Les chroniques de l’investisseur chronique : Une approche de l’investissement en actions

chronique investisseurCe texte fait partie de la série proposée par notre ami-chroniqueur Laurent Muller.

Même si nous ne partageons pas tout-à-fait les mêmes principes d’investissement, nous nous sommes trouvés énormément de points communs et les raisonnements développés par Laurent nous ont paru marqués par le sceau du bon sens.

Il nous a semblé intéressant de vous faire profiter de ces raisonnements et c’est la raison pour laquelle Laurent tiendra, sur ce blog et à intervalles réguliers, une chronique présentant ses principes d’investissement.

Ce sera l’occasion de débattre avec l’équipe des daubasses mais aussi avec vous, ami( e) lecteur(trice) des sujets qui seront développés par notre ami.

 

J’ai listé dans cet article quelques règles que j’utilise pour mes investissements en actions. Je ne prétends pas que cette méthode soit la meilleure et n’engage que moi.

Une vision personnelle

Il faut se faire sa propre opinion sur l’entreprise cible. Ne pas suivre (aveuglément) l’opinion des autres.

Investir dans des entreprises qui gèrent leur argent de la même manière que soi. Découle de ce principe un endettement qui doit être inférieur aux capitaux propres, dans mon cas.

 

Une approche de la valorisation d’une action

Comment calculer la valeur d’une entreprise ? Chercher les invariants. Quels sont les chiffres d’une entreprise globalement stables, d’une année à l’autre ? Le bilan d’une entreprise est généralement assez stable d’une année à l’autre, sauf opérations spéciales sur le capital ou endettement par exemple. Le compte de résultats est trop volatil et correspond à une dérivée. C’est donc sur la base du bilan que je cherche la valeur de l’entreprise. Chercher des entreprises au bilan globalement stable (ou en progression), sur les 5 dernières années. Ne pas acheter des entreprises qui font systématiquement un déficit sur les 5 dernières années par exemple. Préférer des actions qui viennent de passer dans le rouge, il y a plus de chance que la tempête ne soit que passagère.

La valeur d’une entreprise doit être calculée de manière conservatrice. Quelle est la valeur qui reviendrait aux actionnaires, en cas de faillite ? Ne pas rêver, en cas de faillite, rien ne reviendra aux actionnaires, mais c’est simplement pour fixer les idées, théoriquement. Les daubasses expliquent plusieurs méthodes rationnelles pour y parvenir.

 

Déficits

Ne pas être effrayé par les déficits ponctuels. Vérifier tout de même le ratio déficit sur CA et déficit sur capitaux propres. S’inquiéter des déficits récurrents sur des périodes longues.

 

Niveau de chiffre d’affaire

Chercher des entreprises qui ont un CA globalement égal au bilan et qui ne varie pas trop (ou qui augmente) sur les 5 dernières années.

 

Capitalisation boursière

Une entreprise dont la capitalisation boursière vaut entre 5 et 10 % du total du bilan peut révéler une aberration du marché.

 

Rendement

Considérer le rendement (et non uniquement la plus-value), surtout si vous pouvez l’obtenir pour rien. Imaginons une entreprise qui payait régulièrement un dividende à un certain niveau. Lorsqu’une crise arrive, elle arrête le paiement de ce dividende. Une fois la crise terminée, elle paiera à nouveau un dividende grosso modo dans l’ordre de grandeur du dividende historique, ce qui serait alors un catalyseur de la hausse. Si, lors de la crise, j’identifie par exemple un rendement potentiel futur de, par exemple, 10 %, c’est un élément positif à prendre en compte, toute chose égale par ailleurs dans l’analyse valeur qui reste mon premier critère de choix.

 

Croissance

S’il est possible d’obtenir pour rien de la croissance potentielle, en plus de la valeur, c’est un élément positif, toute chose égale par ailleurs, au niveau de l’analyse valeur.

 

Manipulation des chiffres au bilan

Ne pas croire aveuglément les chiffres présentés au bilan: une entreprise a d’autant plus intérêt à manipuler les chiffres de son bilan qu’ils sont mauvais. Imaginons que l’entreprise ait un endettement x 10 par rapport à ses capitaux propres. Il est tentant de maquiller les chiffres en essayant de faire apparaître, mettons, un x 5. Mais quel serait l’intérêt pour une entreprise ayant un endettement de x 2 de maquiller ses dettes ?

 

Pink sheets

Ne pas acheter d’actions qui ont un prix inférieur à 1 euro (marché FR) ou 1 dollar (marché US), seuil psychologique. Les actions cotant en-dessous de ce prix correspondent généralement à des cas particuliers (par exemple marché OTC) et je préfère donc pour ma part m’abstenir d’acheter ces situations spéciales. Si une action achetée à un prix supérieur à 1 descend en-dessous de 1, ce n’est pas un motif suffisant pour vendre, cependant.

 

Effet de mode.

Est-ce que l’entreprise est victime d’un effet de mode négatif ? HAST:US et BAMM:US sont typiquement dans ce domaine, au 16/11/2013. Une entreprise du même secteur a fait faillite, rendez-vous compte ! En réalité, cette faillite était liée à la mauvaise gestion financière de l’entreprise et non à l’avènement du livre numérique. Qui profitera de cette faillite si ce ne sont les autres entreprises du secteur ? J’anticipe que le live numérique ne va pas se substituer le livre papier dans les 20 années à venir, par exemple. Certes, il le supplantera probablement à très long terme, mais je ne vois pas une transition rapide du papier vers numérique (qui est à ce stade plutôt un complément). Et HAST:US et BAMM:US peuvent également s’adapter à la nouvelle donne en trouvant d’autres produits à vendre ou d’autres business model.

 

Choix sectoriel

J’évite les secteurs moralement discutables comme les industries d’armement, Tepco au plus bas ou autre… J’évite généralement les secteurs à la mode ou qui font rêver : l’aéronautique, l’espace, les valeurs technologiques, les valeurs biotechnologiques, la pharmacie, le solaire, etc… Je préfère une entreprise bien obscure mais au business rodé, sans surprise (le problème des technologiques et pharmaceutiques est notamment que leur business model dépend d’innovations non prévisibles). Par exemple, je serais naturellement tenté d’acheter une entreprise dans le domaine du recyclage d’huile de vidange : elle a l’air sale, elle rebute et elle ne doit pas sentir bon mais elle cache sans doute un business solide bien rodé, bien huilé et sans surprises. J’évite les banques que je ne sais pas évaluer. Je pense que la valeur des banques découle fortement de leur image. Autrement dit, si Mr Market est dépressif sur une banque, il peut réellement la tuer, alors que dans d’autres domaines (industrie), il n’y a pas de rapport direct entre le cours d’une action et l’activité réelle sous-jacente (hors introduction en bourse ou augmentation de capital).

 

Analyse graphique

Le titre de cette rubrique est volontairement provocateur. Je ne me sens pas l’âme d’un analyste graphique.

Observer la courbe historique de prix des actions candidates – échelle de temps de 15 ans – (tenir compte des augmentations de capital, dans le raisonnement) :

  • Est-ce que l’entreprise se trouve au prix historique le plus bas ?
  • Est-ce que l’action a atteint plusieurs fois les niveaux de prix de notre objectif de vente ?
  • Est-ce que le ratio maximum sur minimum est important ?
  • Est-ce que la courbe a connu plusieurs cycles repassant par des extremums ou descend-elle de manière continue ? Une « belle » courbe est typiquement celle d’HAST:US au 16/11/2013 (un potentiel de x 4 semble possible).

 

Stop limite

A l’achat, ne pas acheter en plaçant un stop limite, mais acheter les lignes à la vente du carnet d’ordre quitte à pousser le titre violemment à la hausse (surtout sur les aberrations de marché). Le prix à payer pour l’opportunité manquée peut être important, dans le cas inverse. Ne pas optimiser ses entrées, vu le potentiel attendu.

Vendre sur base de stop au prix du potentiel estimé (ou alors placer un stop suiveur par exemple à 15 % sous le prix maximum de l’action pour suivre la tendance, si l’on pense au feeling qu’elle peut se prolonger).

 

Suivre les actions vendues

Surveiller les entreprises dont on a vendu les titres. Leur cours pourrait redescendre en-dessous du cours d’achat donc redevenir des opportunités.

 

Money management

Adopter des règles de money management : <Référence à l’article 06 sur les règles de money management>

 

Type d’ordre

Ne prendre que des positions longues (pas de vente à découvert). Se positionner à l’achat permet d’avoir un risque de perte limité (le montant investi, en cas de faillite), mais un potentiel de hausse illimité, sans coût lié au facteur temps. Ne pas acheter des actions avec un levier.

 

Savoir rester liquide

Si aucune opportunité n’est trouvée sur le marché, ne pas acheter. Cette décision peut être difficile à prendre. Acheter uniquement des entreprises respectant globalement les critères qualitatifs, quitte à attendre.

 

Liquidité

Ne pas investir dans des actions trop peu liquides, c’est-à-dire où le volume d’échange représente par exemple 1/10ème du montant que l’on souhaite investir. Essayer de ne pas multiplier ses lignes. J’ai un peu plus d’une dizaine de lignes, par soucis de diversification (si une action fait faillite, cet évènement ne m’affectera pas particulièrement).

 

Espérance mathématique

Croire en ses investissements, même si leur prix baisse, lorsque l’analyse indique une espérance mathématique positive. Sauf découverte théorique qui change fondamentalement la donne. Ne pas céder à la panique.

 

Eléments positifs divers

Voir d’un bon œil les rachats d’actions, une entreprise familiale, la présence de la Financière de l’Echiquier, de Bestinver, d’Amiral Gestion ou de Tocqueville au capital.

 

Objectif de vente

Lorsqu’une entreprise s’approche de l’objectif de vente, il n’est pas nécessaire d’atteindre strictement cet objectif s’il existe de meilleures opportunités sur le marché. En effet, le potentiel d’une action proche de son objectif est mécaniquement très inférieur au potentiel d’une nouvelle action achetée, vu l’écart entre le prix et la valeur. Faire tourner le portefeuille pour essayer de maximiser le potentiel.

 

Tensions entre prix et valeur

Prendre conscience de l’effet des exponentielles sur les marchés: voir par exemple un + 10 % sur une courbe, lorsqu’elle est proche des plus bas et le même + 10 % lorsqu’elle est proche des plus hauts (graphiquement et vraisemblablement psychologiquement pour certains acteurs du marché, il s’agit d’un bond énorme alors qu’il s’agit du même pourcentage de variation). Le prix d’une action est attaché à sa vraie valeur par un élastique : plus il est tendu et plus le potentiel et la force de retour vont être violents, dans les deux sens. A la baisse, l’élastique peut se rompre : c’est la faillite !

 

Contexte global des marchés

Considérer également des indicateurs globaux de marché: niveau du VIX, niveau de l’indice de référence par rapport à son dernier plus haut, niveau de l’indice de référence par rapport à son plus haut historique, etc… Utiliser ces indicateurs principalement pour détecter les moments où l’on trouvera le plus d’opportunités d’actions ayant une divergence entre prix et valeur importante et il vaudra mieux rester liquide.

 

Investir à long terme

Ne pas avoir besoin de l’argent investi dans les 20 prochaines années.

 

Portefeuille

Vérifier son portefeuille 15 minutes tous les jours, par exemple, après la clôture des marchés (suivre en particulier les actions qui s’approchent de leur potentiel, regarder les éléments exceptionnels éventuels : augmentation de capital, OPA, une suspension de cours, etc…). Vérifier une fois par an les éléments nouveaux (nouveaux rapports financiers) mais pas nécessairement immédiatement quand le rapport sort puisque nous nous basons sur des données a priori assez stables (invariants), d’une année sur l’autre, pour évaluer l’entreprise. Ce qui prend du temps, c’est plutôt d’identifier de nouvelles pépites et étudier les rapports annuels des entreprises sélectionnées / filtrage. Ce qui prend également du temps, c’est se construire un modèle théorique comme celui-ci. Faites vos devoirs avant d’acheter.

 

Conclusion

Comme j’estime ne pas être capable de prévoir le prix futur des actions, sur base des prix ou volumes passés, j’essaie d’identifier des divergences entre prix et valeur et me positionne à l’achat lorsque la divergence est importante pour avoir une marge de sécurité et une espérance mathématique positive pour mon investissement.

In fine, le non respect d’un critère n’est pas rédhibitoire, il faut à mon sens considérer un dossier dans sa globalité