Tempête sur les marchés : quand l’incertitude devient la norme 🌩️🌪️

[édito proposé à nos abonnés dans la lettre de mai 2025]

Le 2 avril, lors de son « Liberation Day », Donald Trump a annoncé de nouveaux tarifs douaniers, provoquant une onde de choc sur les marchés financiers. En seulement quatre séances, les indices américains ont chuté de plus de 10 %. Les places européennes et asiatiques n’ont pas été épargnées par cette déflagration.

Face à cette volatilité, nous avons choisi de ne pas réagir à chaud, car notre approche « bottom‑up » privilégie la sélection de titres individuels, indépendamment des soubresauts macroéconomiques. Non pas que nous minimisons l’impact potentiel de la conjoncture, mais nous estimons que prévoir l’avenir économique est une tâche ardue, même pour les experts.

L’attitude erratique de Donald Trump illustre bien cette imprévisibilité. Une semaine après avoir brandi la menace tarifaire, il suspendait déjà ces nouveaux droits de douane pour 90 jours, à l’exception de ceux visant la Chine.

Dans ce contexte exceptionnel, nous avons souhaité partager avec vous les analyses de deux investisseurs chevronnés sur ces événements : Howard Marks, cofondateur d’Oaktree Capital, et Ray Dalio, fondateur de Bridgewater Associates. Nous vous livrerons également en fin d’édito notre point de vue sur la situation.

Howard Marks : “Nobody knows”

Voici les principales idées développées par Howard Marks dans son dernier mémo « Nobody knows (Yet again) », publié une semaine après les annonces de Trump :

1. Dans le monde de l’investissement, il n’existe jamais de certitudes. Comme lors de chaque crise majeure (crise financière mondiale de 2008, crise Covid de 2020) :

– on ne peut pas prévoir la fin du monde avec certitude

– même si elle devait survenir, nous ne saurions pas quoi faire

– les actions entreprises pour s’y préparer seraient désastreuses si elle n’avait finalement pas lieu

– la plupart du temps, la fin du monde… n’a pas lieu

2. La pensée de Trump est plus imprévisible que celle de la plupart des présidents, car elle n’obéit pas nécessairement à une idéologie cohérente et elle peut donc changer rapidement du tout au tout. Même si Trump défend l’idée de droits de douane depuis 1987, personne n’anticipait l’ampleur des mesures annoncées.

3. Les événements récents rappellent ceux de 2008 et les prémices de la grande crise financière, car nous évoluons en terrain inconnu. Le fonctionnement du monde au cours des 80 dernières années pourrait ne plus être pertinent pour prévoir l’avenir. Il n’y a pas eu de guerre commerciale à grande échelle dans l’histoire récente, et les théories économiques en la matière restent largement non testées.

4. Formuler des prévisions ne suffit pas. Il faut aussi évaluer la probabilité qu’elles s’avèrent correctes. Dans le contexte actuel, ces chances sont encore plus faibles que d’ordinaire.

5. Nous devons reconnaître la complexité et l’incertitude de la période actuelle, et prendre des décisions malgré tout, pour ne pas rester figés dans l’inaction.

6. Ne rien faire est une décision en soi. Le choix de ne pas modifier son portefeuille doit être considéré avec autant de sérieux que celui d’y apporter des changements. Les vieux adages comme « on n’attrape pas un couteau qui tombe » ou « mieux vaut attendre que la poussière retombe » ne suffisent pas à guider nos choix. Les événements qui provoquent les plus fortes baisses de prix sont souvent terrifiants, ce qui décourage de nombreux acheteurs. Pourtant, c’est justement lorsque les mauvaises nouvelles s’accumulent que les meilleures opportunités se présentent.

7. Compte tenu de l’approche tactique de Trump, tout peut changer du jour au lendemain. Il ne serait pas surprenant qu’il obtienne des concessions et proclame une victoire… ou qu’il réponde aux représailles d’autres pays par une nouvelle escalade.

8. Les motivations de Trump pour instaurer des droits de douane incluent notamment :

– le soutien à l’industrie manufacturière américaine ;

– l’encouragement aux exportations et le frein aux importations ;

– la réduction du déficit commercial ;

– la sécurisation des chaînes d’approvisionnement via la relocalisation ;

– la dissuasion des pratiques commerciales jugées injustes ;

– la pression sur les autres pays pour les amener à la table des négociations ;

– la génération de recettes supplémentaires pour le Trésor américain.

Ces objectifs sont chacun légitimes, et les droits de douane peuvent en théorie contribuer à les atteindre. Le problème, c’est qu’en économie, les conséquences de second et troisième ordre sont cruciales. Comme l’a dit Richard Feynman, un célèbre physicien américain : « Imaginez à quel point la physique serait plus difficile si les électrons avaient des émotions ». Or, l’économie est faite d’humains, et les humains ont des émotions — rendant leurs réactions imprévisibles.

9. Les mesures de Trump pourraient engendrer des conséquences désastreuses :

– représailles des partenaires commerciaux ;

– hausse des prix et de l’inflation ;

– baisse de la demande et perte de confiance des consommateurs ;

– récession et destructions d’emplois, aux États-Unis comme ailleurs ;

– pénuries ;

– basculement de l’ordre mondial.

10. Une escalade tarifaire ne peut, globalement, qu’être néfaste, tant pour les États-Unis que pour leurs partenaires commerciaux.

11. Les droits de douane risquent fortement d’alourdir les prix, qu’il s’agisse de biens importés ou de produits fabriqués aux États-Unis à partir de composants étrangers. En théorie, fabricants, exportateurs ou importateurs peuvent choisir d’absorber les taxes, mais ils risquent d’être réticents à rogner leurs marges, souvent déjà insuffisantes.

12. Une relocalisation massive de la production aux États-Unis se heurterait à plusieurs obstacles :

– capacité de production insuffisante, provoquant pénuries ou hausses immédiates de prix ;

– délais et coûts importants de construction d’usines, freinées par la visibilité faible sur la pérennité des droits de douane ;

– pénuries de main-d’œuvre ;

– prix plus élevés, réduisant le pouvoir d’achat et risquant d’alimenter une spirale inflationniste.

13. Depuis la Seconde Guerre mondiale, la mondialisation a contribué à une prospérité généralisée. Elle repose sur l’avantage compétitif de chaque pays à produire mieux ou moins cher. Les consommateurs américains ont largement bénéficié de la production à bas coût des pays en développement.

14. Jusqu’à présent, la solidité du modèle économique américain et la confiance internationale lui ont permis de s’endetter sans limite. Résultat : un déficit budgétaire chaque année depuis 25 ans, et 41 fois sur les 45 dernières années. Ce mode de fonctionnement a conduit à une dette colossale de 36 000 milliards de dollars. Cette situation pourrait inquiéter les détenteurs de cette dette et faire grimper les taux d’intérêt, avec des conséquences évidentes sur les finances publiques.

15. Trump se tire une balle dans le pied avec ses droits de douane. S’ils sont appliqués, l’économie américaine risque d’entrer plus tôt en récession, avec une inflation accrue. Certains objectifs pourront être partiellement atteints, mais la réduction du déficit commercial paraît hors de portée. Les bénéfices, s’il y en a, se manifesteront à long terme, alors que les coûts seront immédiats.

16. Quelle sera la réaction de la FED ? Elle pourrait accélérer ses baisses de taux pour soutenir l’activité… ou au contraire maintenir les taux élevés pour contrer l’inflation. En résumé : personne ne sait.

17. Dans ce climat d’incertitude, il est temps de partir à la chasse aux bonnes affaires, en se concentrant sur les titres injustement massacrés.

Marks n’est pas un fervent adepte des prévisions macroéconomiques. Ce mémo en est une nouvelle illustration. Le titre était clair : « Personne ne sait ». Personne ne sait si les droits de douane seront maintenus. Aujourd’hui, la taxe est de « seulement » 10 % pour tous… sauf pour Pékin, à 145 %. Personne ne sait ce qu’il adviendra après la trêve de 90 jours. Personne ne connaît encore les mesures de rétorsion à venir, hormis la Chine, qui a déjà relevé ses propres droits à 84 % pour certains produits américains. Personne ne sait quels seront les effets sur la croissance, l’inflation, l’emploi… Personne ne sait si les États-Unis vont entrer en récession, ni quand. Personne ne sait comment réagira la FED…

Ray Dalio – “It’s too late: the changes are coming”

Ray Dalio a publié deux articles au ton particulièrement grave : « Ne faites pas l’erreur de croire que ce qui se passe maintenant concerne principalement les droits de douanes » et « C’est trop tard, les changements arrivent ».

Selon lui, nous assistons à un effondrement de l’ordre mondial. Un événement rare, qui ne survient guère plus d’une fois dans une vie, mais qui s’est déjà produit à plusieurs reprises dans l’histoire. Plus précisément :

1. Effondrement de l’ordre économique et monétaire

Les États-Unis sont excessivement endettés, leur dette augmente à un rythme insoutenable, et l’économie ainsi que les marchés dépendent de cet endettement. Cette situation a conduit à un déséquilibre qui oppose, d’une part, un emprunteur surendetté et dépendant de la dette pour financer ses excès (les États-Unis), et d’autre part, des prêteurs (comme la Chine) qui détiennent déjà une part trop importante de cette dette et dont l’économie dépend des ventes à ces emprunteurs. Il existe de fortes pressions pour corriger ces déséquilibres, ce qui bouleversera l’ordre monétaire, et nous ne sommes qu’au début de ce processus.

2. Effondrement de l’ordre politique

Le fossé s’est creusé entre les individus en termes d’éducation, d’opportunités, de productivité, de revenus, de richesse et de valeurs. Le système politique est incapable de remédier à ces inégalités, ce qui conduit à l’effondrement des démocraties, car celles-ci exigent des compromis et le respect de l’État de droit. L’histoire a montré que ces deux éléments s’effondrent lors de périodes telles que celle que nous vivons actuellement.

3. Effondrement de l’ordre géopolitique international

L’ère d’une puissance dominante (les États-Unis) dictant l’ordre mondial est révolue. L’ordre mondial multilatéral et coopératif dirigé par les États-Unis est en train d’être remplacé par une approche unilatérale fondée sur la puissance. Dans ce nouvel ordre, les États-Unis restent la première puissance mondiale et adoptent une approche unilatérale, « l’Amérique d’abord ». Cette tendance se manifeste aujourd’hui dans les guerres commerciales, géopolitiques, technologiques et, dans certains cas, militaires.

4. Catastrophes naturelles

Les catastrophes naturelles telles que les sécheresses, les inondations et les pandémies perturbent de plus en plus l’ordre mondial.

5. Changements technologiques

Les avancées technologiques, notamment dans le domaine de l’intelligence artificielle, auront un impact significatif sur nos vies dans de nombreux domaines : économique, monétaire, politique, relations internationales, etc.

En résumé, bien que les droits de douane attirent actuellement toute l’attention, ils masquent en réalité des changements beaucoup plus profonds.

Cette position de Ray Dalio n’est pas surprenante. Le milliardaire américain est connu pour son approche conservatrice. Son portefeuille « All Weather » (4 saisons), conçu pour performer quelle que soit la conjoncture économique, comporte une large part d’actifs peu risqués et des actifs refuge comme l’or : 55 % d’obligations, 30 % d’actions, 7,5 % d’or et 7,5 % de matières premières.

Finalement, Marks et Dalio restent fidèles à leurs principes fondamentaux : le pragmatisme pour le premier et la prudence pour le second. Cependant, ils s’accordent sur un point essentiel : le niveau intenable de la dette américaine. Son montant est colossal, atteignant déjà 125 % du PIB, et les intérêts alloués à son remboursement pourraient avoisiner les 1 000 milliards de dollars en 2025, soit plus que le budget de l’armée. Le déficit pourrait, quant à lui, grimper à plus de 6 %. Après l’épisode des droits de douane impromptus, ce risque systémique sera-t-il le prochain à faire vaciller les marchés mondiaux ?

Notre position sur ces événements

 De notre côté, ces évènements ne remettent pas en question notre approche. Deux raisons à cela.  D’une part, notre exposition au marché américain, directe ou indirecte, est relativement limitée. La seule société américaine du Portefeuille daubasses 2 est [société masquée], mais ses activités sont concentrées au Canada et en Australie. Quelques-unes de nos daubasses japonaises exportent une partie de leur production (voir notre édito de mars sur la Japon), mais, à l’exception de [société masquée], leurs débouchés principaux se situent en Asie. En revanche, notre daubasse canadienne [masqué], déjà impliquée dans un contentieux avec les douanes américaines, pourrait souffrir d’une escalade des tensions commerciales entre le Canada et les États-Unis.

Dans le Portefeuille Pépites PEA, [société masquée] et [société masquée] sont les sociétés les plus exposées, avec respectivement 29% (en 2024) et 24% (au 1er semestre 2024/2025) de leur chiffre d’affaires réalisé outre-Atlantique. Cela dit, [société masquée] dispose déjà d’un site de production aux États-Unis, ainsi que de trois sites au Mexique ce qui paraît plutôt favorable (Guerre commerciale. Les droits de douane de Trump, une “aubaine” pour le Mexique ?).

De plus, la valorisation de ces deux sociétés semble déjà intégrer un scénario pessimiste, et les familles aux commandes ont déjà prouvé leur savoir-faire et leur agilité en période de crise.

D’autre part, au-delà des conséquences directes de ces nouvelles barrières douanières, il est impossible d’anticiper précisément leurs répercussions indirectes sur l’économie et les marchés. Sur ce point, nous faisons nôtre l’avertissement d’Howard Marks : personne ne sait.

Le meilleur rempart contre cette ignorance tient en un mot : diversification. Classes d’actifs, devises, pays, secteurs, … , plus que jamais il semble judicieux de ne pas mettre tous ses œufs dans le même panier.

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