Panique à bord !

[édito proposé à nos abonnés dans la lettre mensuelle d’avril 2023]

La Silicon Valley Bank s’est mise en faillite le 10 mars dernier. Il s’agit de la plus grosse défaillance de banque américaine depuis celle de Lehman Brothers en 2008 et la 2ème plus importante de l’histoire des États-Unis. Elle a fait craindre un risque de contagion à l’ensemble du système financier et provoqué un petit vent de panique sur les marchés.

Cette banque californienne a été mise en difficulté en raison de la hausse des taux d’intérêt et de sa forte exposition aux start-up de la tech. Face au resserrement monétaire, nombre d’entre elles ont dû utiliser leurs liquidités pour faire face à leur dépenses courantes. Dans ce contexte, la banque a dû liquider une partie de ses actifs pour satisfaire aux demandes de retrait de ses clients.

Le problème est que les dépôts de la Silicon Valey Bank étaient principalement investis en bons du Trésor américain (obligations d’état) à maturité longue, les plus sensibles au risque de hausse de taux. La remontée des taux d’intérêt au cours des derniers mois a conduit à une baisse de la valeur de ces placements. [Quand les taux d’intérêt augmentent, la valeur des obligations diminue car les investisseurs vendent leurs anciennes obligations pour en acheter de nouvelles avec un taux d’intérêt plus élevé.]

Ces ventes forcées ont entrainé une perte de 1,8 milliards de dollars pour la Silicon Valey Bank. La banque a cherché à lever des fonds pour se renflouer. En vain. Incapable de faire face aux demandes de retrait de ses clients, elle n’a eu d’autre choix que de se mettre en faillite.

La banque centrale américaine a rapidement mis en place une facilité d’accès d’urgence à des liquidités pour éteindre l’incendie et éviter un risque de contagion. Cette intervention a permis de restaurer la confiance sur les marchés, au moins temporairement.

Dans ce mouvement de panique (bankrun), la Silicon Balley Bank s’est retrouvée à la merci de ses clients. Mais le resserrement monétaire et la remontée des taux d’intérêt risquent aussi de mettre les sociétés les plus endettées à la merci des banques. Le moment nous a donc semblé opportun pour revenir sur les notions de risque et de solvabilité, et de faire un point sur la situation financière des sociétés de nos deux portefeuilles maintenant que la plupart d’entre elles ont publié leurs résultats 2022.

Risque et bêta

En finance, la notion de risque est souvent associée au coefficient bêta. Le bêta mesure la volatilité du prix d’un actif par rapport à celle d’un marché financier. Les actifs avec un bêta élevé sont ceux dont le prix va davantage s’apprécier dans un marché haussier et davantage baisser dans un marché baissier. En raison de leur volatilité plus importante, les actions avec un bêta élevé sont jugées plus risquées que les actions avec un faible bêta.

Le problème est que le bêta ne mesure le niveau de risque que du point de vue de l’évolution historique du prix et ne prend pas en compte les fondamentaux de l’entreprise, ses perspectives et sa valorisation.

Nous pensons au contraire que la volatilité peut être un allié de l’investisseur. La variation du cours des actions résulte uniquement des choix des intervenants sur le marché. Ces choix peuvent être influencés par des émotions, des projections plus ou moins réalistes, des interprétations erronées de nouvelles qui touchent de près ou de loin la vie de l’entreprise, …

Ces biais humains peuvent conduire à des situations irrationnelles et créer autant de point d’entrée et de sortie opportunistes. De notre point de vue, le bêta est donc un mauvais indicateur du niveau de risque d’un investissement.

Le ratio de solvabilité

Dans le cadre de notre process d’investissement pour le Portefeuille daubasses 2, le risque est appréhendé au travers de notre ratio de solvabilité. Pour rappel, nous le calculons de la manière suivante :

Fonds propres / (Total bilan – Liquidités et placements de trésorerie)

Il nous permet de calculer dans quelle mesure une entreprise est autonome vis-à-vis des tiers pour financer ses activités.

Notre process prévoit d’écarter les sociétés qui présentent un ratio de solvabilité inférieur à 40%.

 

Portefeuille daubasses 2

À ce jour et depuis notre vente du titre Plastivaloire, toutes les sociétés du Portefeuille daubasses 2 (hors foncières pour lesquelles le ratio loan-to-value est plus approprié) répondent à notre exigence minimale de 40%.

Inutile de préciser que la note que nous attribuons (sauf exception, de manière mécanique) est purement indicative. Le ratio de solvabilité fournit uniquement une information sur la structure du bilan et l’autonomie vis-à-vis des tiers à un instant ‘t’ et il est important de ne pas le surinterpréter.

Nos net-net américaines ([masqué], [masqué], [masqué], [masqué]) affichent un niveau de solvabilité très élevé car elles sont assises sur des montagnes de liquidités. Elles se sont donc vue attribuées notre meilleur note en matière de risque (3/3). Il ne faut pourtant pas perdre de vue que ces daubasses réalisent des pertes chroniques et consomment leur trésorerie à plus ou moins grande vitesse. Leur ratio de solvabilité peut donc se dégrader rapidement.

À l’inverse, [masqué] présente le plus faible ratio de solvabilité du portefeuille (47% = note de 1), mais l’entreprise affiche des marges confortables et dispose d’un patrimoine immobilier caché. Elle est propriétaire de 60% de son immobilier (murs de magasins et entrepôts) et celui-ci est amorti dans les comptes. Ces amortissements minimisent la valeur des fonds propres ce qui entraine mécaniquement une baisse du ratio de solvabilité. Pour autant, le groupe dispose d’un collatéral tangible qui réduit son profil de risque. Sa solvabilité « réelle » est donc meilleure que sa solvabilité « comptable ».

Avec un ratio minimal de 47% et un ratio médian de 100%, les sociétés du Portefeuille daubasses 2 nous semblent à ce jour bien armées pour traverser une éventuelle crise de liquidités.

Le seul mouton noir du portefeuille est vraisemblablement [masqué]. Cette société fait actuellement face à une défiance du marché en raison de ses importantes échéances financières à l’horizon 2025-2027.

 

Portefeuille Pépites PEA

Le Portefeuille Pépites PEA est géré de manière plus souple et le ratio de solvabilité n’y est pas un critère d’exclusion. Nous sommes malgré tout regardant sur la solidité financière des entreprises qui entrent dans le portefeuille et nous tenons compte du ratio de solvabilité pour établir notre note de risque :

[masqué] et [masqué] affichent les plus faibles ratios de solvabilité du portefeuille. (respectivement 8% et 27%). Ces deux sociétés opèrent dans le secteur de la distribution grand public. Le passif de leur bilan présente deux particularités propres à ce secteur :

– des dettes de location (boutiques, magasins, entrepôts, …) significatives. Depuis la mise en œuvre de la norme IFRS 16, les sociétés ayant recours à la location ont vu leur bilan s’alourdir. Mécaniquement, leur ratio de solvabilité a baissé. Nous avions abordé ce sujet dans cet ancien édito.

– un encours fournisseur élevé. L’encours fournisseur de [masqué] représente 59% de ses fonds propres (au 30.06.2022) et celui de [masqué] 575% (au 30.11.2022). Ces encours sont nécessaires pour financer leurs stocks.

Malgré un faible ratio de solvabilité, elles affichent régulièrement une situation de trésorerie nette positive. C’était le cas de [masqué] au 30 novembre 2022 et de [masqué] au 31 décembre 2021. Leur situation de trésorerie dépend fortement de l’évolution de leur besoin en fonds de roulement, mais leur dépendance vis-à-vis des banques est plus limitée que l’on pourrait le penser. Pour tenir compte de cette particularité, nous leur avons attribué une note de ‘1’ au lieu de ‘0’ si nous avions strictement appliqué notre échelle de notation.

Ces distributeurs de produits grand public s’exposent en revanche à un risque de dépréciation de leurs stocks en cas de ralentissement brutal de la demande. C’est surtout le cas de [masqué], dont les produits « gris » et « brun » peuvent rapidement devenir obsolètes. Cette dépréciation n’aurait pas d’impact sur la trésorerie, mais elle viendrait minorer la valeur des fonds propres ce qui réduirait un peu plus encore le ratio de solvabilité. Avec un délais de rotation de 95 jours au 30 novembre 2022 (stock au plus haut à l’approche des fêtes), le niveau de stock de [masqué] semble toutefois sous contrôle.

[masqué] et [masqué] suivent dans le classement des sociétés avec le plus faible ratio de solvabilité. [masqué] a vu sa dette financière augmenter de 64 millions d’euros en 2022, à 103% des capitaux propres. Dans le même temps, la dette de [masqué] s’est envolée de 105 millions d’euros à 124% des capitaux propres. La situation opérationnelle de [masqué] est toutefois moins préoccupante que celle de [masqué]. [masqué] a vu son résultat net basculer dans le rouge à -15 millions d’euros quand [masqué] a publié un bénéfice record de +22 millions d’euros.

Le ratio dette / EBITDA (Earnings Before Interest, Taxes, Depreciation, and Amortization) donne une idée du nombre d’années d’EBITDA nécessaires pour le remboursement de la dette. Il est de 2,6x pour [masqué] contre 15x pour [masqué] (et 8x sur la base de l’EBITDA moyen des 10 dernières années). [masqué] devrait donc être en mesure de rembourser sa dette beaucoup plus rapidement que [masqué]. Pour tenir compte de cette situation et malgré un même ratio de solvabilité, nous avons attribué une note de ‘1’ à [masqué] et de ‘0’ à [masqué].

[masqué] affiche un ratio de solvabilité de 31% au 30 juin 2022. Ce levier résulte d’un endettement financier (80% des fonds propres), d’un encours fournisseurs important et de dettes de location significatives. Cependant, le groupe génère des flux de trésorerie solides et récurrents (la capacité d’autofinancement annualisée du 1er semestre 2022 couvre 40% de la dette financière nette) et dispose d’un important collatéral immobilier amorti dans les comptes. Nous lui avons ainsi attribué une note de ‘2’.

Le ratio de solvabiltié de [masqué] est au même niveau que celui de [masqué]. La situation financière de [masqué] s’est dégradée au cours de l’exercice 2022 (ratio de solvabilité en baisse de 9 points) après une année noire pour le groupe. La perte comptable de l’exercice (-37,9 millions d’euros) a fortement impacté les fonds propres. [masqué] affiche malgré tout une situation de trésorerie nette positive (+42 millions d’euros). Son levier résulte principalement d’un encours fournisseurs élevé, une caractéristique propre à ce secteur.

Les autres sociétés du Portefeuille Pépites PEA affichent un ratio de solvabilité supérieur à 40% et leur situation financière ne nous paraît pas préoccupante.

 

Conclusion

Le ratio de solvabilité permet d’écarter les entreprises les plus fragiles. Toutefois, vous aurez compris que s’arrêter uniquement à la lecture de ce ratio serait une erreur. Il donne une idée de la structure générale du bilan, mais aucune indication quant à la nature des dettes (dette financière, encours fournisseur, dette locative, …). Il ne tient par ailleurs absolument pas compte des flux de l’entreprise, ni d’un éventuel collatéral immobilier amorti.

Le ratio de solvabilité est un excellent indicateur de la capacité de l’entreprise à faire face à ses engagements sur le court terme, car il inclut dans sa formule l’essentiel : le levier (= fonds propres / total bilan), ainsi que la trésorerie disponible.

[masqué] et [masqué], malgré la qualité de leurs collatéraux tangibles, pourraient avoir des difficultés à liquider à la hâte leur actifs en cas de besoin urgent de trésorerie. Il est toujours moins facile de  bien négocier quand on est pressé. Alors qu’une entreprise avec le même niveau de solvabilité, mais dont le collatéral est plus liquide (comme du cash ou des placements financiers), s’en sortira les doigts dans le nez.

Sur le long terme, le ratio de solvabilité est moins pertinent. On pense en effet que [masqué] et [masqué], malgré leur ratio de solvabilité 5x et 8x fois plus faible que celui de [masqué] (respectivement 47% et 31% vs. 232%) ont plus de chance de survivre car elles affichent des bénéfices récurrents contre des grosses pertes pour [masqué].

Le ratio de solvabilité est un premier filtre, mais il est nécessaire de le croiser avec d’autres données. Il n’en reste pas moins notre principal garde-fou pour éviter les canards boiteux et un bien meilleur indicateur du risque d’une action que son coefficient bêta.

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