The coffee can portfolio : savoir s’ennuyer en bourse ! 😴

The coffee can portfolio ou pourquoi s’ennuyer en bourse est un atout

La patience est souvent considĂ©rĂ©e comme une vertu essentielle pour atteindre la sagesse et la rĂ©ussite. On dit que « la patience est la mĂšre de toutes les vertus » ou encore que « tout vient Ă  point Ă  qui sait attendre ». S’il est bien un domaine oĂč ces expressions prennent tout leur sens, c’est celui de la bourse et des marchĂ©s financiers.

Pourtant, beaucoup d’investisseurs, qu’ils soient dĂ©butants ou expĂ©rimentĂ©s, se focalisent trop souvent sur les performances et les rĂ©sultats Ă  court terme (et on ne parle mĂȘme pas des dĂ©rives liĂ©es Ă  des plateformes de trading comme Robinhood qui vous promettent monts et merveilles en un temps record
). Malheureusement, la quĂȘte de rĂ©sultats rapides et spectaculaires conduit bien souvent Ă  faire de mauvais choix. Avoir les yeux rivĂ©s sur le cours de ses actions est un autre travers qui risque Ă©galement de semer des doutes dans la tĂȘte d’un investisseur. D’autant plus si ses achats n’ont pas fait l’objet d’un minimum de travaux de recherche et d’analyse au prĂ©alable.

Bien sĂ»r, il nous arrive aussi d’ĂȘtre tiraillĂ©s par des incertitudes, des questionnements. Ce n’est pas faute d’avoir Ă©tabli des rĂšgles strictes qui dĂ©crivent prĂ©cisĂ©ment les dĂ©cisions que nous devrions prendre. Parfois, hĂ©las, cela ne suffit pas et les Ă©motions peuvent refaire surface. La satisfaction de sĂ©curiser une « belle » plus-value peut ĂȘtre plus grande que celle d’appliquer Ă  la lettre un process rigide et ennuyeux. Et c’est bien connu, un tient vaut mieux que deux tu l’auras


La nature humaine serait ainsi faite
(?)

Il semblerait. Et les investisseurs particuliers ne sont pas les seuls concernĂ©s. Bien souvent, les professionnels de la finance le sont davantage, car en plus des biais propres Ă  tout individu, ils peuvent aussi ĂȘtre sujets Ă  d’autres biais cognitifs (on vous parle depuis des annĂ©es de finance comportementale sur le blog). Qu’il s’agisse de faire aussi bien que leurs petits copains, de battre un indice ou encore d’assurer leurs (c)arriĂšres, la tentation d’agir et de prendre des dĂ©cisions qui ne soient pas uniquement dictĂ©es par un process rationnel, est omniprĂ©sente.

Pour Ă©viter de cĂ©der Ă  tout biais de la sorte, Robert Kirby, qui fut l’un des gĂ©rants du fonds Capital Group (l’un des plus grands fonds de pension au monde) pendant 40 ans, proposa en 1984 dans le Journal of Portfolio Management une approche pour le moins radicale : « the coffee can portfolio », littĂ©ralement le « portefeuille boĂźte Ă  café ».

 

« The coffee can »     

Le concept de « coffee can » remonte Ă  l’époque du far west, lorsque les Ă©pargnants entreposaient leurs biens de valeur dans une boĂźte Ă  cafĂ© qu’ils cachaient sous leur matelas. Le succĂšs du programme dĂ©pendait entiĂšrement de la sagesse et de la clairvoyance avec lesquelles les objets avaient Ă©tĂ© choisis.

AppliquĂ©e au domaine de la bourse, l’idĂ©e est simple : trouvez les meilleures actions et n’y touchez pas pendant 10 ans ! Cette approche vous fera faire de belles Ă©conomies de frais de courtage et d’impĂŽts. Mais l’intĂ©rĂȘt principal n’est pas lĂ . L’efficacitĂ© de ce modĂšle tient surtout au fait qu’il va vous protĂ©ger de vos pires instincts.

Pour illustrer ses propos, R. Kirby relate une anecdote tirée de son expérience personnelle qui lui a ouvert les yeux sur la force de la stratégie « coffee can ».

Au milieu des annĂ©es 50, alors qu’il Ă©tait gestionnaire pour une sociĂ©tĂ© de conseil en investissement, une de ses clientes dont il avait gĂ©rĂ© les avoirs depuis plus de 10 ans, le contacta suite au dĂ©cĂšs de son mari. Elle avait hĂ©ritĂ© des actifs financiers de ce dernier et souhaitait en confier la gestion Ă  Kirby.

Lorsque Kirby reçut la liste des titres dĂ©tenus par le mari, il fut amusĂ© de voir que l’époux de madame avait secrĂštement rĂ©pliquĂ© les recommandations du fonds pour son portefeuille personnel. À une diffĂ©rence prĂšs
 Il n’avait jamais tenu compte des recommandations de vente. Il avait simplement investi 5,000$ dans chacune des recommandations du fonds Ă  l’achat. Il se contentait ensuite de dĂ©poser le certificat d’achat dans son coffre-fort et l’oubliait.

Son portefeuille avait une allure assez Ă©trange. Il dĂ©tenait un grand nombre de petites lignes d’une valeur de 2,000$ ou infĂ©rieure. Il avait plusieurs lignes importantes dont la valeur excĂ©dait les 100,000$. Enfin, il dĂ©tenait une super ligne qui valait plus de 800,000$ et qui Ă  elle seule dĂ©passait le reste du portefeuille. Cette ligne venait d’un investissement modeste dans une sociĂ©tĂ© appelĂ© Haloid, qui prendra quelques annĂ©es plus tard le nom de Xerox !

 

Allonger son horizon d’investissement

Cet exemple montre bien comment le « coffee can portfolio » peut nous protĂ©ger de nous-mĂȘmes. Avec cette approche, vous n’ĂȘtes plus tentĂ© de consulter les cours de vos actions au quotidien puisque vous n’achetez que des titres que vous ĂȘtes prĂȘts Ă  conserver au moins 10 ans. Grand bien vous fasse ! Comme le disait Benjamin Graham :

« In the short run, the market is a voting machine but in the long run, it is a weighing machine. »

Autrement dit, Ă  court terme le marchĂ© ne reflĂšte pas la valeur rĂ©elle d’une entreprise. Vous gagnez donc Ă  ne pas vous soucier des fluctuations des cours sur des pĂ©riodes de quelques semaines ou quelques mois.

Oubliez Ă©galement les derniĂšres news et prĂ©visions macro-Ă©conomiques. PIB, inflation, chĂŽmage
 tout cela ne vous prĂ©occupe guĂšre dĂ©sormais ! Dans 10 ans, nul doute que la situation Ă©conomique sera bien diffĂ©rente de celle d’aujourd’hui.

Tout cela paraĂźt simple, mais en pratique, Ă©videmment, ça ne l’est pas. Pourquoi ? Car beaucoup d’investisseurs ne sont pas prĂȘts Ă  voir la taille de leurs investissements fondre de 60 ou 80% ou Ă  l’inverse auront du mal Ă  conserver une ligne dont la valeur s’est apprĂ©ciĂ©e rapidement de 50%, 100% ou 200% et plus !

Pourtant, il s’agit d’un passage obligatoire pour espĂ©rer « gagner gros ». Mais mĂȘme les meilleurs investisseurs peuvent parfois ĂȘtre enclin Ă  vendre trop tĂŽt, comme le rappelle Christopher Mayer dans son livre 100 bagger, Stocks that return 100-to-1 and how to find them.

 Pour exemple, il cite un extrait de la lettre annuelle de Berkshire de 1995 :

« Buffett Partnership (le partenariat crĂ©Ă© par Warren Buffett alors qu’il n’avait que 25 ans) avait achetĂ© des titres Disney Ă  un cours de 0,31$ en 1966. À l’époque, la sociĂ©tĂ© Ă©tait valorisĂ©e 90 millions de dollars, soit moins de 5x son rĂ©sultat avant impĂŽt et prĂ©sentait une situation de trĂ©sorerie nette positive. Un choix d’investissement brillant puisqu’en 1995, le titre s’échangeait Ă  66$ (212x plus qu’en 1966 !). À un dĂ©tail prĂšs. Le titre avait Ă©tĂ© cĂ©dĂ© en 1967 Ă  0,48$ aprĂšs un gain rapide de 55%. »

Autre exemple citĂ© par Mayer : Pfizer. Le titre s’est effondrĂ© entre 1946 et 1949 puis entre 1951 et 1956. Pourtant, les investisseurs qui auraient conservĂ© le titre de 1942 Ă  1972 auraient vu leur investissement ĂȘtre multipliĂ© par 141. Sur 30 ans, cela reprĂ©sente un retour annualisĂ© de +18,0%. PlutĂŽt pas mal, non ?

DĂ©tenir des titres sur une pĂ©riode de 30 ans peut sembler extrĂȘme. Le temps et la puissance des intĂ©rĂȘts composĂ©s seront toutefois vos principaux alliĂ©s si vous espĂ©rez dĂ©multiplier la valeur de vos placements.

Christopher Mayer, qui a identifiĂ© 365 titres dont le cours a Ă©tĂ© multipliĂ© par 100 ou plus entre 1962 et 2014, a dĂ©terminĂ© qu’il avait fallu en moyenne 26 ans pour faire x100 et une majoritĂ© de ces titres ont mis 16 Ă  30 ans pour cocher la case 100-bagger.

Source : 100 baggers, Christopher Mayer (2015)

Alors, ĂȘtes-vous prĂȘts Ă  conserver vos titres 10, 15 ou 30 ans ?

 

Conclusion

Le concept de « coffee can » peut sembler un peu surrĂ©aliste dans un monde de la finance qui vit au rythme des publications trimestrielles, des tweets et des prĂ©visions dont l’horizon ne dĂ©passe guĂšre quelques mois. Dans ce contexte, conserver ses titres pendant 10 ans sera un sacerdoce pour une grande majoritĂ© d’investisseurs.

Pour nos daubasses cet horizon de temps nous semble Ă©galement un peu trop long. Nous achetons avant tout des dĂ©cotes sur actifs et nous estimons qu’il faut en moyenne 2 Ă  5 ans pour que le marchĂ© sorte ses lunettes et corrigent ses excĂšs. Dans les faits, la durĂ©e de dĂ©tention moyenne d’une ligne est d’un peu plus de 2 ans.

Un horizon de temps plus long (10 ans ou plus) convient Ă  des titres avec un fort potentiel de croissance sur le long terme. C’est d’ailleurs l’un des facteurs principaux que Christopher Mayer met en avant dans son livre. Toute la difficultĂ© Ă©tant bien sĂ»r d’identifier a priori les sociĂ©tĂ©s qui vont connaĂźtre des niveaux de croissance soutenue sur une pĂ©riode de plusieurs annĂ©es ou de plusieurs dĂ©cennies. On espĂšre bien sĂ»r que nos sociĂ©tĂ©s de croissances pas chĂšres (nos RAPP) font partie de ce lot.

L’idĂ©e du « coffee can » nous paraĂźt  intĂ©ressante pour prendre un peu de hauteur, accepter plus facilement les soubresauts des marchĂ©s et cultiver cette vertu essentielle qu’est la patience, ne rien faire, s’ennuyer.

N’oubliez pas, cher(e)s lecteur(ice)s :

 

« Patience et longueur de temps font plus que force et que rage »

Jean de la Fontaine

Pour approfondir le sujet, nous vous proposons 3 articles Ă  (re)lire :

Sur les vertus de la patience 


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