Les ratios de valorisation 🔢🧐

[édito proposé aux abonnés dans la Lettre mensuelle de mai 2022]

« Un cynique, c’est quelqu’un qui connait le prix de tout et la valeur de rien. » Oscar Wilde

 

Nous utilisons les ratios de valorisation de maniĂšre courante et presque automatique dans nos analyses. Prenons le temps d’expliquer pourquoi et comment les interprĂ©ter.

De nos ratios « maisons » (VANN, VANE) aux ratios plus « conventionnels », comme le ratio cours / bĂ©nĂ©fices (PER = price earnings ratio) ou le ratio valeur d’entreprise / rĂ©sultat opĂ©rationnel (VE/EBIT) 
, nous vous proposons de revenir sur la dĂ©finition de ces indicateurs financiers et sur leur utilisation.

Certains investisseurs achĂštent un titre uniquement dans l’espoir qu’un autre investisseur leur propose un prix supĂ©rieur dans le futur. Sans analyse. Cela n’a Ă©videmment aucun sens. Ce serait comme jouer au jeu des chaises musicales. Gare Ă  vous lorsque la musique s’arrĂȘte.

Loin de ces tentations spĂ©culatives, le seul Ă©lĂ©ment qui justifie d’acheter une action selon nous est la diffĂ©rence entre la valeur intrinsĂšque et la valeur de marchĂ©. Nous cherchons Ă  optimiser cette diffĂ©rence sur les marchĂ©s financiers. Ce qu’on appelle la marge de sĂ©curitĂ©.

Pour identifier les titres décotés et faire une estimation de leur valeur intrinsÚque nous avons besoin des ratios de valorisation.

 

Les ratios daubasses

Si vous nous suivez depuis un certain temps, vous connaissez ces ratios par cƓur. Pour ceux qui viennent de nous rejoindre, voici quelques rappels.

Les ratios de valorisation daubasses (VANN et VANE) se calculent Ă  partir du bilan. Cette spĂ©cificitĂ© leur confĂšre une plus grande stabilitĂ© dans le temps. En rĂšgle gĂ©nĂ©rale, les chiffres du bilan sont moins volatils que ceux du compte de rĂ©sultat. Le bilan est le reflet du passĂ© de l’entreprise et des bĂ©nĂ©fices accumulĂ©s au cours du temps. Le compte de rĂ©sultat ne reprĂ©sente quant Ă  lui que la performance d’une pĂ©riode de 12 mois (un exercice) et celle-ci peut changer complĂ©tement d’une annĂ©e Ă  l’autre.

 

  1. Le ratio VANN (Valeur d’Actif Net-Net)

La valeur d’actif net-net se calcule de la maniùre suivante :

VANN = Actifs courants – dettes – intĂ©rĂȘts minoritaires

Les actifs courants sont composĂ©s principalement de la trĂ©sorerie, des crĂ©ances clients et des stocks. La VANN est une valorisation conservatrice d’une sociĂ©tĂ© puisqu’elle ne tient pas compte de ses actifs non courants (terrains, immeubles, titres de participation, 
) ni de tous les actifs intangibles difficilement valorisables : savoir-faire, relation fournisseur, relation avec les clients, marques, 
 Tout ceci est offert.

Le ratio VANN se calcule simplement en effectuant l’opĂ©ration suivante :

Ratio VANN = prix de l’action / VANN par action

Lorsque ce ratio est infĂ©rieur Ă  0,7x, cela signifie que le marchĂ© nous offre un rabais d’au moins 30% sur l’actif courant net de toutes dettes. Une entreprise qui coche ce critĂšre peut prĂ©tendre au titre de ‘net-net’ dans le portefeuille daubasses. Avec cette marge de sĂ©curitĂ©, nous savons que nous obtenons une belle ristourne sur la valeur des actifs courants. Bien entendu cela ne prĂ©sage en rien de la performance future de l’investissement, mais notre achat est couvert pas des actifs palpables acquis au rabais.

Notons également que lorsque le délais de rotation des stocks ou des créances augmente de plus de 20% sur un exercice par rapport à la moyenne des 3 derniers exercices, nous prenons une marge de sécurité supplémentaire dans notre calcul de la VANN.

Un ralentissement de la rotations des stocks peut ĂȘtre un signe que l’entreprise aura du mal Ă  les Ă©couler. Mieux vaut donc ĂȘtre plus prudent dans ce cas. MĂȘme principe si les crĂ©ances clients gonflent en proportion du chiffre d’affaires. Cela peut ĂȘtre un signe que ces crĂ©ances seront plus difficilement recouvrĂ©es.

 

  1. Le ratio VANE (Valeur d’Actif Net Estate)

La VANE est dĂ©rivĂ©e de la VANN. En plus de la valeur des actifs courants, nous tenons compte dans son calcul de la valeur de l’immobilier. Avec le mĂ©canisme comptable des amortissements, souvent celle-ci ne transparaĂźt pas dans le bilan de maniĂšre fidĂšle Ă  la rĂ©alitĂ© Ă©conomique.

Ces actifs immobiliers sont pourtant parmi les plus facilement négociables et identifiables en cas de mise en liquidation de la société. Il serait dommage de passer à cÎté.

L’évaluation du patrimoine immobilier

Les immeubles qu’une sociĂ©tĂ© acquiert pour les besoins de son exploitation sont, comme la plupart des actifs immobilisĂ©s, « amortis » c’est-Ă -dire que l’on diminue leur valeur d’actif chaque annĂ©e d’un montant censĂ© reprĂ©sentĂ© son « usure ». Suivant le type d’immeuble, ceux-ci sont amortis sur des durĂ©es pouvant varier entre 10 et 30 ans.

Ainsi, si une sociĂ©tĂ© fait l’acquisition d’un immeuble et l’amortit sur 30 ans, sa valeur comptable au bout de 30 ans sera Ă©gale Ă  0. Économiquement, vous l’aurez compris, cela ne fait pas toujours sens
 mais les normes comptables sont ainsi faites. Au bout de 30 ans, le terrain et les murs du siĂšge social d’une entreprise (par exemple celui de Bic ?) dans une grande ville ne valent pas 0 ! On peut mĂȘme penser qu’en 30 ans, ce genre d’actifs peut s’apprĂ©cier. Tant mieux, cela augmente notre marge de sĂ©curitĂ© puisque nous ne tenons compte d’aucune apprĂ©ciation potentielle des terrains et immeubles dans notre calcul.

Pour corriger un peu cette aberration (comptable vs. valeur Ă©conomique rĂ©elle), nous retenons la valeur d’acquisition historique dans notre calcul de la VANE plutĂŽt que la valeur comptable.

Par prudence nous diminuons cette valeur d’acquisition d’une marge de sĂ©curitĂ© de 20%.

AprĂšs avoir dĂ©terminĂ© la valeur historique de l’immobilier, nous pouvons calculer notre VANE :

VANE = VANN + 80% de l’immobilier en valeur historique

La valeur historique de l’immobilier figure dans le tableau des immobilisations. Il faut aller chercher l’information dans les annexes des comptes, ce qui fait du ratio VANE un indicateur un peu à part et que l’on ne retrouve pas sur les sites d’informations financiùres.

Lorsque le ratio VANE (= prix de l’action / VANE par action) est infĂ©rieur Ă  0,7x, l’entreprise est Ă©ligible au titres de ‘net-estate’. Cela signifie que le marchĂ© nous propose d’acheter le titre avec un rabais d’au moins 30% sur la valeur de ses actifs courants et de son immobilier, le tout net de l’ensemble des dettes.

 

  1. Valeur d’actif net et valeur d’actif net tangible (VANT)

La valeur d’actif net est Ă©gale Ă  la totalitĂ© de l’actif moins la totalitĂ© des dettes. Il s’agit des ressources propres de l’entreprise, Ă©galement appelĂ©es fonds propres ou capitaux propres.

La valeur d’actif net est utilisĂ©e dans le calcul du ratio de cours sur fonds propres (price-to-book), souvent abrĂ©gĂ© P/B. Ce ratio permet de comparer la valeur comptable des actifs d’une entreprise et son prix de marchĂ© boursier.

La Valeur d’Actif Net Tangible (VANT) est une notion un peu plus stricte que la valeur d’actif net.

L’actif net tangible se calcule Ă  partir de la valeur de l’actif net de laquelle on dĂ©duit les actifs « que l’on ne peut pas toucher », c’est-Ă -dire le goodwill (Ă©cart d’acquisition) et les immobilisations incorporelles. C’est une valorisation plus conservatrice, les actifs immatĂ©riels Ă©tant exclus.

Le ratio VANT (= prix de l’action / VANT) ne constitue pas directement un critĂšre d’achat pour nos daubasses, comme les ratios VANN et VANE. En revanche, la VANT correspond Ă  notre objectif de cours pour les valeurs net-net et net-estate (ou 80% de celle-ci pour les valeurs japonaises). Nous considĂ©rons en effet que la VANT est le prix minimum qu’un acquĂ©reur dĂ©bourserait pour acquĂ©rir l’entiĂšretĂ© d’une de nos entreprises.

Les ratios VANN et VANE sont les plus intuitifs et les plus faciles à comprendre. Leur utilisation permet de dénicher des actifs tangibles au rabais.

 

Les ratios de flux

Nous avons vu les ratios que nous utilisons pour valoriser une entreprise uniquement Ă  partir de son bilan. Cette approche est particuliĂšrement adaptĂ©e pour les entreprises avec une capacitĂ© bĂ©nĂ©ficiaire faible ou nĂ©gative, mais elle n’est pas pertinente pour les sociĂ©tĂ©s qui gĂ©nĂšrent des flux importants.

Les ratios de flux sont principalement Ă©tablis Ă  partir de l’EBITDA, du rĂ©sultat opĂ©rationnel (EBIT) ou du rĂ©sultat net.

Ces flux sont rapportĂ©s Ă  la valeur de marchĂ© qui peut ĂȘtre dĂ©finie de deux maniĂšres :

– la capitalisation boursiĂšre = cours de l’action (x) nombre d’actions qui composent le capital de la sociĂ©tĂ©)

– la valeur d’entreprise = capitalisation boursiĂšre (+) dette nette de l’entreprise

Lorsque l’on utilise les ratios de valeur de marchĂ© / flux, il faut s’assurer que le numĂ©rateur et le dĂ©nominateur sont dĂ©finis de maniĂšre cohĂ©rente.

Si le numĂ©rateur est un indicateur de valeur pour l’actionnaire, ce devra Ă©galement ĂȘtre le cas du dĂ©nominateur. C’est le cas du PER. Le numĂ©rateur (= prix de l’action) correspond Ă  la capitalisation boursiĂšre (= valeur pour l’actionnaire) et le dĂ©nominateur (= rĂ©sultat net par action) correspond Ă  la part du rĂ©sultat qui revient Ă  l’actionnaire.

Pour le ratio VE/EBITDA, le numĂ©rateur et le dĂ©nominateur sont Ă©galement comparables car tous les deux reprĂ©sentatifs de l’ensemble des actifs de l’entreprise. La valeur d’entreprise mesure la valeur de marchĂ© des actifs (capitalisation boursiĂšre + dette) et l’EBITDA correspond au flux de trĂ©sorerie gĂ©nĂ©rĂ© par ces actifs.

À l’inverse, le ratio prix / EBITDA n’est pas pertinent puisque l’on compare la valeur de marchĂ© des seuls fonds propres (sans la dette) avec la performance opĂ©rationnelle des actifs de l’entreprise (dont une partie a pu ĂȘtre financĂ©e par de la dette).

 

  1. Le ratio cours sur bénéfices (PER ou Price Earnings Ratio)

PER = Prix de l’action / BĂ©nĂ©fice par action

Le PER permet de se faire une idĂ©e du niveau de valorisation d’une entreprise de maniĂšre simple. Il suffit de diviser le prix de l’action par le bĂ©nĂ©fice par action. Par exemple, une entreprise qui rĂ©alise un bĂ©nĂ©fice par action de 5 EUR et dont le cours de bourse est de 75 EUR a un PER de 15 (75/5).

Autrement dit, cela signifie que le rendement attendu par l’actionnaire, en supposant que le bĂ©nĂ©fice soit constant dans le temps, est de 6% par an (1/15) ou qu’il faudra 15 ans de bĂ©nĂ©fices pour retrouver la valeur de son investissement.

Le niveau du PER sera fonction de plusieurs facteurs et notamment :

  • la croissance attendue : une croissance attendue Ă©levĂ©e justifie de payer un multiple de PER plus Ă©levĂ©
  • le niveau de risque : plus une entreprise est perçue comme risquĂ©e, plus le retour attendu est Ă©levĂ© et donc plus le PER est faible
  • le taux sans risque (= taux d’intĂ©rĂȘt dont la rentabilitĂ© est certaine sur une pĂ©riode donnĂ©e) : plus le taux sans risque augmente, plus le retour attendu pour les actions augmente (en supposant que la prime de risque reste inchangĂ©e) et donc plus le PER est faible

Le PER est simple d’utilisation mais il comporte plusieurs Ă©cueils :

  • le prix de l’action (au numĂ©rateur) ne tient pas compte de la structure financiĂšre de la sociĂ©tĂ©. Cela signifie que deux entreprises avec le mĂȘme PER peuvent ĂȘtre dans une situation financiĂšre complĂštement diffĂ©rente. L’une peut ĂȘtre assise sur des montagnes de cash alors que l’autre est criblĂ©e de dettes.
  • le bĂ©nĂ©fice par action (au dĂ©nominateur) peut inclure des artifices comptables ou des Ă©lĂ©ments non rĂ©currents (des dĂ©prĂ©ciations d’actifs par exemple) et donc donner une image biaisĂ©e de la capacitĂ© bĂ©nĂ©ficiaire « courante » de l’entreprise.
  • enfin, il existe diffĂ©rentes variantes du PER. Il peut ĂȘtre calculĂ© sur le rĂ©sultat du dernier exercice, des 12 derniers mois glissants, de la prĂ©vision n+1
 Il convient toujours de comparer ce qui est comparable.

Pour illustrer cette distorsion à laquelle peut conduire l’utilisation du PER, prenons comme exemple la derniùre publication annuelle d’Orange.

En 2021, l’entreprise a publiĂ© un rĂ©sultat net part du groupe de 233 M EUR, soit un bĂ©nĂ©fice par action de 233 / 2 660* = 0,09 EUR.

*le capital est composĂ© de 2 660 millions d’actions

Au cours actuel (autour de 11,60 EUR – cours lors de la parution de l’Ă©dito pour nos abonnĂ©s), le ratio cours/bĂ©nĂ©fices 2021 d’Orange est donc de :

11,60 / 0,09 = 129x. Un niveau trĂšs Ă©levĂ© qui n’incite Ă©videmment pas Ă  l’achat.

NĂ©anmoins, ce chiffre est biaisĂ© car le rĂ©sultat 2021 est plombĂ© par des pertes de valeur pour un montant de 3 719 M EUR. Ces charges ne prĂ©sentent pas un caractĂšre rĂ©curent et le rĂ©sultat 2021 ne reflĂšte pas la capacitĂ© bĂ©nĂ©ficiaire normative de l’entreprise.

L’utilisation du ratio cours/bĂ©nĂ©fices en l’état n’est donc pas pertinente. En l’espĂšce, on pourra retraiter le rĂ©sultat net pour tenir compte des Ă©lĂ©ments exceptionnels ou utiliser un autre indicateur, comme le ratio ‘valeur d’entreprise / EBITDAal’ (VE/EBITDAal). L’EBITDAal n’inclut pas les pertes de valeur et sera donc plus reprĂ©sentatif des flux de l’entreprise en situation « normale ».

Commentaire sur les moyennes :

Il convient d’ĂȘtre vigilant lorsque l’on compare le PER d’une entreprise au PER moyen d’un secteur. Quand le rĂ©sultat d’une entreprise est nĂ©gatif, le PER n’est pas pertinent car il est nĂ©gatif lui aussi. En regardant le PER moyen d’un secteur, on risque d’avoir une vision biaisĂ©e du fait que les entreprises avec un PER nĂ©gatif ont gĂ©nĂ©ralement Ă©tĂ© exclues de l’échantillon. La moyenne du secteur est ainsi surestimĂ©e. Elle peut l’ĂȘtre Ă©galement lorsque les PER sont faussĂ©s par des Ă©lĂ©ments non rĂ©currents comme nous l’avons vu avec l’exemple d’Orange. Le PER 2021 de 129x en l’état gonfle artificiellement la moyenne du secteur (sur la base du rĂ©sultat 2020 qui ne comprenait pas de dĂ©prĂ©ciations d’actifs, le PER est de l’ordre de 6x, un niveau plus proche de la rĂ©alitĂ© du secteur).

Pour toutes ces raisons, nous utilisons le PER avec parcimonie. Nous lui prĂ©fĂ©rons les ratios de valeur d’entreprise / rĂ©sultat opĂ©rationnel (EBIT) ou valeur d’entreprise / EBITDA.

 

  1. Le ratio valeur d’entreprise / rĂ©sultat opĂ©rationnel (VE/EBIT)

Le ratio VE/EBIT présente deux avantages majeurs par rapport au PER :

  • La valeur d’entreprise (VE) correspond Ă  la capitalisation boursiĂšre + la dette nette. Elle a l’avantage de tenir compte de la situation financiĂšre de l’entreprise (son endettement et sa trĂ©sorerie).
  • Le rĂ©sultat opĂ©rationnel (EBIT = earnings before interest and taxes) fournit une mesure plus normative de la capacitĂ© bĂ©nĂ©ficiaire de l’entreprise que le rĂ©sultat net. De maniĂšre gĂ©nĂ©rale, il exclut les Ă©lĂ©ments exceptionnels (dĂ©prĂ©ciation d’actifs, cession d’une filiale, 
). Il exclut Ă©galement le rĂ©sultat financier (notamment le coĂ»t de la dette) et l’impĂŽt.

Le ratio VE/EBIT permet ainsi de mettre sur un pied d’égalitĂ© deux entreprises qui n’ont pas le mĂȘme niveau d’endettement et de taxation.

Commentaire :

Cas particulier d’une valeur d’entreprise nĂ©gative (oui, nous en avons plusieurs dans le Portefeuille daubasse 2 !)

Une valeur d’entreprise nĂ©gative signifie que la trĂ©sorerie nette est supĂ©rieure Ă  la capitalisation boursiĂšre. Le ratio VE/EBIT reprĂ©sentant le nombre d’annĂ©es de rĂ©sultat opĂ©rationnel nĂ©cessaires pour rĂ©cupĂ©rer le montant de l’investissement, il n’a pas de sens lorsqu’il est nĂ©gatif puisque vous rĂ©cupĂ©rez en quelque sorte votre mise dĂšs l’achat.

Une situation attractive pour un chasseur de bonnes affaires, mais elle peut bien entendu refléter des difficultés opérationnelles. Dans ce cas, les ratios du bilan que nous avons vu précédemment seront généralement une bonne alternative.    

 

  1. Le ratio valeur d’entreprise / EBITDA (VE/EBITDA)

Le ratio VE/EBITDA est assez proche du ratio VE/EBIT. Seul le dénominateur change.

L’EBITDA (earnings before interest, taxes, depreciation and amortization) est le rĂ©sultat avant intĂ©rĂȘts, impĂŽts, amortissements et dĂ©prĂ©ciations.

Il permet de corriger certaines divergences liées aux normes comptables, notamment dans les cas suivants :

  • deux entreprises amortissent des actifs de mĂȘme nature sur des durĂ©es diffĂ©rentes. Prenons un exemple :

L’entreprise A amortit ses installations techniques d’une valeur de 150 000 EUR sur 10 ans. Elle va constater des amortissements annuels de 150 000 / 10 = 15 000 €/an. L’entreprise B amortit des actifs similaires sur 15 ans. Elle constatera un amortissement annuel de 150 000 / 15 = 10 000 €/an. Le rĂ©sultat opĂ©rationnel (utilisĂ© pour le calcul du ratio VE/EBIT) et le rĂ©sultat net (utilisĂ© pour le calcul du ratio cours/bĂ©nĂ©fices) de A sont pĂ©nalisĂ©s du fait d’une charge d’amortissement annuelle plus Ă©levĂ©e. La comparaison du ratio VE/EBIT et du PER entre A et B sera donc biaisĂ©e.

  • une entreprise rencontre des difficultĂ©s opĂ©rationnelles ou voit ses perspectives se dĂ©tĂ©riorer ce qui la conduit Ă  dĂ©prĂ©cier des actifs de maniĂšre ponctuelle (cf. l’exemple d’Orange plus haut)

L’EBITDA prĂ©sente aussi un intĂ©rĂȘt lorsque la politique d’amortissement ne reflĂšte pas la perte de valeur Ă©conomique des actifs. Parmi nos PĂ©pites PEA, on pense notamment Ă  Gaumont qui a dĂ©jĂ  eu la main lourde sur les amortissements de son catalogue de films.

Comme tous ratios, le ratio VE/EBITDA prĂ©sente aussi ses limites. Depuis la mise en Ɠuvre de la norme IFRS 16 le 1er janvier 2019, il convient d’ĂȘtre vigilant dans son utilisation.

Cette nouvelle norme comptable a eu un impact significatif sur l’EBITDA des entreprises qui ont largement recours Ă  la location de biens et matĂ©riel (plus d’informations Ă  ce sujet dans cet Ă©dito). Dans ce cas, il convient d’effectuer un retraitement pour calculer un EBITDA qui tient compte du paiement des loyers.

Il arrive que certaines entreprises publient un EBITDA dĂ©jĂ  retraitĂ©. C’est le cas d’Orange qui publie un ‘EBITDAal’ (= Earnings Before Interest, Taxes, Depreciation and Amortization after leases), autrement dit un EBITDA aprĂšs « paiement » des loyers. Dans ce cas, il n’est pas nĂ©cessaire d’effectuer de retraitement.

 

Les facteurs qui influent sur les multiples de valorisation

Quels sont les facteurs qui conduisent à des changements dans les multiples de valorisation ?

Qu’est ce qui explique que deux entreprises d’un mĂȘme secteur peuvent ĂȘtre valorisĂ©es de maniĂšre diamĂ©tralement opposĂ©e ? Par exemple, comment expliquer que Stellantis s’échange sur la base d’un ratio cours/bĂ©nĂ©fices de l’ordre de 3x alors que Tesla, une entreprise qui elle aussi vend des engins Ă  4 roues est valorisĂ©e par le marchĂ© prĂšs de 180x ses bĂ©nĂ©fices 2021 (?).

Notons d’abord que les multiples de valorisation d’un marchĂ© Ă©voluent au cours du temps.

Le tableau ci-dessous présente le PER moyen et le PER médian des entreprises américaines entre 2000 et 2010.

PER moyen et médian des entreprises américaines de 2000 à 2010 The little book of valuation (A. Damodaran)

Sur cette période de 10 ans, le PER médian annuel a connu un plus haut à 24,55 en 2000 et un plus bas à 9,8 en 2009, soit un rapport de 1 à 2,5x.

Une action avec un PER de 15 pouvait ĂȘtre jugĂ©e attractive en 2008 (mĂ©diane de 18), chĂšre en 2009 (mĂ©diane de 10) et Ă  son prix en 2010 (mĂ©diane de 15).

Un ralentissement Ă©conomique, une Ă©volution des taux d’intĂ©rĂȘt ou un changement de la perception du risque par les investisseurs sont autant de facteurs qui peuvent conduire Ă  des changements dans les multiples de valorisation.  

Lorsque les taux d’intĂ©rĂȘts sont bas, les marchĂ©s actions en profitent et les ratios cours/bĂ©nĂ©fices augmentent. C’est le fameux « TINA » (There Is No Alternative = il n’y a pas d’alternative aux actions). Avec des taux d’intĂ©rĂȘt au plancher ces derniĂšres annĂ©es, cet adage prĂ©valait pour justifier des niveaux de valorisation toujours plus Ă©levĂ©s.

Lorsque les taux d’intĂ©rĂȘt remontent, les marchĂ©s actions deviennent relativement moins attractifs par rapport Ă  des placements sans risque (obligations d’État). Les investisseurs vont donc exiger un rendement bĂ©nĂ©ficiaire (earnings yield) supĂ©rieur pour les actions (Ă  prime de risque Ă©gale).

Prenons un exemple. Nous faisons les hypothÚses suivantes :

  • la prime de risque est de 4%. Cette prime reprĂ©sente la rĂ©munĂ©ration du risque pris par l’investisseur lorsqu’il fait le choix d’investir sur le marchĂ© actions plutĂŽt que sur un placement sans risque
  • le taux sans risque (taux d’obligation des États Ă  10 ans) passe de 1% Ă  2%

(i) Taux sans risque Ă  1%

Rendement bénéficiaire attendu = 1% + 4% = 5%

Un rendement bénéficiaire attendu de 5% implique un PER de 1/0,05 = 20

(ii) Taux sans risque Ă  2%

Rendement bénéficiaire attendu = 2% + 4% = 6%

Un rendement bénéficiaire attendu de 6% implique un PER de 1/0,06 = 16,6

Dans cet exemple, la hausse du taux sans risque de 1% Ă  2% entraine une baisse du multiple de valorisation de 17%.

De la mĂȘme maniĂšre, une aversion au risque plus forte (craintes sur l’environnement Ă©conomique ou gĂ©opolitique, sur les rĂ©sultats futurs, 
) entraĂźnera :

  • une hausse de la prime de risque (les investisseurs vont exiger un rendement supĂ©rieur pour prendre le risque d’investir sur le marchĂ© action)
  • une hausse du rendement bĂ©nĂ©ficiaire attendu pour les actions
  • une baisse des multiples de valorisation

Ces facteurs (croissance Ă©conomique, taux d’intĂ©rĂȘt et aversion pour le risque) expliquent l’évolution des multiples de valorisation d’un marchĂ© au niveau global.

Au niveau de l’entreprise, ce sont principalement ses perspectives de croissance et son niveau de risque qui vont impacter ses multiples de valorisation. Le sentiment de la communautĂ© financiĂšre Ă  l’égard d’un titre (ou d’un secteur) peut Ă©galement peser dans la balance, parfois de maniĂšre complĂ©tement disproportionnĂ©e (cf. la bulle sur les valeurs technologiques en 2021).

Cela va sans dire, mais une entreprise qui affiche une forte croissance et prĂ©sente un risque modĂ©rĂ© doit ĂȘtre valorisĂ©e Ă  des multiples supĂ©rieurs Ă  ceux d’une entreprise avec une croissance faible et un risque Ă©levĂ©.

Commentaire :

Deux entreprises comparables sont idĂ©alement des entreprises qui prĂ©sentent le mĂȘme potentiel de croissance et le mĂȘme niveau de risque, mĂȘme si elles n’opĂšrent pas dans le mĂȘme secteur. À l’inverse, comparer la valorisation de deux entreprises d’un mĂȘme secteur n’est pas judicieux si celles-ci n’ont pas les mĂȘmes perspectives de croissance et le mĂȘme niveau de risque.

 

Calculer une valorisation cible Ă  partir de ratios

La moyenne historique peut servir de premier repĂšre pour dĂ©terminer un multiple de valorisation cible. Si le marchĂ© a dĂ©jĂ  valorisĂ© une entreprise Ă  un multiple donnĂ© par le passĂ©, on peut supposer qu’il le fera Ă  nouveau. C’est ce qu’on appelle le retour Ă  la moyenne.

Cela implique bien sĂ»r que l’environnement Ă©conomique n’ait pas changĂ© radicalement et que la situation de l’entreprise et ses perspectives soient similaires Ă  ce qu’elles Ă©taient historiquement.

Le recours au comparable (=appliquer un ratio de valorisation d’une entreprise qui prĂ©sente un profil similaire) peut aussi servir de boussole Ă  condition, comme nous l’avons vu, que les entreprises soient suffisamment proches pour que la comparaison soit pertinente.

Le choix des multiples doit Ă©galement tenir compte des perspectives futures et du niveau de risque. De notre cĂŽtĂ©, on prĂ©fĂšre ĂȘtre prudent en ce qui concerne la croissance. De maniĂšre gĂ©nĂ©rale, nous la considĂ©rons plutĂŽt comme une cerise sur le gĂąteau. On sait que les dirigeants ont tendance Ă  la surestimer, en particulier dans les jeunes entreprises.

Il ne faut pas tomber dans le piĂšge de certains biais mentaux car tout exercice de valorisation comporte sa part d’affect. L’analyse d’une entreprise se fait rarement Ă  partir d’une page complĂ©tement blanche et on se forge souvent une opinion avant mĂȘme d’avoir analysĂ© le moindre chiffre. Un dirigeant charismatique, une note Ă©logieuse d’un analyste ou la promesse de rĂ©volutionner un marchĂ© peuvent biaiser notre perception et conduire Ă  un excĂšs d’optimisme qu’il faut savoir tempĂ©rer.

 

Conclusion

Le sujet est vaste et il y aurait encore beaucoup Ă  dire. Nous avons Ă©voquĂ© les ratios de valorisation les plus courants, mais il en existe de nombreuses variantes. Les sites d’information financiĂšre ne sont pas avares en la matiĂšre.

Bien souvent, les idĂ©es les plus simples sont pourtant les meilleures. C’est bien de vouloir mettre un maximum de chances de son cĂŽtĂ© en triturant une grande quantitĂ© de donnĂ©es, mais qui dit plus de donnĂ©es dit Ă©galement plus de sources d’erreurs potentielles.

Surtout, il ne faut pas oublier que la valorisation d’entreprise est tout sauf une science exacte. On est loin de la physique ou des mathĂ©matiques. Les valorisations boursiĂšres dĂ©pendent d’un trĂšs grand nombre de facteurs dont l’évolution est souvent complĂ©tement imprĂ©visible. En matiĂšre de valorisation (et comme toujours en matiĂšre d’investissement), l’humilitĂ© est de mise car comme le disait l’économiste amĂ©ricain Alan Greenspan : « il vaut mieux ĂȘtre Ă  peu prĂšs juste que prĂ©cisĂ©ment faux. »

Une rĂ©flexion au sujet de « Les ratios de valorisation 🔢🧐 »

  1. Super ! Je ne connaissais pas les ratios VANN, VANE et VANT! C’est bien vu! On sait qu’il y a des actifs cachĂ© dans les entreprises comme dirait Peter lynch, mais je ne connaissais pas de ratios pour les mettre en Ă©vidence
    J’aime bien votre dĂ©marche de dire : on ne connait pas l’avenir, la croissance est une cerise sur le gĂąteau.
    C’est malheureusement souvent l’inverse qui est fait, on est accro a la croissance parce que c’est plus excitant mais pas rationnel…
    Ça explique aussi pourquoi vous n’utilisez pas la mĂ©thode DCF (Discounted Cash Flow) pour dĂ©terminer le coĂ»t j’imagine ? Elle est aussi trĂšs approximative et basĂ©e sur la croissance…

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