Le feuilleton à suspens de la saison 2010-2011 : Gantois, prenez-la morte ou vive …

Chez les daubasses, nous pensons que les opportunités peuvent se présenter partout… surtout là où (presque) personne ne veut aller.  Toujours est-il que parfois, c’est avec raison que personne ne veut y aller.

Dans cette optique, nous vous proposons, cher lecteur, un exercice intellectuel intéressant : l’analyse, la valorisation et le suivi d’une entreprise pour le moins « foireuse » : la société Gantois.  Nous allons suivre l’évolution de cette entreprise jusqu’au dénouement final :  la recovery ou la faillite. Nous espérons tirer de ce travail  des enseignements pour mieux appréhender ce type d’événements s’il se produisait au sein de notre portefeuille. 

L’entreprise que nous vous présentons est l’étonnante détentrice d’un triste record de destruction de valeur pour ses actionnaires (cf. graph ci-dessous). Durant les cinq dernières années, malgré un chiffre d’affaires cumulé de 402 M EUR, la société a réussi à accumuler plus de 30 M EUR de pertes sans une seule année de bénéfices ! Ainsi ses capitaux propres sont passés d’un montant de 18,5 M EUR en 2005 à 2,2 M EUR fin 2009, soit une destruction de valeur pour l’actionnaire de 35 % en moyenne par an. Et encore, nous ne tenons pas compte ici des différents apports en capitaux qui ont eu lieu durant la période. Nous reviendrons sur ces éléments dans un prochain article.

Cette catastrophe annoncée pourrait pourtant renaître de ses cendres. Effectivement, début 2010, suite à un redressement judiciaire, notre désastreuse société a renégocié sa dette ce qui a eu pour effet immédiat de multiplier ses fonds propres par 7 ! C’est cette histoire que nous allons vous raconter et que nous allons suivre au fur et à mesure des événements.

Une longue descente aux enfers

Gantois est spécialisée un peu dans tout ce qui touche au métal, comme le témoigne son slogan « le métal dans tous ses états »… une belle promesse ! En fait, ses activités sont très diversifiées : architecture & bâtiment, clôtures et protection pour les collectivités, tissage façonnage, tôles perforées pour l’industrie, équipement pour l’industrie et les carrières, et (enfin !) distribution. Elle a des implantations en France et en Belgique.

Aujourd’hui, l’action Gantois qui s’échange traditionnellement sur le marché parisien (ISIN : FR0000064214) est suspendue. La raison est simple, dans un communiqué du 15 juillet 2010, son principale actionnaire avec 77% du capital – le fonds britannique Baulder II – « a décidé de laisser sa participation à tout nouvel investisseur industriel pour assurer l’avenir » du groupe. Rien d’étonnant. Dans le rapport annuel 2009, un projet de renforcement des fonds propres est annoncé comme étant prioritaire pour un montant maximal de 7 M EUR. Certainement que le fonds, au capital depuis 2005, ne veut pas participer à la recapitalisation… et ça se comprend eu égard des chiffres. Baulder II avait déjà participé par le passé à plusieurs apports représentant au moins 14 M EUR. Néanmoins, cette annonce apporte un aspect spéculatif sur le dossier.

 

A son cours de suspension, Gantois était valorisée 6,35 M EUR,  soit 2,5 EUR par action. La question est de savoir si à ce prix, le titre Gantois peut désormais faire gagner de l’argent à un investisseur. Cette analyse est une tentative de valorisation avec des hypothèses que nous poserons liées à la précarité de la situation.

Au 31 décembre 2009, la société avait 2,2 M EUR de capitaux propres représentant seulement 2% du bilan et avec des pertes pour l’exercice écoulé de 14,0 M EUR. Nul besoin de préciser que sans restructuration la boîte fonçait droit dans le mur, l’ensemble des dettes inscrites au passif du bilan représentant 48 M EUR alors que sa trésorerie ne représente plus que 3,6 M EUR. Aucune chance de résister à une nouvelle année désastreuse sans un grand coup de main !

Le tribunal de commerce d’Épinal a dû estimer qu’il restait encore une chance de récupérer un peu de capitaux puisque la dette de l’entreprise a été renégociée de façon plutôt avantageuse. Mais cette seule renégociation ne suffira pas à sauver l’entreprise. Il faut clairement un redressement sensible de la rentabilité. Nous verrons avec les prochaines publications si le management a su inverser une forte tendance à la destruction de valeur. Voyons un peu son état actuel et les implications d’une éventuelle augmentation de capital pour les actionnaires.

1. Avant augmentation de capital

 

Situation après restructuration

Grâce aux états financiers fournis dans le dernier rapport annuel, nous allons tenter de valoriser l’entreprise selon nos méthodes habituelles. Pour palier à la faible quantité de données financières fournis suites à la restructuration intervenue au premier trimestre 2010, nous poserons des hypothèses.

La Valeur d’actif net net (VANN)

Nous reprenons ici les éléments de l’actif courant du 31 décembre 2009 : soit 30,8 M EUR composés essentiellement de créances et de stocks. Les créances brutes de 17,0 M EUR ont été provisionnées à hauteur de 11% et les créances nettes sont garanties à 50% par un factor. Concernant les stocks, ils ont été provisionnés à hauteur de 28% de leur valeur brute. Nous considérons l’approche du management assez conservatrice et reprenons l’actif courant pour sa valeur comptable, sans retraitement.

A cet actif courant, nous ajoutons les actifs détenus en vue de la vente car nous faisons l’hypothèse qu’ils ont été cédés dans le cadre de la renégociation bancaire et qu’ils ont au moins été vendus à leur valeur du bilan estimée être le montant le plus faible entre la valeur comptable et la juste valeur diminuée des coûts de ventes. Ils sont valorisés 6,7 M EUR.

Nous obtenons donc un total d’actif courant retraité de :

actif courant : 30,8 M EUR + actifs détenus en vue de la vente : 6,7 M EUR = 37,5 M EUR.

Dans le même rapport, nous constatons que les créanciers ont opté pour l’option 1 : paiement comptant à hauteur de 25 % du montant de la créance résiduelle soit 5,6 M EUR et abandon du solde de 75 % soit 15,8 M EUR. Nous allons donc déduire les 5,6 M EUR versés de l’actif courant retenu au 31 décembre 2009.

Notre actif courant retraité est donc de : 37,5 M EUR – 5,6 M EUR soit 31,9 MEUR.

Comme vous le constatez, nous faisons l’hypothèse qu’en dehors de nos retraitements, l’actif courant du 31 décembre 2009 est identique à l’actif courant post renégociation.

Pour l’ensemble du passif, c’est plus simple puisque nous avons le détail après restructuration : 29,8 M EUR.

Nous avons donc une VANN de :

Actif courant retraité : 31,9 M EUR – total passif : 29,8 MEUR = 2,1 M EUR, soit 0,83 EUR par action. Le capital étant composé de 2 538 079 actions. Ce qui ne nous laisse aucune marge de sécurité par rapport à la VANN avec un cours de 2,50 EUR par action.

La Valeur d’Actif Net Estate (VANE)

 

A la VANN, nous ajoutons les immobilisations corporelles (terrains et constructions) que nous reprenons pour 80 % de leur valeur brute, soit 14,9 M EUR. Nous obtenons ainsi une VANE de 17,0 M EUR soit 6,70 EUR par action. Nous disposons donc d’une marge de sécurité de 63% sur cette valeur.

La Valeur en cas de Mise en Liquidation Volontaire (VMLV)

La mise en liquidation volontaire avait clairement peu d’intérêt avant restructuration, les fonds propres inscrits au bilan ne représentant plus que 2,2 M EUR. A ce niveau là, il n’est pas sûr que les parties prenantes (créanciers et actionnaires) puissent récupérer toutes leurs billes. En effet, avec 48,6 M EUR de passif au bilan, il y a un risque important que les 50,8 M EUR d’actifs, s’ils sont mal évalués ne permettent pas de combler les créanciers.

Un point qu’il faut toujours avoir en tête lorsqu’on analyse un bilan : les montants inscrits au passif sont des dettes sûres et certaines, alors que les actifs prêtent à davantage d’interprétations. Ce n’est pas le cas ici, mais une entreprise dont le principal actif serait composé par exemple de goodwill n’aurait aucun intérêt à se liquider volontairement.

La liquidation volontaire peut par contre avoir un intérêt après le redressement judiciaire. Puisque les fonds propres sont maintenant évalués à 15,5 M EUR. Tentons de valoriser tous les actifs de façon la plus prudente possible.

La VANN calculée était de 2,1 M EUR. Dans une optique très pessimiste, nous ajoutons une marge de sécurité de 30% sur les stocks qui correspondent à 3,2 M EUR de réduction de valeur. La direction ayant déjà actées des dépréciations sur les créances clients en plus de la présence d’un factor, nous les conservons à ce niveau. Pour les immeuble destinés, à être vendus, nous prenons une sécurité supplémentaire de 10%, soit une réduction de la valorisation de 0,7 M EUR. Nous obtenons donc une VANN à la casse de -2,0 M EUR.

Concernant les actifs immobiliers, nous avions retenu une valeur de 14,9 M EUR. Dans une optique de valorisation conservatrice, nous ajoutons encore une marge de sécurité de 20%. Nous obtenons ainsi une valorisation de 11,9 M EUR.

Les autres postes du bilan sont reprise pour 0 : les installations techniques et autres immobilisations qui ont été achetés pour 55,5 M EUR, les incorporelles (essentiellement des logiciels) acquis pour 2,3 M EUR, ainsi que la valorisation d’une entreprise détenue à 34%, Gerlon, dont la quote-part des capitaux propres est de 0,3 M EUR. Ceci accroît encore notre marge de sécurité.

Nous n’oublions pas de considérer en hors bilan les loyers que Gantois doit honorer, soit 0,8 M EUR.

Nous obtenons donc :

–         des actifs courant pour -2,0 M EUR

–         des immeubles pour 11,9 M EUR

Auxquels nous retranchons les engagements de loyers de 0,8 M EUR, soit 9,1 M EUR ou 3,9 EUR par action. Nous avons donc une marge de sécurité de 36% sur cette valeur.

A noter que dans le cadre d’un rachat par un industriel – comme le souhaite l’actionnaire majoritaire actuel – il est possible de trouver une certaine valeur aux actifs que nous avons volontairement ignorés. A notre niveau, nous sommes incapables de valoriser ces éléments.

La valeur de la Capacité Bénéficiaire (VCB)

L’entreprise n’ayant pas été en mesure de générer le moindre bénéfice depuis de nombreuses années, nous ne ferons pas d’estimations de valorisation selon la capacité bénéficiaire.

2. Après augmentation de capital

 

L’objectif est d’estimer ici s’il pourrait y avoir un intérêt à souscrire à une éventuelle augmentation de capital.

Nous posons l’hypothèse que l’augmentation de capital se ferait sans décote – donc à 2,50 EUR par action – pour un montant de 7,0 M EUR. Le nombre d’actions émises serait donc de 2 800 000. Le total du capital serait alors de 5 338 079 actions après augmentation de capital (2 538 079 anciennes + 2 800 000 nouvelles).

Nous retenons donc ce nombre d’actions pour refaire nos calculs.

La Valeur d’actif net net (VANN)

Nous obtenons une VANN de 1,70 EUR par action. Sans surprise, encore aucune marge de sécurité.

La Valeur d’Actif Net Estate (VANE)

La VANE ressort à 4,50 EUR par action, soit une marge de sécurité de 44%.

La Valeur en cas de Mise en Liquidation Volontaire (VMLV)

La VMLV ressort à 3,00 EUR par action, soit une marge de sécurité de 17%.

Conclusions

Avant augmentation de capital, suite à la restructuration et compte tenu de nos hypothèses, nous estimons la marge de sécurité de :

63 % sur la VANE

36 % sur la VMLV

Après augmentation de capital et suite à la restructuration et compte tenu de nos hypothèses, nous estimons la marge de sécurité de :

44 % sur la VANE

17 % sur la VMLV

Nous avons donc une marge de sécurité uniquement liée aux biens immobiliers. Ce qui est bien maigre compte tenu de la spécialisation industrielle de nombreux bâtiments de notre société vosgienne.

Il est clair que seul un retour aux bénéfices conjugué à une augmentation de capital pérenniserait la survie de Gantois… a moins qu’un nouvel actionnaire avec un projet industriel rachète à bon prix les titres de Baulder II, l’actionnaire majoritaire d’Outre-manche. Cette dernière possibilité permettrait peut être de valoriser un quelconque savoir-faire de Gantois.

Attendons maintenant les prochains communiqués de presse ainsi que la publication du rapport du premier semestre 2010 pour voir ce qu’est devenu notre massacre boursier !

Portefeuille au 16 Juillet 2010 : 1 an et 234 Jours

Cliquez sur les tableaux pour les agrandir
  • Portefeuille : 82.360,20 € (Frais de courtage et de change inclus)
  • Rendement Total : 409,49%
  • Rendement Annualisé : 169,71%
  • Rendement 2010 : 29,42%
  • Rendement 2009 : 308,74%
  • Taux de Rotation Annualisé : 82,42%
  • % Frais Annualisé : 2,08%
  • Effet Devise Total : 3,99%

  • Tracker ETF Lyxor MSCI World : 21.427,78 € (Frais de courtage inclus et dividende réinvesti)
  • Rendement Total : 30,99%
  • Rendement Annualisé : 17,88%
  • Rendement 2010 : 4,08%
  • Rendement 2009 : 29,82%
* Nous rappelons que ce portefeuille est un investissement réel

Performance mensuelle du portefeuille depuis sa création

L’équipe des daubasses se renforce !

Nous avons le grand plaisir de vous annoncer, cher lecteur, l’arrivée parmi nous d’un apport de choix. Il s’agit de notre ami Franck, membre tout comme nous du groupe « Valeur et Conviction » et « fondateur-rédacteur » du blog Valeur et Profit.

Nous avons toujours apprécié l’approche de Franck, aussi « deep value » que nous.

Il apportera une « french touch » à l’équipe avec, entre autre, des analyses de sociétés françaises qui, si elles ne répondent pas toutes à nos critères « daubasses », présentent des valorisations suffisamment attrayantes pour qu’on se penche sur leur cas. Certaines de ces analyses seront proposées sur ce blog et d’autres ne seront accessibles que via la zone premium réservées à nos abonnés.

Ses compétences ne s’arrêtant pas là, il collaborera aussi avec nous  à la rédaction des divers articles du blog, à la traque à la daubasse et élèvera le niveau d’ensemble de notre équipe. Nous espérons, cher lecteur et cher abonné, que ce « petit plus » sera très enrichissant pour vous… dans tous les sens du terme.

Question des lecteurs : quel « diviseur » utilisez-vous pour calculer les valeurs par actions ?

Nous n’allons pas faire patienter Olivier plus longtemps quant à ses interrogations au sujet des possibles dilutions auxquelles peuvent être soumis l’évaluateur.  Voici la question qu’il nous posait, il y a maintenant un bon mois et demi.

Concernant le nombre d’actions que vous retenez pour faire vos analyses sur une société donnée, que choisissez-vous?

Le nombre d’actions composant le capital social en fin d’exercice ou le nombre moyen pondéré (dilué ou pas?) d’actions ordinaires en circulation? Est-ce que vous déduisez ensuite les actions propres ou pas?

Comment tenir compte des éventuels plans de stock-options et autres attributions gratuites ou encore des obligations convertibles ?

Tout d’abord la partie la plus simple : comme nous travaillons sur base de la situation patrimoniale de la société, c’est le nombre d’actions ordinaires existantes que nous prenons en compte.  Diviser le patrimoine de l’entreprise entre ses différents associés, c’est effectivement la solution de bon sens.  Dans un premier temps, nous ne tenons donc pas compte du nombre « dilué » d’actions puisque nous travaillons toujours sur le présent et non sur le futur.

Est-ce à dire qu’il nous faut ignorer les possibles dilutions que pourraient subir les actionnaires ?  Évidemment que non.

Mais tout d’abord, c’est quoi exactement une dilution ?

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