreurs.
En comparaison, affirmer d’une manière fiable que tel évènement ou choc est plus probable qu’un autre est un exercice douteux… à moins que l’on aime s’illusionner au sujet de ses dons divinatoires.
Par contre, on peut établir avec beaucoup plus d’assurance qu’un objet ou un édifice est plus fragile qu’un autre si un tel évènement a lieu « On peut, par exemple, dire que sa grand- mère est plus fragile que soi-même quand la température change brusquement, que telle dictature est plus fragile que la Suisse en cas de bouleversement politique, que telle banque est plus fragile qu’une autre en cas de crise ou qu’un immeuble moderne mal construit est plus fragile que la Cathédrale de Chartes en cas de tremblement de terre. Et surtout on peut même prédire lequel résistera le plus longtemps.
Au lieu d’un débat sur le risque (ce qui est prévisionnel), je préfère le recours à la notion de fragilité qui n’est pas prévisionnelle et qui constitue, à la différence du risque, un mot intéressant qui peut décrire son contraire fonctionnel, le concept mature d’antifragilité.
Pour mesurer l’antifragilité, il existe une recette pareille à une pierre philosophale qui consiste à recourir à une règle concise et simplifiée pour nous permettre de l’identifier dans tous les domaine, de la santé à la construction de sociétés. »
Et Taleb conclut ce paragraphe en disant que depuis que l’homme existe, il a inconsciemment tiré parti de l’antifragilité dans la vie pratique mais l’a consciemment rejeté dans sa vie intellectuelle.
Commentaires
Il y a vraiment quelque chose qui nous parle dans le début de ce livre et même qui nous enthousiasme : quelle que soit le concept, on ne s’arrête pas à la théorie mais on passe réellement de la théorie à la pratique ou à la compréhension pratique de l’idée. C’est sans doute ce qui distingue Taleb de pas mal d’autres théoriciens et penseurs qui conduisent souvent dans un monde rêvé, très loin du réel et dans lequel le côté pratique n’existe pas.
Nous savons depuis longtemps que le réel n’est pas facile à affronter comme l’a écrit et expliqué le philosophe Clément Rosset dans » le réel , traité de l’idiotie » ou encore « le réel et son double » qui commence par une phrase de Edgar Allan Poe qui en résume magistralement l’idée générale : « Je veux parler de la manie de nier ce qui est et d’expliquer ce qui n’est pas ».
On comprend mieux avec Taleb que l’homme refuse de voir ce réel ou cette nature qui est agressive, qui détruit et remplace, sélectionne et redistribue. Et si dans la vie de tous les jours, tout est fait pour édulcorer voire masquer ces côtés du réel que nous ne supportons plus de regarder en face, ce n’est pas du tout le cas du monde de l’investissement et des marchés en général qui détruit et remplace, sélectionne et redistribue.
L’idée d’oublier la mesure du risque ou le prévisionnel pour ne raisonner qu’en terme de fragilité ou d’antifragilité nous semble vraiment lumineuse pour un investisseur. Nous n’allons pas divulguer la suite et, par exemple, ce que Nicholas Nassim Taleb nomme sa pierre philosophale ou sa recette pour mesurer l’antifragilité.
Mais il faut bien avouer que cela éclaire le process que nous mettons en pratique, et, à notre tour, nous nous essayons à une question sur la fragilité pour voir si c’est aussi simple que ne le dit Taleb.
La question serait : « qu’est-ce qui est le plus fragile : les actifs ou les profits d’une société commerciale ? » Nous avons posé la question à Walter Schloss, voici sa réponse :
« Essayez d’acheter des actifs avec décote plutôt que des bénéfices. Les bénéfices peuvent changer significativement sur un laps de temps très court. Les actifs, eux, sont plus stables. On doit en connaître nettement plus sur une entreprise si on base sa décision d’achat sur les bénéfices. »
Extrait de « Antifragile : les bienfaits du désordre », page 19 – 20
A chaque article sur le livre de Nassim Nicholas Taleb « Antifragile : Les bienfaits du désordre« , nous espérons avoir pu vous démontrer que c’est un livre important pour tout investisseur et que son achat nous semble être un excellent investissement.