N’ayez pas peur d’être contrariant !

[édito proposé aux abonnés dans la Lettre mensuelle de septembre 2022]

“To beat the market, you must be brave enough, independent enough, and strange enough to stray from the crowd. It is impossible to produce superior performance unless you do something different from the majority.”

John Templeton

Pour battre le marché, il faut être suffisamment courageux, indépendant et bizarre pour vous tenir à l’écart de la foule. Il est impossible de surperformer à moins de faire quelque chose différemment de la majorité des gens.

 

S’il y a bien une particularité que partagent les plus grands investisseurs, c’est d’être indépendants dans leurs choix et de ne pas avoir peur de prendre des décisions à contre-pied de la tendance majoritaire. Ils suivent leur propre chemin, non seulement en tant qu’investisseurs, mais également dans la manière dont ils mènent leur vie et sont en général peu influencés par ce que pensent les autres.

Buffett est par exemple resté longtemps à l’écart des valeurs technologiques qu’il ne comprenait pas. Il a été critiqué pour ce choix contrariant, mais c’est ce qui lui a permis de sortir indemne de l’éclatement de la bulle internet dans les années 2000.

Walter J. Schloss se gardait bien de suivre les informations financières en continu ou de prêter attention aux rumeurs et bruits de couloir, ou encore de rencontrer les équipes dirigeantes. Il a marché dans les pas de Ben Graham en achetant des actions de sociétés complétement délaissées par le marché et dont personne ne voulait, comme des obscures sous-traitants automobiles valorisés largement sous leurs fonds propres.

John Templeton fait lui aussi partie de ces investisseurs légendaires qui se sont démarqués par leur esprit contrariant et leur mentalité de pionnier.

Dans une interview du journal Forbes en 1995, il disait : « Les gens me demandent toujours : quels actifs présentent les meilleurs perspectives ? Mais ce n’est pas la bonne question. La bonne question est : quels actifs présentent les perspectives les plus mauvaises ? ». Cette façon d’approcher l’investissement est aux antipodes de la logique qui prévaut lorsque nous faisons des choix importants dans notre vie : notre employeur, notre partenaire de vie, le lieu dans lequel nous vivons… C’est ce qui rend l’investissement si difficile et qui fait que les investisseurs qui ont raison à contre-courant sont en général grassement récompensés.

Templeton était également partisan de se tenir à l’écart des foules au sens propre du terme.

L’une de ses premières sociétés d’investissement, Templeton, Dubbrow & Vance, se trouvait au cœur de Manhattan, mais il a passé la dernière partie de sa carrière aux Bahamas, où il s’est installé dans les années 60. Il y avait évidemment des considérations fiscales derrière ce choix, mais Templeton a fréquemment cité la distance par rapport au bruit de Wall Street comme un avantage pour sa prise de décision. Il n’y avait pourtant pas de terminal Bloomberg ni d’internet à l’époque !

Sa force de caractère et son indépendance d’esprit ont conduit Templeton à être parmi les premiers à miser gros sur le Japon dans les années 60 au point d’y détenir jusqu’à 60% de ses actifs1 (rassurez-vous, on ne va pas encore vous parler du Japon !). Le marché se payait alors 4 fois les bénéfices et l’économie japonaise était florissante. Cet investissement s’avérera très profitable pour son fonds.

Cet esprit contrariant a habité Templeton tout au long de sa vie, mais a été particulièrement prégnant à deux périodes de sa carrière relatées dans le livre de William Green : « Richer, Wiser, Happier ».

1 Eight lessons from Sir Templeton (article forbes en anglais)

Un investissement à contre-courant en temps de guerre

Après l’invasion de la Pologne par l’Allemagne en septembre 1939, Templeton comprit que le monde allait plonger dans une guerre mondiale et que les États-Unis finiraient par prendre part au conflit. Sa réflexion fut alors la suivante : « s’il y a bien une période durant laquelle la demande est forte c’est lors d’une guerre ». Il en conclut qu’environ 90% des entreprises américaines verraient la demande pour leurs produits augmenter, y-compris les entreprises les plus mal en point. Mises à mal par la grande dépression, beaucoup de sociétés étaient si proches de la faillite qu’un changement soudain de leur sort pouvait avoir un impact fulgurant sur leur cours de bourse.

Comment Templeton tira parti de cette réflexion ?

Il identifia 104 actions d’entreprises américaines qui avaient subi la grande dépression de plein fouet et dont le cours de bourse était inférieur à 1$. Quelques jours plus tard, il appela son courtier et lui demanda d’investir 100$ sur chacune de ces sociétés. Le courtier le rappela pour lui confirmer les transactions à l’exception de 37 sociétés qui étaient en situation de faillite. Templeton lui confirma qu’il souhaitait acheter ces 37 sociétés.

Un pari culotté, mais il était si sûr de lui qu’il demanda à son ancien chef de lui prêter 10 000$ pour financer cet investissement. Les perspectives n’avaient jamais été aussi sombres, mais le marché avait déjà tellement corrigé que Templeton estimait que les probabilités de gain étaient en sa faveur.

La société Missouri Pacific Railroad illustre bien l’avantage asymétrique dont Templeton espérait profiter. Avant la grande dépression, cette société était l’une des plus importantes entreprises ferroviaires au monde. Elle avait émis des actions préférentielles qui devaient offrir un dividende perpétuel de 7$. Mais lorsque les conditions économiques se sont dégradées, le dividende a été suspendu et le cours s’est effondré de 100$ à environ 0,12$.

Templeton acheta alors 800 actions de la société pour un montant de 100$. Comme Warren Buffett, il avait cette capacité d’apprécier sans la moindre émotion une opportunité offrant un rapport bénéfice/risque favorable. Il savait qu’il pouvait perdre la totalité de son investissement, mais il savait également qu’il pouvait gagner beaucoup d’argent.

Les sociétés ferroviaires ont vu leur activité prospérer durant la guerre et le cours de l’action de Missouri Pacific Railroad est passé de 0,12$ à 5$ en l’espace de quelques années. Excité à l’idée d’avoir multiplié son investissement par 40, il prit ses gains. 4 ans plus tard le titre s’échangeait à 105$. De quoi nourrir quelques regrets

Un succès comme celui-là requiert bien plus que quelques compétences en mathématiques. Il a fallu énormément de volonté et de force de caractère à Templeton pour acheter à un moment où le pessimisme était maximal et où les investisseurs ne pensaient qu’à une chose : fuir les marchés.

Ce qui est remarquable également, c’est qu’il eut non seulement le courage d’acheter alors que le monde entrait en guerre, mais aussi qu’il eut la détermination de conserver ses titres pendant des années alors que les mauvaises nouvelles ne cessaient de s’accumuler. En décembre 1941, les japonais ont attaqué Pearl Harbor conduisant les américains à prendre part au conflit. À l’aube de l’année 1942, les allemands contrôlaient une majeure partie de l’Europe. Le désespoir quant à l’avenir était profond et les marchés ont subi une terrible débâcle. En avril 1942, le Dow Jones a chuté à son plus bas niveau depuis une génération.

Au printemps 1942, un tournant s’amorça finalement dans le conflit et l’économie américaine retrouva de la vigueur ce qui mit fin à la chute des marchés. Les actions de Templeton ont alors repris de belles couleurs.

Après avoir conservé ses titres pendant 5 ans contre vents et marées, il finit par vendre ses positions. Sur 104 sociétés achetées, il réalisa un gain sur 100 d’entre elles et multiplia son investissement global par environ 5 fois.

Ce pari de Templeton en temps de guerre restera sans doute comme l’un des investissements les plus audacieux et contrariants de l’histoire.

Un pari sur l’éclatement de la bulle internet

Le tempérament contrariant de Templeton s’est aussi exprimé par sa détermination à ne pas prendre part aux phénomènes de mode.

Pour s’en tenir à l’écart et garder les pieds sur terre, il s’efforçait d’investir systématiquement en prenant en compte certains indicateurs de valorisation, comme la capitalisation boursière rapportée au ventes, à l’actif net ou au bénéfice moyen des 5 dernières années. Cette focalisation sur les fondamentaux était un garde-fou pour ne pas se laisser entraîner par la frénésie ambiante.

Il a su en tirer parti lors de l’éclatement de la bulle internet. À cette époque, les banques d’affaires faisaient fortune en introduisant en bourse des sociétés qui surfaient sur la vague internet. La machine s’était complétement emballée. Templeton savait que tout ça finirait mal.

Son idée fut alors de vendre 84 sociétés liées au domaine d’internet parmi les plus chèrement valorisées. Toutes ces actions avaient vu leur cours être multiplié par plus de 3 fois depuis leur mise sur le marché.

Dans les mois qui suivaient ces introductions en bourse en série, les initiés des sociétés en question n’étaient pas autorisés à vendre leurs actions (lockup period). Cette période durait généralement 6 mois. Templeton se dit que les initiés vendraient leurs titre à la première occasion (à la fin de la période d’interdiction), de peur que l’euphorie ne retombe soudainement. Ces ventes massives ne pourraient conduire qu’à un effondrement du marché.

Il a donc vendu à découvert des actions de ces 84 sociétés très chèrement valorisées par rapport à leurs fondamentaux, pariant qu’elles s’effondreraient aussi tôt la période de lockup terminée. Il misa (à la baisse) 2,2 millions $ sur chacune de ces entreprises, soit un montant total de 185 millions $.

Le plan se déroula à merveille. Lorsque la bulle internet a explosé en mars 2000, il réalisa un gain de plus de 90 millions $ en l’espace de quelques mois. Rappelons que Templeton était alors âgé de près de 90 printemps. Un pari pour le moins audacieux à ce stade de sa longue carrière d’investisseur.

Profitez des excès d’humeur du marché

Il est intéressant de noter la symétrie entre ces deux périodes et de voir comment Templeton a su tirer parti de l’excès de pessimisme dans un cas et de l’excès d’optimisme dans l’autre cas.

En 1939, il avait compris que la foule était dans l’illusion que le futur n’offrait rien d’autre que des perspectives sombres. En 1999, la situation était diamétralement opposée. Les marchés avaient revêtu leurs lunettes roses et ne voyaient qu’un avenir radieux et des profits à foison.

À ces deux occasions Templeton s’en est remis à son seul jugement et n’a pas cédé à la pression de la foule. En 1939, il a acheté un panier de sociétés dont personne ne voulait. En 1999, il a parié sur la baisse d’un panier d’entreprises en vogue que tout le monde s’arrachait.

Deux coups de génie, séparés par 6 décennies, qui nous rappellent à quel point la psychologie joue un rôle déterminant dans le succès (ou l’échec) d’un investisseur.

C’est évidemment difficile psychologiquement de prendre le contre-pied de la tendance générale. Un exemple d’investissement contrariant qui nous vient à l’esprit est celui de Dillard’s au début de la crise du covid.

La propagation d’un virus dont on ne savait alors pas grand-chose promettait un avenir bien sombre à notre vendeur de chaussettes. Entre les fermetures de magasin, la dégradation de la note de crédit, l’envolée des rendements obligataires, les faillites de concurrents, un niveau de vente à découvert stratosphérique, … , c’est le moral qui était dans les chaussettes. Niveau de pessimisme maximal (constat facile avec le recul). Voilà un investissement qui aurait sans doute pu séduire Templeton.

En l’espace de quelques mois, le cours de Dillard’s s’est effondré de plus de 50%. Le marché n’attendait visiblement plus grand-chose, d’autant plus que le sentiment de l’époque était que la vente en ligne allait tout emporter sur son passage. Amazon était la coqueluche des investisseurs et Dillard’s jeté aux oubliettes.

On connait la suite de l’histoire. Une gestion hors-pair de la famille aux commandes qui rachetait déjà des actions de manière systématique depuis plus d’une décennie, des publications qui ont complétement bluffé le marché et le cours de bourse multiplié par 10 fois en 2 ans.

Il fallait être courageux et audacieux pour acheter des actions Dillard’s au début de la crise du covid. Les investisseurs qui ont fait fi du pessimisme ambiant et qui se sont rattachés aux fondamentaux (un collatéral immobilier important, un endettement raisonnable par rapport à la plupart des concurrents – et un ratio de solvabilité qui est toujours resté dans les clous -, une gestion prudente de la famille aux commandes…) pour rentrer sur le titre ou pour tenir bon pendant la tempête ont eu le nez creux.

Dans cet esprit contrariant, nous avons créé un sujet dédié aux secteurs massacrés en cet été 2022 (réservé aux abonnés). Les propositions vont des small cap japonaises aux foncières européennes en passant par le secteur du béton, de l’acier ou encore celui de l’automobile… Peut-être un futur champion parmi ces idées d’investissement ?

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *