L’histoire de Lord Roger Tichborne ou comment se protéger des biais psychologiques

Inspiré du travail de James Montier

Sir Roger Tichborne était le neuvième homme le plus riche d’Angleterre.

En 1854, Sir Roger a été signalé comme disparu en mer. Sa mère refusait de croire que c’était son fils, celui qu’elle avait amoureusement élevé en France, qui était parti pour toujours… Elle continua à mener des enquêtes et à demander des nouvelles de son fils à qui voulait l’entendre.

Douze ans après la disparition de Sir Roger, il sembla que les prières de Lady Tichborne furent entendues. Elle reçut une lettre d’un avocat australien lui réclamant une indemnité pour avoir retrouvé son fils. La lettre expliquait qu’après son naufrage, Sir Roger avait finalement refait sa vie en Australie où il s’impliqua dans de nombreux business alors qu’il avait fait vœux de pauvreté pour avoir été miraculeusement rescapé. Malheureusement, les affaires ne fonctionnèrent pas aussi bien qu’espérées et il avait été trop gêné de contacter sa mère après ses mésaventures.

Cependant, il avait récemment remarqué qu’elle enquêtait sur sa disparition et il était désormais plein de remords de ne pas avoir donné de nouvelles depuis toutes ces années. La lettre concluait avec une demande d’envoi de fonds afin de payer les frais de voyages de Sir Roger, de sa femme et de ses enfants. Lady Tichborne fut ravie de recevoir ces nouvelles et envoya rapidement la somme demandée pour permettre à la famille de se réunir.

Quand Sir Roger arriva en Angleterre, il fut reçu par Lady Tichborne comme son fils disparu et lui versa une bourse annuelle de 1 000 livres sterlings.

Néanmoins, toute la famille Tichborne n’était pas convaincue que ce nouvel arrivant était réellement Sir Roger. Après tout, avaient-ils raisonné, Sir Roger avait été un homme agile d’une petite ossature, or le nouvel arrivant était incroyablement obèse. Même si les gens peuvent changer de poids, il est assez rare que leurs tatouages disparaissent – Sir Roger en avait, « le nouveau » aucun. Il n’est pas non plus facile de changer la couleur de ses yeux – sir Roger avait les yeux bleus, « le nouveau » les yeux marrons. Il était également plus grand d’un pouce (2,54 cm) que Sir Roger, ne parlait pas français – Sir Roger parlait français -, et avait une marque de naissance sur le torse que n’avait pas Sir Roger.

Comment fit lady Tichborne pour ignorer cette évidence ? Ce fut seulement après sa mort que la famille démontra au grand jour que cet australien était un imposteur. Il dut alors purger dix ans pour imposture et faux témoignage.

Tout investisseur devrait garder en mémoire cette histoire. C’est un exemple poussé à l’extrême de notre tendance à ne percevoir que les informations qui soutiennent nos hypothèses.

Comment l’équipe des Daubasses se protège du biais de confirmation ?

Tout d’abord, tout biais psychologique est fortement contrarié grâce à une chose : notre style d’investissement. En effet, notre approche patrimoniale est objective. Nous achetons des net-net, VANE et autres types de daubasses, uniquement quand les ratios – les chiffres – nous l’autorisent. Ce sont dans les statuts du club. Et pour la vente, idem, c’est automatique : dès que le cours d’un titre atteint la valeur des fonds propres tangibles, nous passons notre premier Stop Loss et nous le montons au fur et à mesure de la monté du titre jusqu’à exécution. Ainsi, aucun « avis » ou autre pollution subjective ne viennent entraver notre politique de gestion. C’est pourquoi, il y a peu de chances de s’enflammer sur un titre en appliquant nos règles à la lettre.

Ensuite, la famille daubasses est composé de centaines d’investisseurs aguerris. Il est possible que l’on s’emballe pour une valeur et ne voit que des atouts… Pour un individu, c’est envisageable. Deux en même temps, c’est plus rare. Des centaines à la fois, quasiment impossible. Que tous les abonnés et lecteurs soient subjugués par les qualités d’un titre sans voir les réels problèmes, cela semble plus que compliqué. Nous faisons tous nos devoirs et laissons parler les chiffres. Ce travail semi-collaboratif protège toute la communauté d’un trop fort optimisme et  permet de détecter les canards boiteux. Un bon exemple peut être le cas de Hallwood. Lors d’un premier coup d’œil, la société avait attiré l’œil de l’un d’entre nous : peu de dettes, du cash, de l’immobilier et de très gros profits ! Le tout sur un marché réglementé. D’autres membres de l’équipe font alors remarquer qu’à l’époque, avec une capitalisation de 32 M USD, la société avait en fait des litiges en cours qui pouvaient déboucler sur un montant global de plus de 200 M USD pour rupture de contrat, abus de confiance, négligences et déclarations trompeuses… entre autres. Nous avons donc passé notre chemin.

Enfin, quand bien même, nous serions unanimement convaincus par la décote et le potentiel exceptionnel d’un titre, nous serions limités dans notre achat encore une fois par notre approche normée. Nous ne pouvons pas investir massivement sur une seule et unique valeur car il est clairement stipulé dans nos statuts, que chaque titre, lors de son achat, ne peut représenter une part supérieure à 3,33% de l’ensemble du portefeuille. Nous ne pouvons donc tomber dans cette folie de « croire » en un titre, dans ses perspectives… et se retrouver finalement floués. Ou alors uniquement pour la quote-part investie. Cependant, du fait de notre sélection rigoureuse sur la solvabilité, nous n’avons jusqu’à présent jamais connu de faillite.

Nous ne « croyons » pas dans les sociétés dans lesquelles nous plaçons nos billes… nous croyons uniquement dans la qualité des actifs (cash, immobilier, créances, …) détenus par ces sociétés. Nous pensons que Mr. le marché ne valorise ce patrimoine que pour une bouchée de pain, et que tôt ou tard, il finira par ouvrir les yeux.

C’est bel et bien une aberration du marché qui explique cet écart entre prix (le montant qui est payé) et valeur (constitué par les actifs de l’entreprise nets de toutes dettes). Tant que le marché nous offrira de telles ristournes, nous sommes confiants dans notre capacité à réaliser une performance satisfaisante à long terme..

4 réflexions au sujet de « L’histoire de Lord Roger Tichborne ou comment se protéger des biais psychologiques »

  1. « Nous ne croyons pas dans les sociétés dans lesquelles nous plaçons quelques billes… nous croyons uniquement dans la qualité des actifs »:
    Voilà une vision bien péjorative de l’investissement mes amis. Il est vrai qu’il faut s’appuyer sur la qualité des actifs mais il faut aussi croire dans les sociétés dans lesquelles on investit car en cas de faillite on est souvent perdant. Les actifs sont bradés ou vendu d’une façon que l’on juge mauvaise sauf si nous avons des parts suffisantes nous permmettant de dirigier et d’orchestrer cette liquidation. C’est ce que fit 4 ou 5 fois W.Buffet et ce ne fut pas si simple.

    Votre phrase reflète bien la pensée de Graham mais Buffet en s’appuyant sur la pensée de Fisher ou Lynch l’a quelque peu dépassée et améliorée en apprennant qu’il faut voir plus que les actifs dans une entreprise, Buffet a souvent misé en plus sur un homme, une tête pensante (Geico,Salomon (qui fut ici une erreur),Blue Chip)ou sur une image de marque, un « esprit »(Coca,Amex,WP).

    Tout ce que je voulais dire c’est qu’il faut « diversifier » un minimum nos optiques d’investissement et ne pas viser qu’à 100% les capitaux propres et la pensée de BG. (la diversification à tout point de vue est nécessaire comme nous l’a rappelé Madoff…)

    1. Bonjour T,

      Toutes les approches de l’investissement sont respectables pour peu qu’elles soient rationnelles et réfléchies mais il faut aussi qu’elle soit en adhéquation avec les objectifs, le tempéramment et surtout les compétences de l’investisseur. Pour notre part, si nous pensons que valoriser une entreprise sur base de ses actifs est à la portée de la plupart des investisseurs (et donc aussi modestement à notre portée), nous pensons aussi que bien peu d’investisseurs sont réellement capables d’évaluer une direction, une marque ou même, plus simplement une barrière contre la concurence. Soit ces avantage sont évidents et dans ce cas vous les payez au juste prix, soit ils ne sont pas si évidents mais alors, il faut … être un expert pour les repérer et les valoriser.

      Ceci dit, nous reviendrons sur Buffett dans les prochains jours suite à notre lecture du « snowball » et vous verrez que, contrairement à ce qui est généralement admis, Buffett a toujours fait de la daubasse, non seulement à ses débuts dans les années 50 mais tout au long de sa carrière et même encore plus récemment. Et l’image de l’investisseur qui dort sur des blue ship sans se soucier du prix d’acquisition nous semble à tout le moins réductrice voir carrément erronnée.

      Quant à la diversification, vous prêchez des convaincus : non seulement nous investissons sur une très grande quantité de sociétés différentes, actives dans des secteurs différents mais nous investissons également avec des supports différents : nous avons présentés sur ce blog même non seulement les actions-daubasses mais aussi les obligations-daubasses ou les fonds fermés-daubasses. Nous avons également expliqué comment, pour nos portefeuilles personnels, nous utilisions les émissions d’options pour dynamiser nos liquidités.

      1. Cela m’étonnait justement de ne pas avoir entendu parler de Snowball sur le site… Je viens pour ma part de le terminer et c’est une bonne lecture quoi qu’un peu exhaustive à certains moments. Je conseillerai pour les plus pressé le très bon « Buffett: the making of an American capitalist » de LOWENSTEIN.

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